Article rédigé par Zacharie SCHAERLINGER.
L’hiver vient, le chantage nucléaire russe aura-t-il gain de cause ?
Suite aux récentes avancées de l’armée ukrainienne sur les fronts de Kherson et du Donbass depuis début septembre, le président russe Vladimir Poutine a décidé de presser le pas en déclarant l’annexion de provinces partiellement occupées par l’armée russe. Ces annexions, que la communauté internationale refuse de reconnaître, font suite à des référendums décrits comme une véritable mascarade par le président ukrainien Volodymyr Zelensky.
La Russie a fait appel à ses réservistes afin de pallier les pertes de la guerre : environ 300 000 hommes ont été mobilisés, même s’il est très difficile d’en avoir une estimation précise. En effet, la Russie avance le chiffre de 5 937 soldats perdus depuis le 24 février dernier, quand les Occidentaux parlent de 70.000 à 80.000 soldats russes tués ou blessés depuis le début de la guerre, sans compter les pertes matérielles.
Des référendums d’annexions illégitimes
Les annexions sur le sol ukrainien sont restées à la marge du plébiscite, malgré des référendums d’adhésion aux records historiques (87,05 % de voies en faveur d’une jonction à la Russie à Kherson, 93,11 % à Zaporijia et 98,4 % dans le Donbass) : de quoi questionner leur légalité. A fortiori, aucune de ces régions n’est totalement sous le contrôle de l’armée russe. En effet, les citoyens qui habitent dans les zones de guerre à Kherson et Zaporijia vivent sous le joug des occupants russes qui les exposent à de potentielles représailles. Quant aux régions du Donbass, en partie sous contrôle de groupes pro-russe depuis 2014, l’État russe alimente en vivre, en matériel et en argent les habitants de ces zones. Ainsi, Donetsk n’étant que partiellement contrôlée, Louhansk en voie de reconquête par l’armée ukrainienne, et les régions de Kherson et de Zaporijia n’étant toujours pas conquises, ces annexions peuvent aussi être critiquées dans le fond.
Une partie de la population appelée à se rendre aux urnes a fui les bombardements quand elle en avait encore la possibilité. En zone occupée, comme dans la ville dévastée de Marioupol qui enregistre des dizaines de milliers de morts, bureaux de vote mobiles, dépourvus isoloirs, et urnes à découvert ont empêché de tenir le scrutin des électeurs secret.
La situation est la suivante : comment des référendums d’annexion aux contours flous, sans garantie démocratique, organisés dans des zones de guerre dont les derniers habitants vivent sous la peur de l’occupant, peuvent-ils être légitimes aux yeux de la communauté internationale ?
Le diable peut-il sortir de sa boîte ?
Dès les premiers jours du conflit, Vladimir Poutine a fait allusion à la possibilité de recourir à l’arme atomique, quitte à décrédibiliser toute dissuasion nucléaire russe*. Bien sûr, il ne s’agit absolument pas de nier les possibilités de recours à la bombe, dont les conséquences seraient funestes et irréversibles, mais d’avancer des arguments et grilles de lecture pour disséquer ses discours. Avec ces annexions, les territoires feraient partie de la Fédération de Russie qui, “dans le cas de la défense de son intégrité territoriale” aurait le droit d’user de “tous les moyens à sa disposition pour protéger son peuple”. En somme, avec des référendums d’annexion qui incorporent les quatre régions ukrainiennes, la Russie pourrait user de toutes les ressources, y compris nucléaires, pour bouter les ukrainiens hors de ce que Poutine considère comme des “territoires russes”. Mais ces menaces ne sont pas uniquement le fait de Vladimir Poutine. D’éminentes figures comme l’ancien président Dmitri Medvedev déclarait que “la Russie a le droit d’utiliser l’arme nucléaire sans demander d’autorisation à personne”. Ramzan Kadyrov, président de la République de Tchétchénie et fidèle de Poutine, appelait quant à lui à user “d’une arme nucléaire de faible ampleur”, afin de pallier les revers de l’armée russe. Il est l’une des rares personnalités qui ose critiquer ouvertement la chaîne de commandement russe pour ses déboires.
Dans la doctrine militaire russe, rien n’interdit d’utiliser l’arme nucléaire tactique, considérée comme étant de faible intensité mais dont la puissance est équivalente à celle utilisée à Hiroshima. Cette arme, au potentiel de destruction inégalé, pourrait avoir un impact limité et cela pour plusieurs raisons. Premièrement, utiliser une arme de destruction massive sur un front mouvant, soldats ukrainiens et russes se faisant face à quelques kilomètres de distance, risque d’irradier ses propres hommes et il n’est pas assuré que ses soldats soient pourvus en protection NBC (nucléaire bactério chimique). De plus, irradier une zone que l’on tente de contrôler, voire d’annexer ne serait certainement pas propice au retour à la vie pour les cinquante prochaines années. Les potentielles retombées atmosphériques sont à prendre en considération car les nuages radioactifs ne s’arrêtent pas aux frontières des États et il se pourrait tout aussi bien que les espaces européen, russe et biélorusse en fassent les frais. Enfin, quelle cible choisir ? Les soldats étant éparpillés sur un front de 1000 kilomètres, il ne reste que les infrastructures logistiques et des civils à cibler, quitte à susciter l’ire de la communauté internationale, dont les géants indien et chinois qui, sans rompre avec la Russie, ont fermement condamné la guerre.
