La politique de voisinage amorcée par l’Union européenne dès 2001 vise à améliorer ses relations avec les pays riverains de l’Est et du Sud de ses frontières. Sous le nom de « Partenariat oriental », l’UE cherche à nouer de nouveaux liens de coopération avec les pays du Caucase. Le but sous-jacent de ce Partenariat réside dans la volonté d’éviter de nouvelles lignes de fracture dans le continent, divisé entre l’Ouest et l’Est. Mais la crise ukrainienne de 2014, suivi de la méfiance croissante vis-à-vis de la Russie, offrent à ce Partenariat un bilan contrasté. En quoi consiste ce projet, et quels sont les intérêts de l’UE dans cet espace géopolitique complexe ? Loin de l’européocentrisme de Bruxelles, et si cette politique de voisinage nous démontrait que les enjeux de l’Europe se manifestent aussi — et surtout — dans ses marges ? Un article de Nané Hanoyan et Clara Dassonville.
La politique de voisinage et le Partenariat oriental : les marges de l’Europe au cœur des préoccupations de l’Union
Commençons par le projet ambitieux de Partenariat oriental, lancé par l’Union européenne dans le cadre de sa politique de voisinage. La politique européenne de voisinage a été conçue en mars 2001, lors du Conseil européen de Stockholm. Elle possède un double objectif : d’une part, élargir l’Union à dix nouveaux États membres, et d’autre part éviter l’apparition de nouvelles lignes de fractures en Europe. De plus, les enjeux pour l’Union européenne sont multiples : il s’agit d’apporter une réponse, par le biais de la coopération, aux problèmes de gestion de frontières — comme le crime organisé, les trafics illicites et l’immigration irrégulière.
La politique de voisinage ne s’arrête pas là : le Partenariat oriental, inauguré en mai 2009 lors du Sommet de Prague, vise à conclure des accords avec l’Arménie, l’Azerbaïdjan, la Géorgie, la Moldavie, l’Ukraine et la Biélorussie — des pays qui passent malheureusement souvent hors des préoccupations des Européens de l’Ouest. Cette politique n’entraîne pas une procédure d’adhésion mais favorise les relations sur des thèmes tels que la sécurité, la stabilité et le développement économique avec son voisinage proche. Le premier forum du Partenariat oriental a eu lieu à Tbilissi en mai 2012, et a abouti à la création de nouveaux accords de négociations avec certains pays, qui remplacent les partenariats conclus à la fin des années 1990 après la chute de l’URSS. Cependant, à l’heure actuelle, les seuls accords qui ont abouti sont ceux avec la Géorgie, la République de Moldavie et l’Ukraine.
Lire aussi >>> Les inquiétudes des pays baltes face à la Russie
Les enjeux et objectifs du Partenariat : l’UE peut-elle unifier la région ?
Avec le Partenariat oriental, l’UE s’inscrit dans une perspective multilatérale aux intérêts doubles. D’abord, permettre aux États intéressés de se rapprocher de l’UE en renforçant leurs liens politiques, économiques et culturels. Ensuite, conclure des accords bilatéraux et non-contraignants, afin de coller au plus près aux intérêts des pays du Caucase. En effet, selon l’institut Jacques Delors, « L’UE doit tenir compte du fait qu’elle n’est pas seule à définir les règles dans la région. » Par exemple, la Géorgie, la Moldavie et l’Ukraine considèrent le Partenariat comme « l’antichambre d’un hypothétique élargissement ». Quant à l’Arménie et la Biélorussie, ils cherchent à renforcer leurs liens avec l’UE tout en continuant leur relation avec la Russie. Cette différence d’intérêts se traduit par des accords personnalisés : par exemple, des accords d’intégration très complets avec la Moldavie, la Géorgie et l’Ukraine qui leur permettent d’accéder au marché intérieur de l’UE ; ou des partenariats de stricte coopération pour la Biélorussie ou l’Azerbaïdjan.
Le Caucase est un espace géopolitique complexe dont dépend la cohésion du continent. En 1990, au sortir de la guerre froide, on annonça dans la Charte de Paris pour la nouvelle Europe que « l’ère de la confrontation et de la division en Europe étaient révolus ». Pourtant, l’Europe semble aujourd’hui confrontée à l’apparition de nouvelles lignes de division est-ouest — dont elle pensait s’être débarrassée. Ce projet est-il pour l’Europe l’occasion de s’imposer comme une puissance régionale unificatrice ? Pour l’UE, il s’agit surtout de construire un cordon de sécurité d’États prospères à sa périphérie. Cependant, la situation politique intérieure de ces États ne correspond pas toujours aux principes démocratiques : que faire d’un État comme la Biélorussie, où les dissidents politiques sont emprisonnés ? La question de l’intégration des pays du Caucase aux valeurs européennes posent de nombreux débats au sein de la communauté de l’UE.
Lire aussi >>> Adhésion de la Turquie : où en est-on ?
L’UE et la Russie : une entente nécessaire pour le bon fonctionnement du Partenariat oriental
Le continent européen, même après la fin de la guerre froide, se retrouve polarisé par deux puissances régionales, parfois perçues comme contradictoires : l’UE et la Russie. Le Caucase ne peut se permettre de subir des problèmes économiques en cas de rapprochement avec l’UE. D’autre part, les électeurs européens pourraient refuser d’octroyer des aides financières aux pays concernés par le Partenariat. Plus largement, le succès du Partenariat oriental dépend des bonnes relations entre l’UE et la Russie.
Les défis du projet s’inscrivent dans le cadre plus large de la méfiance historique entre l’UE et la Russie. Si entre 1990 et 2000, les relations euro-asiatiques ont connu un réchauffement — notamment avec l’acte fondateur OTAN-Russie en 1997 — les conflits du Kosovo et de l’Ukraine ont remis à l’actualité les tensions entre l’UE et la Russie. Ces tensions se retrouvent au cœur du Partenariat oriental. En effet, les stratèges russes estiment que ce Partenariat oriental défie leurs intérêts dans la région, notamment en matière de routes énergétiques — puisque la Russie reste le premier fournisseur européen en matière d’énergie. Mais la méfiance russe va plus loin que le simple enjeu économique : il s’agit aussi d’un défi stratégique et géopolitique. Pour l’ambassadeur russe à Bruxelles Vladimir Chizov, « L’UE à elle seule ne peut pas être blâmée pour l’instabilité régionale. Néanmoins, la brutalité avec laquelle l’UE cherche à ‘civiliser’ la région et imposer ses propres normes et valeurs, n’a pas rendu la politique européenne de voisinage plus attrayante ». Dès lors, il s’agit pour les pays du Caucase de profiter des opportunités apportées par l’UE sans froisser leurs relations historiques avec la Russie.
Ce partenariat pourrait être d’une grande importance pour le futur du continent : alors que les défis de l’Europe se trouvent dans ses marges, la coopération et les partenariats vers l’Est de l’Europe peuvent s’appuyer sur la société civile pour faire respecter les principes démocratiques.
Lire aussi >>> L’accord d’association UE/Ukraine : une ultime provocation pour la Russie ? (décembre 2016)
Source carte : Consilium