François Jeanneteau, Courrier d’Europe
Alors que la quatrième saison de The Crown fait un carton sur Netflix, la saga Brexit semble toucher à sa fin dans une saison particulièrement mouvementée entre Covid et tensions avec Bruxelles. Retour sur quatre années et demie d’un divorce complexe.
Saison 1 – 2016 – 2017
Le soir du 23 juin, après une campagne en demi-teinte pour les partisans du Remain, le Royaume-Uni demande le divorce. 51.9% des électeurs se sont prononcés en faveur du Brexit dans un référendum duquel (presque) personne n’espérait l’issue. Réjouissance pour certains, drame pour d’autres, une chose est sûre, jamais une question n’aura fait frémir et divisé ce pays plus que mettre la crème ou la confiture en premier sur un scone.
Vingt jours après l’annonce des résultats, le 13 juillet, David Cameron démissionne, laissant derrière lui un gouvernement dans le désarroi. Il est remplacé au pied levé par sa ministre de l’Intérieur et de l’égalité des femmes, Theresa May, donnant immédiatement le ton: le Brexit aura bien lieu et la promesse de départ sera tenue auprès du peuple britannique. Toutefois le divorce doit déboucher sur une relations en bons termes entre UE et Royaume-Uni.
En octobre, May annonce sa volonté de déclencher, avant mars 2017, l’article 50 du Traité sur l’Union européenne, offrant la possibilité de se retirer de cette dernière. Un mois plus tard, la Haute Cour du Royaume-Uni écarte cette possibilité en déclarant que seule l’approbation parlementaire pourra mettre en marche la procédure de départ, verdict qui sera confirmé par la Cour Suprême dans la foulée.
Lors de son discours à la Lancaster House de Janvier 2017, Theresa May affirme que partir sans accord est une meilleure solution que partir avec un accord bancal, détail qui a son importance au vu de la lenteur des négociations tenues actuellement.
Le 29 mars, elle peut enfin officialiser la demande de divorce par une lettre au président du Conseil Européen de l’époque, Donald Tusk. S’ouvre alors une période de deux ans pour finaliser les négociations en vue d’un accord de départ de l’Union.
À la mi-Avril, afin de renforcer la position majoritaire des Conservateurs dans la Chambre des Communes, Theresa May informe de la tenue d’élections anticipées en Juin. Elles n’auront toutefois pas le succès escompté puisque le parti perd sa majorité et se trouve forcé à un compromis avec les Unionistes Irlandais du DUP pour rester à la tête du pays.
Une saison 1 en demi-teinte avec le succès du Leave mais des problèmes se profilent avec une élection mettant à mal la position des Conservateurs.
Saison 2 – 2018
L’année 2018 marque le début des déconvenues pour Theresa May. Le livre blanc sur le Brexit, connu sous le nom du plan de Chequer (Chequer étant le nom de la résidence du Premier Ministre britannique lorsqu’il est en congé ou dès lors qu’il ne séjourne pas à Downing Street), paru le 12 juillet provoque un tollé au sein des membres du gouvernement et les démissions s’enchaînent. Parmi les départs, un certain Boris Johnson, alors ministre des Affaires étrangères. Le texte est, selon ses détracteurs, une version édulcorée de ce que devrait être le Brexit. Tollé également à Bruxelles qui y voit un moyen pour Londres de faire du cherry picking (lit. “cueillette de cerises”) et de choisir parmi un catalogue d’options les politiques auxquelles elle souhaite adhérer, ce qui viendrait saper le marché commun. Chou blanc pour May, qui se voit fustigée de toutes parts et particulièrement par les Irlandais dont la frontière avec leurs voisins du sud fait l’objet d’une instrumentalisation tant par Bruxelles que par Londres, après une proposition censée régler les problèmes, du doux nom de Backstop. D’un côté c’est l’intégrité même du Royaume qui se voit menacée, de l’autre l’Irlande doit conserver les mêmes dispositions légales que l’UE en matière de standards et de contrôles à la frontière souples pour ne pas remettre en cause l’Accord du Vendredi Saint qui avait consacré la paix entre unionistes du nord et républicains du sud en 1998.
Le 25 Novembre, une ébauche d’accord de divorce est finalement atteinte mais doit passer l’épreuve des Parlements de Westminster et Strasbourg. May doit alors revoir sa copie pour inclure une union douanière UE-Royaume-Uni pour mettre fin à l’épineuse question irlandaise.
Décembre arrive, May survit de justesse à une motion de censure, mais elle est contrainte de promettre son départ du poste de leader du parti conservateur avant la prochaine élection à la suite de la violente fronde contre sa proposition d’accord pour le Brexit.
La saison 2 semée d’embûches n’augure rien de bon et se termine par le maintien de Theresa May en tant que cheffe du gouvernement. Elle n’est pas au bout de ses peines.
Saison 3 – 2019
2019, annus horribilis pour Theresa May? Sa situation politique à la tête de l’exécutif se détériore visiblement. Sa proposition d’accord de retrait de l’UE, définissant les conditions de sortie du pays, est violemment rejetée à la Chambre des communes par trois votes consécutifs en janvier (432 contre 202), puis le 12 et le 29 mars, dates originellement prévues pour le Brexit.
Au vu de la situation de tension entre l’exécutif et le parlement, mais aussi de l’incapacité des deux parties à s’entendre sur les termes du divorce, May est contrainte de demander une extension de la période de transition jusqu’au 30 juin. Les leaders européens approuvent alors un délai flexible jusqu’au 31 octobre.
