Interviews réalisées par José Ernault et Victor Maitre-Raddavero
Interview de Théo Verdier :
Théo Verdier est consultant en transformation digitale. Il est diplômé de l’école de commerce et de management NEOMA Business School, ainsi que de l’école d’ingénieur TELECOM Paris. Il a débuté sa carrière dans la communication au sein de l’entreprise Thales. Dans son parcours, il s’est notamment engagé dans des associations mettant en lumière les questions européennes telles que les Jeunes Européens et Mouvement Européen.
Question : Comment expliquer la faiblesse de la couverture médiatique liée à l’Europe en France, et comment y remédier ?
Théo Verdier : « L’Europe dans les médias télévisuels en France c’est en moyenne 3% des sujets que vous voyez à la télévision ou que vous entendez à la radio. Si on prend par exemple le journal de 20H de TF1, qui est le journal le plus suivi de France avec 5,8 millions de téléspectateurs en moyenne, c’est 1,4% de sujets européens. Les personnes qui regardent le JT (Journal télévisé) de TF1 sont donc peu exposés à de la matière européenne et à des questions d’actualité politique européenne.
On a donc une très faible médiatisation de la question européenne en France. Se pose là-dessus deux questions : pourquoi et qu’est-ce que l’on peut faire ?
Sur le pourquoi, il y a deux choses. La première concerne quel contenu on met dans le débat public qui concerne l’Europe. Pour cela, il faut démocratiser les affaires européennes en France. Il faut qu’à l’Assemblée, dans l’agenda public, on ait régulièrement des débats qui opposent des personnalités nationales, connues des Français, sur les questions européennes. Pour cela, il faut démocratiser la question européenne en France, c’est-à-dire avoir des QaG (Questions au Gouvernement) Europe à l’Assemblée avec un premier ministre qui s’exprime annuellement sur les questions européennes. Il faut organiser de manière structurée le débat national sur l’Europe et non pas de manière ponctuelle comme le fait la Conférence sur l’avenir de l’Europe ou les conventions citoyennes lancées par Emmanuel Macron. Si les Français ne se sentent pas saisis de la question européenne – au sens où ils ne prennent pas conscience que ce qui se joue dans la démocratie nationale, c’est ensuite ce qui va devenir la voix de la France au niveau européen – alors on ne peut pas avoir de débat national intense sur les questions européennes et on a peu de matière première à traiter. Il y a alors une unique matière bruxelloise ou communautaire que les rédactions nationales ne savent que peu traiter.
La seconde raison à la question « pourquoi ? » est qu’il y a une très faible proximité entre la vie politique de l’Union européenne et l’environnement médiatique français. Si on regarde le nombre de correspondants de la télévision et de la radio publique française à Bruxelles, il y en a deux pour France Télévisions, deux pour Radio France et un pour France Culture. Si on compare avec les effectifs de l’ARD en Allemagne, il y a plus de 25 correspondants. Le nombre de correspondants en France par rapport à l’Allemagne auprès des institutions européennes s’est d’ailleurs encore distendu depuis 2019. Il y a un sous-investissement des rédactions françaises sur ces sujets en termes de matière première. Pour faire des sujets, il faut connaître, il faut pouvoir analyser des choses. Dans les télévisions privées, c’est souvent encore pire avec par exemple TF1 qui n’a pas de correspondant à Bruxelles. Si proactivement, les Français n’ont pas une veille qui se met en place, ils en sont réduits à ne parler d’Europe que quand nationalement, Emmanuel Macron va faire un déplacement ou que se passe une grande actualité comme l’affaire des sous-marins qui suscite une réaction européenne. On ne suit pas l’ensemble des décisions en France. Une des problématiques de la politique européenne, qui est en inadéquation avec le fonctionnement des médias français, est qu’elle est très étirée dans le temps. Par exemple, le RGPD (Règlement général sur la protection des données) est annoncé par la Commission en 2012 pour la première fois. Son vote final est réalisé en 2016 et son entrée en vigueur en 2018. En France, peu de projets de loi mettent plus d’un an à être adoptés. Nous ne sommes pas habitués et nous ne savons pas traiter ces débats quand ils sont aussi longs. Il y a une vraie difficulté à traiter cette complexité.
Sur le comment solder la question, il existe quelques leviers que l’on peut activer sur la partie médiatique. Premièrement, les rédactions nationales de radio et de télévision ne savent pas compter quelle proportion de sujets elles mettent en avant. Elles sont incapables d’indiquer sur une année la proportion de la couverture donnée sur la sécurité, l’histoire, l’Europe, les communes, les territoires, etc. Il faudrait pousser les chaines, par le biais d’une charte, à mettre en place un décompte des sujets européens. C’est ce qui été fait sur la partie outre-mer quand on a arrêté France O. Cela a permis à ces chaines de se rendre compte de la part qu’elles consacraient vraiment à un sujet et donc, de pouvoir amener un correctif. Il est difficile de prendre du recul pour les équipes qui préparent les JT. Un décompte permettrait ainsi d’avoir un esprit critique à long terme pour faire des priorités annuelles et biannuelles sur la couverture des sujets. Il faudrait amener un suivi organisé par le CSA (Conseil supérieur de l’audiovisuel) des sujets que les chaînes mettent en avant.
