Chypre, l’île stratégique de la méditerranée orientale

Article par Jeremy Balouka

 

Loin des yeux, proche du cœur et du moyen orient : Chypre, l’île stratégique de la méditerranée orientale 

Chypre est une île, et en tant qu’île, elle est marquée par les caractéristiques de l’insularité : un relatif isolement malgré sa position de carrefour, une économie en partie dépendante de l’extérieur, des ingérences externes et des particularismes. Dans le temps long, elle se positionne comme carrefour entre trois continents, l’Europe, l’Asie et l’Afrique, ce qui a plutôt représenté pour l’île une fatalité qu’un atout. Sa position stratégique, lui permettant de contrôler les routes commerciales et les centres énergétiques, est essentielle pour toute puissance souhaitant peser en Méditerranée orientale (MÉDOR). C’est le cas des puissances eurasiatiques russes et turques, mais aussi de l’Union européenne, qui comptent bien tirer profit de l’histoire et de leurs avantages, pour faire de Chypre un outil de puissance.

 

 

Brève histoire de Chypre et de la question identitaire

Après avoir longtemps joui de sa position d’« île entourée par les flots », Chypre est devenue l’enjeu de guerres entre Perses et Grecs au VIème siècle avant J.C. Elle passe dans l’empire d’Alexandre le Grand puis sous la coupe des Ptolémées d’Egypte. C’est durant cette période hellénistique que la culture chypriote assimile la culture grecque. Cette hellénisation de l’île perdure durant la domination de l’Empire romain à partir de -58. C’est à cette date qu’il faut replacer le début du conflit identitaire actuel : lors de l’émergence de la chrétienté. C’est Paul de Tarse lui-même qui christianise l’île. Lors de la division de l’Empire romain de 395, Chypre passe sous l’aile de l’Empire byzantin et rapidement, en 431, l’archevêque de l’Eglise chypriote devient autocéphale pour cause d’insularité. Cette période prospère est interrompue par les Arabes du sultanat Omeyyades puis Abbassides qui imposent un condominium sur l’île du VII au Xème siècle ; les Byzantins dirigent la vie religieuse et les Arabes la vie politique, fiscale et militaire. C’est à cette période que débute l’islamisation de l’île.

En 965, l’Empire byzantin rétablit son entière souveraineté sur Chypre. La situation stratégique de Chypre a conduit les croisés à s’installer sur l’île, s’en servant comme point de départ des expéditions entre 1191 et 1489 ; coexistent alors en paix l’Eglise orthodoxe grecque et une Église catholique latine. Après la courte domination vénitienne (1489-1571) durant laquelle l’Eglise latine domine la vie spirituelle de l’île, l’Empire Ottoman s’empare de l’île, évince l’Eglise Latine -car vénitienne-, et établit l’archevêque orthodoxe comme ethnarque (chef religieux et représentant politique des Chypriotes grecs). Cette relative autonomie religieuse et politique permet aux Chypriotes grecs de conserver leur identité Antique face aux Chypriotes turcs en minorité numérique. C’est durant cette période et plus spécifiquement lors des revendications du mouvement des nationalités dans les années 1820 que le mouvement Enosis (« union » en Grec) naît. L’opportunité de se séparer de l’Empire Ottoman et de s’unir avec la Grèce est immense pour les Chypriotes grecs lorsqu’en 1869 le canal de Suez s’ouvre. En effet, les Britanniques, voulant toujours plus sécuriser la route des Indes voient en Chypre un nouveau point de contrôle stratégique. De plus, le gouvernement britannique avait prévu de céder les îles ioniennes au Royaume de Grèce et par conséquent semblait enclin au projet de « La Grande Idée » (réunir tous les territoires où les Grecs sont majoritaires). C’est ainsi qu’en 1878, les Britanniques administrent l’île sous prétexte d’une alliance défensive avec les Ottomans et contre les Russes, qui, rappelons-le, s’en étaient déjà pris aux territoires ottomans en 1853.