Le 23 mai, le pays participe malgré tout aux élections européennes. La volonté du peuple d’en finir avec le Brexit et l’agacement se font sentir au travers d’une large victoire du parti pour le Brexit de l’ultra-conservateur Nigel Farage. Le jour suivant, May annonce sa démission en tant que Premier Ministre et la direction du parti Conservateur le 7 du mois suivant, après avoir échoué à mener le Brexit à terme.
Le 24 juillet, à la suite d’une élection interne parmi les Conservateurs, Boris Johnson ressort vainqueur du duel l’opposant à Jeremy Hunt et entre au 10 Downing Street à la tête du pays.
Un mois plus tard, Johnson se voit refuser par Bruxelles le retrait de la clause sur le Backstop qui réglait la question irlandaise. Il décide alors le 28 août de proroger les activités parlementaires pendant cinq semaines à compter du 9 septembre, non sans provoquer la fureur de l’opposition, craignant un divorce sans accord, qui voit la date de sortie alors toujours fixée au 31 du mois suivant s’approcher à grands pas et dénonce la tentative de Johnson de museler l’opposition pour faire passer son projet de loi. Elle voit également dans le geste de Johnson une manière de contourner le Benn Act, voté début septembre et prohibant une sortie sans accord de l’UE sans accord des parlementaires avant le 19 octobre, laissant seulement 5 jours de débat sur le projet de Johnson. Par cette loi, le Premier Ministre est forcé contre son gré de demander une extension de la période transitoire, accordée par le Conseil Européen jusqu’au 31 janvier 2020 en date du 28 octobre.
À la mi-décembre, une élection générale, approuvée au mois d’Octobre par la Chambre des Communes, reflète à nouveau la volonté du peuple britannique d’en finir avec le Brexit, avec la victoire d’une majorité conservatrice, renforçant la position perdue par May.
Après la décadence de Theresa May et malgré des débuts chaotiques, Boris Johnson finit la saison 3 prêt à en découdre et en position de force à la Chambre des Communes.
Saison 4 – 2020
Le 23 janvier, après une reprise en douceur pour les parlementaires londoniens, le nouvel accord de retrait proposé par Johnson passe l’épreuve de Westminster puis celle de son homologue européen sans difficulté apparente. C’est le début d’une nouvelle phase de onze mois qui s’étend jusqu’au 31 décembre 2020 laissant la possibilité au Royaume-Uni de négocier de nouveaux accords avec l’UE, notamment commerciaux, avant sa sortie du marché unique. Le 31 à 23h00 (heure de Bruxelles), le drapeau du Royaume Uni quitte le pavillon des nations de l’UE. C’est officiel, le pays n’est plus membre de l’UE.
Après des négociations mises à l’arrêt lors de la première vague de Covid-19, les pourparlers reprennent avec deux parties en présence qui ne semblent vouloir céder sur aucun point. Michel Barnier, chargé de mener les négociations pour le compte de Bruxelles, fait savoir que le Royaume-Uni joue avec le feu et perd un temps précieux en ne se montrant pas plus enclin à collaborer. Les points de crispation incluent notamment la pêche en mer du Nord et les dispositions en matière de concurrence.
Parallèlement aux négociations menées avec l’Europe, le Royaume-Uni tente aussi de négocier avec d’autres partenaires économiques clés, et plus particulièrement Outre-Atlantique. Les maigres espoirs de conclure un accord avec Donald Trump, qui partageait une attitude d’enfant dissipé et faisant cavalier seul avec Boris Johnson dans le cadre de la politique commerciale étrangère, se sont réduits à néant après l’élection de Joe Biden en novembre dernier.
Toujours en négociations avec Bruxelles, les britanniques s’inquiètent aujourd’hui de plus en plus de voir le Royaume-Uni quitter le marché sans accord, ce qui signifierait un retour aux règles commerciales de l’OMC avec de coûteux droits de douanes, parfois synonymes de choc économique.
À moins d’un mois de la sortie définitive du Royaume-Uni du marché commun, Johnson a demandé aux entreprises de se tenir prêtes à tout. Dans un pays déjà mis mal en point par la crise sanitaire, le gouvernement ne dispose que de très peu de temps pour parvenir à un accord, ce qui laisse présager le pire pour la société civile et les entreprises.
La saison 4 est sur le point d’être clôturée, aucun accord n’est en vue pour l’instant et les négociations semblent en berne. La situation sanitaire mondiale est venue rajouter une contrainte à un Royaume-Uni en proie à l’incertitude et en manque de temps devant une date butoir de plus en plus proche.
Quoi qu’il en soit, avec ou sans accord, le Brexit sera lourd de conséquences pour le pays. Deux rapports, l’un publié fin août par la London School of Economics, l’autre publié en novembre par le Bureau de responsabilité budgétaire, prévoient que l’impact économique du Brexit à long terme sera bien plus important que celui de la pandémie. Les deux s’attendent à des pertes dramatiques qui pourraient atteindre 10 points du PIB. Quatre ans et demi après le référendum, des inconnues demeurent. Va-t-on demander une extension en raison de la situation sanitaire et du second confinement? Que va-t-il vraiment advenir en cas d’une sortie sans accord? La longueur et la complexité du Brexit ont de quoi dissuader les plus téméraires des eurosceptiques. Dans tous les cas, le gouvernement britannique ne prévoit pas de saison 5 à la demande générale de sa saga phare, mais au vu de la tournure des événements, rien n’est moins sûr. Affaire à suivre…