Deuxièmement, il faudrait signer un pacte pour la visibilité de l’Union européenne avec ces chaînes. Ce pacte suivrait la logique de la carotte et du bâton, c’est-à-dire faire du « name and shame » pour celles qui ne font pas le travail tout en récompensant par de l’attention politique, par de la reconnaissance publique du CSA ou d’autres autorités, l’engagement des chaines qui font un effort. En ce moment, il y a une programmation sur l’Europe qui est plus forte venant de la télévision publique avec, par exemple, le reportage du 6 mai dernier sur « Bruxelles, ton univers impitoyable » de France Télévisions. En revanche, du côté de la télévision privée, la programmation sur l’Europe reste extrêmement limitée. C’est également vrai pour les radios comme Europe 1 qui traitait le plus de l’Europe et dont la ligne éditoriale est en train de changer.
Troisièmement, il faut uniformiser le niveau d’attente pour les médias vis-à-vis de l’Europe. Si on prend le cahier des charges de Radio France et de France Télévisions, celui de Radio France ne parle pas d’Europe. Il faut commencer par niveler par le haut le niveau d’exigence sur ce sujet, le chiffrer et mettre des objectifs concrets à ces deux institutions.
Enfin, en tant que chaîne de radio ou de télévision, on signe une convention avec le CSA. Dans cette convention, il y a un certain nombre d’enjeux éditoriaux comme la promotion des valeurs de la République, de la diversité. Si les mesures précédemment citées ne fonctionnaient pas, on pourrait aller jusqu’à mettre dans ces conventions un objectif sur l’Europe, pour emmener l’ensemble du secteur à une meilleure couverture ».
Interview de Mélanie Vogel :
Mélanie Vogel est conseillère sur les affaires constitutionnelles pour le Parti Vert européen (Greens/EFA). Elle est diplômée de Sciences Po Toulouse et a obtenu un master dans la section « Europe et Sociétés » à Sciences Po Paris. Elle a également suivi la formation « Politiques et Administration » au Collège d’Europe à Bruges. Mélanie Vogel a notamment travaillé à la maison de l’Europe de Paris avant de rejoindre le groupe parlementaire des Verts européens.
Question : Le modèle migratoire de l’Union européenne est-il soutenable au regard de la crise de 2015 qui a provoqué une vraie fracture européenne ?
Mélanie Vogel (MV) : « Aujourd’hui, on n’a pas un modèle qui est soutenable du point de vue de la politique migratoire parce que le système de Dublin ne marche pas. Il faut le réformer, c’est une priorité absolue. Il faut surtout réformer cet axiome selon lequel les demandeurs d’asile demandent l’asile au premier pays où ils arrivent. Lorsqu’il y a une crise migratoire majeure, cela met une pression démesurée sur les pays ayant un contact direct avec ceux d’où sont issus les réfugiés. Il s’agit d’une des grandes priorités qui a été bloquée durant des années. Cela relève davantage d’un sujet institutionnel où le Parlement se bat avec le Conseil. Au Parlement européen, des propositions ambitieuses ont été faites sur l’immigration. Le problème est que c’est un sujet qui est bloqué au Conseil depuis très longtemps puisque c’est un sujet très clivant et très instrumentalisé dans les différentes opinions publiques nationales, c’est pour cette raison que c’est compliqué d’avancer ».
Q : Une réforme du Conseil pour abandonner le vote à l’unanimité serait-elle envisageable ?
MV : « J’espère que ce qu’il s’est passé pendant la négociation du dernier plan de relance et du cadre financier pluriannuel restera en mémoire. On a réussi à politiser la question de l’unanimité au Conseil qui a toujours été soutenue comme une priorité absolue par les écologistes. Pendant les négociations du plan de relance, on a vu que c’était extrêmement important. Quelques pays, notamment des paradis fiscaux, prenaient en otage l’entièreté du continent parce qu’ils refusaient un plan de relance ambitieux alors même qu’on sait que ces mêmes Etats s’enrichissent sur le dos des pays qui avaient le plus besoin de cet argent. J’espère que la Conférence sur l’avenir de l’Europe pourra arriver à des propositions car c’est une question clé puisque l’unanimité bloque tout, que ce soit en matière fiscale ou sociale qui sont pourtant des domaines essentiels pour le bon fonctionnement de l’Europe. Si on a les compétences pour gérer un marché, mais qu’on n’a pas les compétences pour gérer les externalités négatives de ce marché, qui sont les inégalités sociales, alors on est totalement déséquilibré. Il est très facile de se mettre d’accord sur ce qui concerne le marché mais il est beaucoup plus difficile de se mettre d’accord sur tout le reste. Le problème est qu’aujourd’hui, si on n’a pas un processus constitutionnel différent sur cette question avec par exemple un référendum paneuropéen, il faudra l’unanimité pour renoncer à l’unanimité. On est donc bloqués dans ce débat là depuis des décennies ».
Q : Y-a-t-il une porte de sortie pour le vote à l’unanimité ?
MV : « Mon espoir est qu’on arrive à utiliser ce momentum opéré lors de la crise de la Covid qui a permis de dépasser des tabous infranchissables comme la mutualisation de la dette publique. On a réussi à faire monter et à politiser ce sujet du blocage par quelques Etats qui était scandaleux. Pour que cela marche, la seule manière est que ce sujet autour de l’unanimité soit politisé et pour que cela soit politisé, il faut qu’il y ait des problèmes. Il faut mettre en avant le fait que parfois on n’avance pas parce qu’il y a un Etat qui bloque le processus. C’est en politisant les choses que l’on crée de la pression, et c’est avec la pression que l’on fait plier les Etats. Tant qu’on reste au stade de la simple discussion théorique concernant les changements institutionnels à l’intérieur du Conseil, rien n’avancera ».