Lors de la première guerre mondiale, la position de Chypre est cruciale pour combattre l’Empire Ottoman. L’issue de cette guerre entraîne la scission définitive de Chypre de l’Empire Ottoman sous le coup du Traité de Sèvres (1920) puis de Lausanne (1923) dans lesquels la nouvelle République turque reconnaît l’abandon de ses prétentions sur l’île. Chypre termine finalement dans l’Empire Britannique qui réprime toute revendication d’émancipation et réduit drastiquement les droits des Chypriotes. Toujours en faveur de l’Enosis, un premier référendum est mené en 1950 de manière illégale par l’archevêque orthodoxe ; il est approuvé à 95,7% par les Chypriotes Grecs. Face au refus britannique, des Chypriotes grecs décident de prendre les armes et s’engagent dans l‘Ethniki Organosis Kyprion Agoniston (EOKA), favorisant la diplomatie par la guérilla. De son côté, l’Empire britannique recrute des milices chypriotes turques pour leur opposer la dure réalité du fer et du sang. La nationalisation unilatérale du canal de Suez par le président Egyptien Gamal Abdel Nasser de 1956 montre aux britanniques l’importance que représente Chypre ; ils décident alors de négocier, afin de ne pas perdre définitivement cet avantage stratégique. Les accords de Zurich et de Londres de 1959 mettent fin à la guérilla d’EOKA et le traité de garantie en 1960 proclame l’indépendance de Chypre, une Constitution et l’abandon de toute prétention britannique future.

Cependant, reliquats de la présence britannique, ces derniers conservent deux bases militaires sur l’île, et, plus important, les Chypriotes turcs sont favorisés par la Constitution dans les institutions (30 % des postes dans la fonction publique et 40 % dans la police) alors qu’ils ne représentent que 18% de la population de Chypre en plus de quoi ils disposent d’un droit de veto. A la suite de propositions d’amendements de la constitution à partir de 1963, qui se sont systématiquement vus opposés un droit de veto, de sanglants affrontements intercommunautaires éclatent en décembre de cette année ; et dès 1964, une partition de facto est en place, poussée par la volonté du gouvernement turque de « Taksim » (la partition de l’île). S’ensuit alors une décennie de crises et de conflits, culminant en 1974 lors de la tentative coup d’Etat de la dictature militaire grecque à Chypre. La Turquie débarque dans le nord de l’île le 20 juillet 1974 en vertu d’une clause du traité de garantie de 1960. Après un mois de combats, Ankara contrôle le tiers nord de l’île, ce qui provoque un exode massif de populations (200 000 Chypriotes grecs chassés au sud ; 42 000 Chypriotes turcs chassés au nord) et la création de facto de deux entités politiques : la République de Chypre et la République Turque de Chypre du Nord (RTCN). Cette dernière est proclamée en 1983, mais, étant issue de la violation du droit international, n’est reconnue que par Ankara.

Ces deux entités sont séparées par une zone tampon où se trouve stationnée depuis 1974 une force d’interposition de l’ONU, la Force des Nations Unies chargée du maintien de la paix à Chypre (UNFICYP). Relativement à sa position durant l’affrontement des deux grands et fidèle à sa volonté de non-alignement, sans doute héritée du passé sanglant de l’île, l’ethnarque Makarios III œuvra pour minimiser l’impact des bases britanniques ainsi que l’influence américaine sur le sol chypriote grec durant la période de la Guerre Froide. Depuis, Annan, ancien secrétaire général de l’ONU, a tenté de mener une politique de réunification avec l’ONU en médiateur. Mais le plan Annan destiné à créer un Etat souverain et légal au regard du droit international qui puisse intégrer l’UE en 2004 fut un échec, laissant la situation au statu quo. Contrairement à sa pratique habituelle consistant à ne pas accueillir en son sein de pays affectés par des contentieux internationaux, l’Union européenne a admis la République de Chypre en 2004. Outre la satisfaction d’une demande activement soutenue par la Grèce, il s’agit d’une manœuvre diplomatique pour amener Ankara à assouplir sa position. La candidature de la Turquie semblait créer des conditions favorables pour une normalisation de la situation et la réunification de l’île, mais le pari se solda par un échec, consacré par le virage de la diplomatie turque en 2010.

 

Etat des lieux

Depuis 1974, la population chypriote vit majoritairement au sud, malgré le massif inhospitalier du Troodos. Les colons venant d’Anatolie et massivement envoyés par la Turquie ne compensent pas la perte démographique occasionnée par cette « taksim ».

