Dans le cadre du Grand format européen de décembre 2020, le Taurillon est allé à la rencontre d’Etienne Criqui, Professeur de Science politique à la Faculté de droit de Nancy et au Centre européen universitaire dans l’objectif d’échanger sur le Brexit et ses conséquences politiques pour l’Union européenne.
Le Taurillon : On aurait pu penser que le départ des britanniques faciliterait les discussions au sein du Conseil européen, or il a contribué à révéler davantage des positions existantes comme celles des frugaux lors des dernières négociations budgétaires, le Royaume-Uni n’était finalement que l’arbre qui cachait la forêt ?
Etienne Criqui : En partie, il est vrai qu’au début du processus, après le référendum en 2016, certains avaient dit que le départ du Royaume-Uni était préjudiciable à l’Union européenne, à bien des égards, économique en particulier. Cependant, certains avaient dit que sur le plan politique, l’intégration européenne serait plus facile dans la mesure où le Royaume-Uni avait souvent été un frein par rapport à cette intégration politique, même si généralement ils ont joué le jeu de l’intégration économique, un peu moins monétaire. Or, on s’aperçoit que même sur ce plan, il est difficile d’avancer : les négociations sur le paquet lié au Covid de 750 milliards avec une partie de prêts et de de subventions a été difficile à préparer en raison de l’opposition d’un certain nombre d’Etats frugaux, notamment les Pays-Bas ou l’Autriche. Peut-être que le Royaume-Uni aurait été dans la même logique, mais même sans lui cela a été compliqué.
LT : Donne-t-il davantage de poids aux pays d’Europe centrale dans les discussions ?
EC : Pour des pays comme la Pologne ou la Hongrie, le départ du Royaume-Uni est une mauvaise chose dans la mesure où il aurait pu les appuyer sur le problème de “moins d’intégration”. En effet on voit bien la philosophie qui est de bénéficier évidemment de la PAC, les subventions mais pas d’aller plus loin dans une Europe politiquement intégrée. De ce point de vue ils étaient sur la même ligne que le Royaume-Uni mais n’ont pas le même poids. Néanmoins, ça ne résout pas tous les problèmes.
LT : Finalement ce départ va-t-il permettre d’aller plus en avant sur certains sujets ? A l’inverse va-t-il porter préjudice à certaines avancées ?
EC : Il n’est pas certain qu’on pourra avancer plus facilement sur certains sujets avec le départ du Royaume-Uni. En effet, lorsqu’ils ont fait valoir leurs différences, ce qui est arrivé à plusieurs reprises, ils ont rarement été seuls. Les opting out qu’ils ont pu obtenir, le Danemark en a eu également, la Suède n’est pas dans la monnaie unique etc. Il y a rarement eu des impossibilités liées au seul Royaume-Uni. De ce point de vue là, cela ne devrait pas changer la donne.
LT : Le Brexit n’est-il finalement pas un vaccin contre le virus qu’est l’article 50 ou au contraire peut-on imaginer une sorte d’hémorragie après un tel départ ?
EC : Les deux scénarios sont envisageables, le Royaume-Uni est sorti et nous verrons d’ici quelques jours sous quelles conditions exactement, mais cela montre que cet article peut permettre effectivement la sortie d’un Etat membre. C’est donc un processus désormais envisageable, alors qu’à l’origine il n’avait pas été conçu pour permettre un Etat de quitter pour convenance personnelle l’Union européenne. Dans l’esprit des rédacteurs du traité (ndlr : le traité de Lisbonne entré en vigueur en 2009), il devait permettre de faire “sortir” un Etat qui n’aurait plus sa place parce que par exemple le régime démocratique aurait été remplacé par une véritable dictature. Il n’avait pas été imaginé qu’un Etat demanderait de lui-même sa sortie, même si le Royaume-Uni l’avait déjà envisagé avec un référendum 40 ans auparavant (ndlr : en 1975) lorsque Harold Wilson avait renégocié l’accord signé par son prédécesseur et avait envisagé que le Royaume sorte de la Communauté si le “non” l’emportait.
Cela peut aussi servir de repoussoir parce que l’on s’aperçoit que c’est compliqué, cela peut être dommageable à l’Etat qui décide de sortir, on le voit avec le Royaume-Uni qui reste pourtant un grand Etat en Europe. Cela peut donc servir d’avertissement, on imagine mal la Hongrie ou la Pologne activer l’article 50, ils auraient encore plus à perdre que le Royaume-Uni, d’autant qu’ils sont bénéficiaires, c’est vital pour eux. Cela paraît donc inconcevable, dans l’état actuel de l’UE, que ces pays en sortent.
LT : Est-ce qu’il existe un risque de “perte d’influence” pour l’Union européenne dans les échanges diplomatiques mondiaux avec le départ de ce pays ?
EC : Ce risque peut exister même si sur le plan diplomatique le Royaume-Uni avait toujours freiné sur ce sujet, le Service d’Action Extérieur d’ailleurs porte ce nom et non pas celui d’un Ministère des AE parce que les Britanniques avaient mis leur véto. De ce point de vue donc, leur absence ne devrait pas changer fondamentalement la donne.
C’est plutôt la volonté de l’Union d’avoir une véritable action diplomatique qui est en cause, cela ne dépend pas du Royaume-Uni. Là où cela pourrait être plus préjudiciable c’est en matière de défense, c’est un acteur majeur en Europe avec la France très loin devant les autres. Compte tenu de ce qui est aujourd’hui à l’agenda, c’est-à-dire avancer sur le chemin d’une défense européenne, tout en restant dans l’OTAN, et évidemment l’absence des britanniques est préjudiciable même s’ils pourront y être associés dans un cadre différent de l’Union européenne.
LT : Le Brexit aurait pu être l’occasion de ce que certains qualifient d’une avancée institutionnelle et politique avec l’instauration d’une liste transnationale lors des dernières élections européennes, cela constitue-t-il un échec ?
EC : Effectivement, c’est un peu un serpent de mer, puisque le premier rapport sur les listes transnationales date de 2011, cela a été redemandé très récemment dans une résolution demandant d’instaurer pour les élections de 2024 des listes transnationales (ndlr : la résolution a été rejeté à la suite du vote d’un amendement suppressif). La réponse appartient en grande partie aux Etats, il ne semble pas qu’actuellement l’unanimité soit atteinte pour l’adoption d’une telle modification. Il y a de nombreuses hostilités, pas seulement celles que pouvaient auparavant avoir les Britanniques, peut-être que la France pourrait être un soutien à ce principe mais cela ne fait pas l’unanimité.
En 2018, la majorité du PPE avait bloqué une telle évolution, mais au-delà du Parlement, il faudra l’accord des États, d’autant que le Parlement défend toujours le principe du Spitzenkandidaten, or, là aussi, il existe des oppositions.
Propos recueillis par Antoine Potor