Articles par Lou-Ann Credot et Clarent Gerard
Le débat sur l’immigration au cœur des considérations en Europe
Avec le recul du parti nationaliste Droit et Justice en Pologne lors des élections du dimanche 15 octobre 2023, c’est aussi un recul pour les positions anti-immigrations du pays. Cela offre un espoir de voir le recul des partis populistes dans toute l’Europe qui montaient en puissance ces dernières années. Or dans le discours prononcé le 21 octobre 2023 par Olaf Scholz, le chancelier allemand, dans le journal Der Spiegel, montre bien que les débats autour de la question migratoire restent fortement présents en Europe.
Lors de son interview, le chancelier déclare « wir müssen endlich im großen Stil abschieden », « nous devons nous résoudre à des expulsions massives ». Il annonce ainsi vouloir « mieux faire la distinction » entre les nouveaux arrivants afin d’accueillir les exilés menacés dans leur pays ainsi que « la main d’œuvre dont nous avons besoin » tout en envoyant ceux qui ne correspondent pas à ces critères. Olaf Scholz veut ainsi aller plus loin que les contrôles aux frontières polonaise, suisse, tchèque et autrichienne annoncé le lundi 16 octobre.
Le discours du chancelier allemand s’inscrit dans des débats plus larges que l’on retrouve en Allemagne. Le parti Alternativ für Deutschland domine l’opposition au gouvernement de Scholz avec comme point central d’être anti-immigration. Selon les derniers sondages, le parti pourrait obtenir le vote de 19% des Allemands si des élections au niveau fédéral devaient avoir lieu. A la stupeur générale, un nouveau mouvement de gauche anti-immigration voit le jour le 24 octobre 2023 sous le nom de « Sahra Wagenknecht – pour la raison et la justice ». A la suite du discours du chancelier, la ministre de l’intérieur allemande, Nancy Faeser a présenté ce mercredi 25 octobre un projet de loi visant à faciliter les renvois de réfugiés sans droit de séjour.
Ce phénomène s’étend au-delà des frontières allemandes à travers toute l’Europe. Le rapport de l’OCDE publié le lundi 23 octobre 2023, estime qu’il y a sur le continent européen une augmentation de l’immigration de 26% d’une année à l’autre.
Le discours de contrôle des frontières se retrouve également chez Giorgia Meloni, la présidente du conseil italien. Cette dernière annonce l’introduction d’un contrôle à la frontière avec la Slovénie pour faire face à la hausse du niveau de menace d’action violente au sein de l’UE ». Les renseignements italiens ont averti leur gouvernement des risques de potentielles infiltrations terroristes au sein des flux migratoires par voie maritime et terrestres, notamment via la route des Balkans. Avec le déclenchement de la guerre entre Israël et le Hamas, des flux de réfugiés sont à prévoir, il est donc nécessaire pour la présidente du conseil de « contrôler ces flux migratoires en raison de sécurité nationale ». Pour faire face à l’afflux de migrants en mer méditerranée, l’Italie a récemment adopté un décret qui entrave en partie les activités des navires d’ONG, tel que l’Ocean Viking, qui est un navire-ambulance de SOS Méditerranée venant à la rescousse de rescapés traversant la Méditerranée. L’ONG dénonce ce mercredi 25 octobre ce décret qui oblige les bateaux à transporter les personnes secourues vers des ports lointains de la première opération, les empêchant d’enchaîner les sauvetages.
Les débats sur l’immigration en Europe sont donc loin d’être terminés. Les partis populistes des autres pays européens continuent de progresser et de faire pression sur les gouvernements européens, alors que la présidente de la commission, Ursula von der Leyen a proposé mardi 24 octobre de conclure de nouveaux partenariats “sur mesure” permettant à des pays tel que l’Égypte, la Mauritanie ou encore le Sénégale, de bloquer l’arrivée des migrants vers les côtes européennes contre des investissements pour développer leur économie ou leurs infrastructures.
Viktor Orban : Un Homme isolé au centre de l’Europe
Le lundi 23 octobre 2023, le premier ministre Hongrois commémore l’insurrection antisoviétique de 1956. A cette occasion, il prononce un discours qui résonne jusqu’à Bruxelles. Le dirigeant du parti national conservateur hongrois rapproche Bruxelles et Moscou après la glorification des héros et des martyrs de 1956. Les sermons envers la capitale de l’Union européenne ne passent pas inaperçus.
Il déclare que « Moscou était une tragédie, Bruxelles n’était qu’une parodie contemporaine mal exécutée ». Le premier ministre entend transmettre aux dirigeants de l’Union que la Hongrie pense différemment sur les quotas de migrants, sur les questions d’identité de genre, sur l’approche vis à vis de la Chine et sur la paix en Ukraine, comme l’affirme Zoltan Kiszellv, un politologue hongrois, dont les propos ont été repris par le courrier international.
La politique de Viktor Orban se distingue largement de celle des autres États européens. La Hongrie est le seul pays de l’OTAN à refuser de livrer des armes à l’Ukraine. Péter Kreko, dans The Guardian,affirme que le leader hongrois tente de garder un lien avec Poutine en tant que tête de pont entre l’Est ou l’Ouest. La volonté hongroise de ne pas livrer d’armes s’est manifestée par la présence de V. Orban au sommet des routes de la soie et sa rencontre avec le président du Kremlin le 17 octobre dernier. Ensemble, ils évoquent les relations économiques bilatérales et des questions énergétiques. Le dirigeant hongrois plaide en faveur d’une paix en Ukraine et considère « primordial que la vague de réfugiés, les sanctions et les combats cessent ». Viktor Orban est le seul représentant européen à avoir fait le voyage. Tandis que les liens entre le Kremlin et Orban semblent se resserrer, le leader hongrois défend sa position lors du sommet européen de ce jeudi 26 et vendredi 27 devant les leaders européens. Ces derniers condamnent ses actions, y voyant une offense aux soldats ukrainiens, comme l’a déclaré le premier ministre luxembourgeois.