Les ressources de Chypre sont distribuées de manière asymétrique. Le massif du Troodos situé dans la partie sud de la partition, est le château d’eau de l’île, d’où partent plusieurs fleuves et rivières qui irriguent la plaine de la Mésorée, relativement fertile par rapport au reste de l’île. En effet, Chypre est marquée par la sécheresse du climat méditerranéen, ce qui pose depuis toujours le problème de l’eau. En revanche, la chaîne de Kyrenia au nord n’est que très peu alimentée en eau. Les conditions de vie des habitants, ainsi que le développement des aptitudes agricoles et des activités touristiques, dépendent de la capacité à mettre en place et à entretenir des systèmes hydrauliques efficaces. L’agriculture occupe aujourd’hui une place plutôt faible en valeur dans l’économie chypriote (2,3 % du PIB de la République de Chypre). Durant tout le XX° siècle, les conflits de l’île ont entravé la modernisation de l’agriculture, alors que la plaine de la Mésorée dispose d’un fort potentiel agricole ; s’ajoute à cela le fait que la partition de l’île a ruiné les exploitations dans la partie nord. Cela fait maintenant quarante ans que les Chypriotes turcs attendent la mise en œuvre du programme d’aménagement promis par Ankara pour améliorer leur agriculture ravagée. Le clivage nord-sud entre les populations, et les rivalités entre ces peuples sont aussi alimentés par la question hydrique et agricole.

Cependant, ce clivage est aussi instrumentalisé pour bénéficier à Ankara autour de la question de l’or noir. En effet, la recherche lancée en 2008 par la compagnie texane Noble Energy au large des côtes chypriotes -voir carte- a abouti en 2011 sur la découverte d’un des plus grands gisements de gaz naturel au monde (129 milliards de mètres cubes), le gisement Aphrodite.  

A partir des années 1970, l’économie de la République de Chypre est passée d’une économie agricole peu intensive à une économie d’industrie légère ; cette dernière représente aujourd’hui 12,7% du PIB. A la suite de l’intégration de Chypre à l’Union européenne, l’économie s’est fortement tournée vers les services, qui sont devenus aujourd’hui les piliers de l’économie chypriote (74,1% du PIB). Plus précisément, le tourisme (15% du PIB) et le transport maritime (les activités de pavillons de complaisance représentent à elles seules 5% du PIB), ainsi et surtout que les revenus tirés de sa centralité financière, sont les branches desquelles Chypre produit la majeure partie de sa valeur ajoutée. La création de ce centre financier très particulier remonte à la guerre civile libanaise (1975-1990), qui provoque le transfert des activités bancaires de Beyrouth vers Nicosie. 

Aussi, la fin de la Guerre froide et le développement des oligarques durant la transition vers le capitalisme de la Russie, entraine l’afflux des fortunes russes. En fait, dès 1982, le gouvernement chypriote avait signé avec la Russie la Convention for the Avoidance of Double Taxation of Income and Property (accord pour éviter la double imposition du revenu et du capital), un accord bilatéral visant à faciliter le blanchiment d’argent et le transit par Chypre des capitaux russes vers des paradis fiscaux. Jusqu’à la loi anti-blanchiment de l’UE en 1996 et l’imposition accrue votée en 2005, Chypre représente 20% des IDE que reçoit la Russie. Cette dynamique s’est relancée depuis la création des Golden Passeports en 2013 qui avait pour but d’attirer les investissements lors de la crise de la dette, accordant généreusement la nationalité chypriote à toute personne qui investissait plus de 2,5 millions d’euros dans l’immobilier chypriote. Ces Golden Passeport ont d’ailleurs été une des raisons pour lesquelles les proches de Vladimir Poutine, qu’on ne présente plus, ont eu du mal à être sanctionnés : ils ont un passeport européen. La Commission européenne a fait pression sur Chypre en 2020 qui a arrêté cette distribution et 53% des 6700 personnes qui ont reçu un passeport par ce biais, sont dans le collimateur des procédures de l’Union européenne visant à leur retirer la nationalité.

De son côté, la RTCN tente de devenir un “casino flottant“ pour les ressortissants du Proche-Orient, mais cela ne suffit pas pour lui éviter de stagner dans le marasme économique.