*Le principe de dissuasion à pour objectif de susciter la peur d’attaquer. Elle agit comme une garantie dans le cas d’une agression, l’agresseur s’exposant à une destruction totale. En Ukraine, les rôles sont inversés et Vladimir Poutine ne peut pas invoquer le nucléaire comme arme offensive. Un contrat moral tacite entre puissances nucléaires empêche l’utilisation de l’arme contre un adversaire non nucléaire, ce qui provoquerait un précédent et ferait voler en éclat les traités de non proliférations. Poutine décrédibilise sa dissuasion mais suscite l’inquiétude dans le camp occidentale
Les effets délétères de la mobilisation
Perte russe en 3 semaines de conflits, Source Reddit according to Oryx
Face aux problèmes de l’armée russe rencontrés sur le terrain, notamment celui des pertes humaines et de matériel stratégique*, Poutine a décrété une “mobilisation partielle”, non sans provoquer des manifestations de grande ampleur dans les principales villes de Russie. Cette mobilisation partielle est loin de faire l’unanimité dans la société russe, dont une partie concernée préfère fuir à l’étranger afin d’éviter d’être enrôlée dans l’armée. Jusqu’à présent la Russie avait concentré ses efforts de mobilisation dans les régions pauvres de Russie et parmi les minorités ethniques. Les estimations auraient atteint le chiffre de 700 000 russes ayant fui à l’étranger. Et ce chiffre, bien qu’il s’agisse d’une estimation, est inquiétant pour la Russie à plus d’un titre. Premièrement, ces conscrits sont des ressources importantes pour l’économie russe, pour qui une levée de masse de ses travailleurs et étudiants représente une saignée beaucoup plus dommageable que toutes les sanctions occidentales à long terme. De l’autre côté, il n’est pas certain que ces hommes soient utiles au combat, faute de l’entraînement et du matériel nécessaire à leur déploiement opérationnel. Cette tendance est celle qui semble se confirmer car plusieurs unités russes formées suite à la mobilisation ne trouvent pas d’infrastructures nécessaires à leur accueil lors des transits ferroviaires à destination de l’Ukraine. Les militaires le font aujourd’hui savoir via les réseaux sociaux, quitte à provoquer un état de rébellion au sein de l’armée.
*En plus de perdre des hommes et du matériels, la Russie est incapable de remplacer le matériel perdu par du matériels de qualité égale et puisse dans ses réserves des chars datant de 1960 non modernisés. Ce qui n’est pas le cas de ukrainiens qui reçoivent de plus en plus d’armement moderne et supérieur à celui de la Russie. Cela ce traduit par une asymétrie des forces, où l’Ukraine peut reprendre l’avantage, comme le démontre la récente percée pers de Kharkiv.
Référendums illégaux, chantage nucléaire pour semer le trouble dans l’opinion publique occidentale et mobilisation impopulaire, Poutine semble additionner plusieurs décisions particulièrement éruptives, quitte à s’enliser dans une fuite en avant. Certaines personnes appellent à ne pas pousser Poutine dos au mur, car si le docteur Folamour venait à être lâché, la suite serait irréversible : rien ne l’empêcherait d’utiliser une arme nucléaire, puis une autre et ainsi de suite. Si tant est que Vladimir Poutine siège encore au Kremlin après l’ouverture de la boîte de Pandore. Les Américains, qui surveillent l’arsenal russe, ont mis en garde sur l’emploi de ces armes et la Chine aurait quant à elle aussi fixé une ligne rouge sur l’utilisation de l’arme nucléaire. La morale incite les Etats qui disposent de l’arme nucléaire à ne pas se servir d’armes atomiques contre d’autres États qui en sont dépourvus, au risque de faire voler en éclats les règles de non-prolifération. La course à la bombe deviendrait un phénomène mondial, chaque État misant potentiellement sur l’arme nucléaire pour assurer sa survie. Enfin, la chaîne de commandement pour décider d’une frappe nucléaire tactique étant particulièrement opaque, il n’est pas à exclure que l’élément humain fasse défaut en refusant d’appliquer les ordres, s’ils venaient à être donnés. L’utilisation d’ogives, stratégiquement limitée sur le terrain, aurait des conséquences inimaginables à l’international.
Dans sa lettre du dimanche du Grand Continent, le politologue Bruno Tertrais affirmait que “utiliser l’arme atomique dans un conflit qui s’enlise […] revient à assassiner tout un stade si l’on n’arrive pas à marquer un but. Cela ne sert à rien, sauf à changer la nature de la guerre”. Tous ces éléments, à l’issue incertaine, appellent à la prudence. Appuyer sur le bouton et c’est un saut dans l’inconnu. Plus le temps passe et plus la Russie de Vladimir Poutine aura du mal à freiner l’avancée ukrainienne tout en tentant de contrôler son pays. L’arme nucléaire semble être l’atout final de cette guerre, faisant suite à un raisonnement bancal et basé sur des présupposés erronés*. Elle est l’un des derniers leviers pour faire pression sur les Occidentaux et susciter l’effroi. L’heure n’est plus à l’attente. Et c’est précisément la question du type d’action à mener, face au raisonnement émotionnel de Poutine, qui oblige les Occidentaux à rester prudents. Une vigilance graduelle qui ne doit pas saper le soutien apporté à Kiev.
*L’état major russe tablait sur le ralliement de la population civile, la reddition des soldats ukrainiens et la non implication des occidentaux avec des livraisons d’armes pour soutenir Kiev. Les officiers russes pensaient que la guerre serait courte, avec 4 jours de ravitaillement et munitions, tout en emportant leurs costumes de parade dans leur affaires.
Pour approfondir ce sujet, nous avons le compte rendu du livre “Donbass” de Benoît Vitkine, sur notre site, rédigé par Lisa Berdah.