 

Géopolitique contemporaine de Chypre

Précédemment, les problématiques de Chypre ont été rapidement brossées à travers la description de son histoire, de sa géographie et de son économie. Mais si elles paraissent indépendantes les unes des autres, ces problématiques sont extrêmement liées entre elles et pivotent toutes autour de la question de la partition de Chypre, qui est le terrain d’affrontement des puissances. Comment résoudre le problème de la partition ? Avant de se pencher sur la question, il faut comprendre ce qui est en jeu pour les potentielles puissances médiatrices. Chypre est au milieu de la Méditerranée orientale (MÉDOR) et est donc un carrefour des routes stratégiques ainsi qu’une base avancée du Proche et Moyen Orient pour l’Union européenne, la Grande Bretagne, la Turquie et la Russie. Elle dispose de ressources en hydrocarbures encore inexploitées et revendiquées par la Turquie. Elle est un paradis fiscal indispensable à la Russie. Enfin, la République de Chypre est membre de l’Union européenne, ce qui en fait un maillon rêvé pour qui veut semer le trouble dans les institutions de l’Union.

 

Chypre, la MÉDOR et la question militaire : un trouple de puissance ?

La Turquie maintient 40 000 soldats sur place, alors que la Grèce n’en a aucun, et implante des colons venus d’Anatolie estimés à environ 100 000 personnes. Elle est le seul État à reconnaître officiellement la RTCN. Cette dernière lui sert de gage pour d’éventuelles négociations avec la Grèce et pour intégrer l’Union européenne. Cela contribue à sécuriser ses ports sur la côte méditerranéenne ainsi que d’avoir une solide fondation pour ses revendications en méditerranée.

L’OTAN, et donc les Etats-Unis, souhaitent renforcer leur présence dans la MÉDOR. Depuis plusieurs années, ils sont convaincus du bien-fondé de la partition en croyant que c’est le meilleur moyen de résoudre définitivement le différend gréco-turc et d’intégrer de facto Chypre dans l’OTAN, s’ils laissent l’armée d’Ankara s’installer dans l’île. Ces dernières années, les actions d’Erdogan ont quelque peu calmé leurs ardeurs. 

Moscou se prévaut d’une militarisation pro-OTAN de Chypre. Pour cela, le gouvernement russe soutient la neutralité et la souveraineté de Chypre et l’encourage à acquérir de nouvelles armes. Dès 1997, la Russie commence à vendre massivement des armes à Nicosie, notamment des missiles ;  mais Washington s’oppose régulièrement à ces transactions et fait pression pour arrêter la militarisation croissante de la MÉDOR. Depuis 2013, Moscou bénéficie de facilités portuaires pour sa marine de guerre. La Russie dispose de deux bases militaires donnant sur la Méditerranée en Syrie : la base navale de Tartous et la base aérienne de Hmeimim (voir carte), qui permettent aux militaires russes de se dispenser d’un retour par le détroit du Bosphore et des Dardanelles. 

La Grande-Bretagne a conservé deux importantes implantations militaires avec accès à la mer : l’une près de Larnaca, à Dekhelia, l’autre à Akrotiri (voir carte), où se trouve l’unique base de la Royal Air Force en Méditerranée. Celle-ci joue un rôle essentiel pour participer aux opérations qui ont eu lieu au proche et moyen orient: en Afghanistan (2001-2021), en Irak lors de la deuxième guerre du Golfe (2003), dans la guerre civile libyenne (2011) et contre Daech depuis 2014. L’ONU, sur place depuis 1964, sert de force d’interposition entre Chypriotes grecs et turcs puis, à partir de 1974, sécurise la zone tampon. Le Conseil de Sécurité juge cette partition illégale.

 

Le facteur énergie et les revendications territoriales

La République de Chypre entend bien s’appuyer sur ces réserves pour améliorer sa situation économique. Toutefois, avant même la mise en exploitation du gisement Aphrodite, ce projet se heurte aux revendications de la Turquie. En effet, cette dernière depuis quelques années a lancé une politique d’expansion de sa ZEE, qui engloberait en particulier une bonne partie du gisement Aphrodite. Cette doctrine, qui s’appuie sur les réflexions des intellectuels et des militaires turques a abouti sur la définition d’une doctrine stratégique en MÉDOR appelée “Mavi Vatan”, ce qui signifie littéralement “Patrie Bleue”.  Cette doctrine est d’abord le rejet des revendications grecques et chypriotes sur la ZEE que leur accorderait la convention de Montego Bay relative au droit de la mer (1982) ; un accord que n’a pas signé Ankara qui estime qu’il est  inadapté à une région comme la méditerranée, où la multitude d’îlots appartenant à la Grèce et à la République de Chypre coupe l’accès de la Turquie à la méditerranée.

Cette doctrine est aussi la revendication d’une large ZEE qui engloberait une grande partie du gisement Aphrodite (voir carte). Pour concrétiser sa politique, arrêter les prospections et gêner constamment les zones dans lesquelles elle reconnaît sa propre souveraineté, Ankara envoie régulièrement ses navires de prospection sismique escorté par sa marine de guerre. S’ensuit généralement une rapide escalade militaire entre la Grèce, la Turquie et Chypre au milieu, où se mêlent exercices militaires, dénonciations publiques, menaces diplomatiques et programmes d’achat d’armes. La proximité de ces Etats empêche la délimitation des 200 miles de ZEE et restreint leurs eaux territoriales à 6 miles au lieu de 12. L’extension par la Grèce de ses eaux territoriales à 12 miles – ce qui est légal aux yeux du droit international – constitue un casus belli pour Ankara. En temps normal, cette situation devrait se régler par la signature d’accords bilatéraux, mais la tension permanente contraint les Etats au rapport de force constant.

Le facteur énergie joue aussi un rôle prépondérant dans les relations russo-chypriotes, dès lors que la Russie a commencé à amplifier ses liens économiques avec Ankara. En 2011, ces deux pays tombent d’accord pour prolonger le pipeline Blue Stream (Blue Stream 2) en direction de Chypre et d’Israël. Cependant, la découverte des gisements Aphrodite et Léviathan a conduit Nicosie et le gouvernement israélien à trouver un accord en 2020  sur l’exploitation et la construction d’infrastructures de transport du gaz de leur bassin commun, permettant ainsi de s’affranchir de Blue Stream 2. Cet accord tripartite signé à Athène entre la Grèce, Chypre et Israël prévoit la construction d’un gazoduc, appelé EastMed, reliant ces trois pays aux réserves gazières de la MÉDOR (voir carte). Le gisement Aphrodite constitue un enjeu important pour l’Union européenne dans la perspective d’une diminution de sa dépendance vis-à-vis du gaz russe. C’est pourquoi la Commission européenne a annoncé dès 2013 que ce projet était d’intérêt commun et a contribué au financement. Cependant, le projet revient toujours sur la table par le biais de sa faisabilité. Bien que cet ensemble d’exploitation et de transport semble être une aubaine pour l’Europe, le champ gazier est profond et l’oléoduc sous-marin ; il est vraisemblable que ce projet ne soit pas rentable. En effet, rien que EastMed devrait coûter entre 7 et 9 milliards d’euros, sa construction prendra 5 ans et il est estimé que l’oléoduc ne sera rentable que 20 ans après sa mise en service. Depuis la guerre en Ukraine et la hausse du prix de l’énergie, l’intérêt est vif parmi les membres de l’Union, mais la question des tensions avec Ankara et le problème écologique que soulève un investissement dans les énergies brunes a conduit Washington à retirer son soutien au projet.

Conclusion

Le statut particulier de Chypre ainsi que sa situation géographique font de cet État un enjeu intemporel des relations internationales et de la géopolitique de “l’île mondiale”. Si la question de la partition est encore au cœur des problématiques internes de Chypre, elle n’est aujourd’hui qu’un prétexte pour la Turquie de soutenir sa position en Méditerranée et une épine d’autant plus grosse dans les volontés stratégiques de l’Union européenne et de la Russie. Le chamboulement de la guerre en Ukraine conduit les Etats membres de l’Union à “sortir de leur naïveté géopolitique” et à se questionner sur la création d’une véritable Europe géopolitique, qui débute par la création d’une nouvelle boussole stratégique en mars 2022. Elle devrait conduire l’Union à durcir sa position à l’égard de la Russie ainsi que de la Turquie, et ce changement s’opère et s’opérera aussi sur le terrain de Chypre.

 

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