Alors que l’unité européenne se fissure face à Vladimir Poutine, comme le déclare un ancien chef du comité militaire de l’OTAN Petr Pavel, la loyauté de la Hongrie est remise en question par l’ambassadeur des États-Unis en Hongrie, David Pressman. Viktor Orban « choisit de soutenir un homme dont les forces armées sont responsables de crimes contre l’humanité », et ce malgré le mandat d’arrêt de la cour pénale internationale contre Vladimir Poutine émit le 17 mars dernier.
Le leader hongrois est confronté à des oppositions de toute part. L’Union européenne a décidé de geler le versement de milliards d’euros de fonds destinés à Budapest. L’UE réclame l’adoption de 17 réformes afin d’améliorer l’état de droit en Hongrie. Des réformes qui ne plaisent pas au premier ministre qui ironise dans son discours du lundi 23 octobre « la réprimande du parti (communiste) a été remplacée par ce que Bruxelles appelle la procédure de l’état de droit ». Les oppositions au gouvernement Orban ne viennent pas seulement de l’extérieur. Une marche regroupant des milliers de personnes avec des slogans anti-gouvernement a eu lieu ce même lundi dans les rues de Budapest. En parallèle, des sceaux de peintures rouge ont été jetés sur la façade de la maison du premier ministre.
Sa position lors du sommet européen accentue l’isolement du leader hongrois. Il déclare dès l’ouverture de ce sommet être contre les plans budgétaires de l’UE pour l’aide à l’Ukraine. L’inquiétude européenne croît face à la politique hongroise, alors que le pays doit prendre la présidence de l’Union au second semestre de l’année prochaine et que son leader déclare qu’un changement est nécessaire dans la direction de Bruxelles.
La fin du soutien militaire slovaque en Ukraine : une perte majeure ?
Le 25 octobre dernier, la présidente slovaque Zuzana Čaputová nommait un nouveau gouvernement de coalition. A sa tête : Robert Fico, vainqueur des élections législatives de septembre 2023, avec le SMER, parti accusé de corruption, de populisme et de proximité avec le Kremlin. Déjà en poste entre 2006 et 2010 puis 2012 et 2018, il revient une troisième fois à la présidence du gouvernement slovaque, formé par l’alliance d’un parti d’extrême droite, le SNS et au parti de gauche HLAS.
Dès les résultats des élections, il exprimait déjà sa volonté de mettre fin aux aides vers l’Ukraine : « La Slovaquie et ses habitants ont des problèmes plus importants que l’Ukraine ». Le jeudi 26 octobre, au lendemain de sa nomination, Robert Fico met en application sa promesse en annonçant l’arrêt du soutien militaire à l’Ukraine. Il déclare considérer désormais son aide comme « humanitaire et civile ».
Il semblerait que cette décision n’ait pas d’impact financier conséquent dans la guerre en Ukraine. Entre janvier 2022 et juillet 2023, le montant de l’aide militaire de la Slovaquie s’élève à 700 millions d’euros, contre 17.1 milliards pour l’Allemagne ou 42.1 milliards pour les Etats-Unis, plus grand fournisseur de l’Ukraine. Néanmoins, la somme reste importante au regard du PIB du pays, ce qui démontre un investissement certain en termes de charge financière, tout comme la plupart des voisins de l’Ukraine. Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a d’ailleurs immédiatement réagi : « La part de la Slovaquie dans les livraisons d’armes n’était en effet pas si grande, et c’est pourquoi cela ne va guère affecter tout le processus ».
Robert Fico souhaite se concentrer sur une politique étrangère plus souveraine, refusant également de contribuer à toute prochaine sanction contre la Russie. Cette annonce fait donc office d’un message politique fort sur la position du gouvernement slovaque sur ses relations avec l’Ukraine et la Russie plus qu’une réelle sanction matérielle. A ce jour, aucune réaction ukrainienne n’est connue.
Premier exercice militaire de l’UE en Espagne : un pas vers une armée européenne ?
Du 16 au 22 octobre 2023, l’Union Européenne a concrétisé la réalisation de son premier exercice militaire en conditions réelles. Le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, a déclaré qu’un « nouveau chapitre de la défense de l’Union européenne » était en train de s’écrire.
Les travaux sur le sujet ont été entamés dès 2020, perturbés par la pandémie, puis repris en 2022. Josep Borrell soulignait déjà à l’époque des « menaces croissantes » et un « coût de l’inaction évident ». Dans un contexte de tensions avec la Russie, l’objectif européen est de mettre en place une nouvelle force militaire de réaction rapide. D’ici 2025, cette force européenne devrait être capable de mener seule des interventions faisant appel au déploiement de 5000 hommes, selon la stratégie approuvée en mars 2022 par les Etats membres.
Cet exercice, nommé « Milex 23 », a donc eu lieu sur une semaine au large de la baie de Cadix. Au total, ce sont neuf nations de l’UE, 2800 soldats et notamment 25 avions et 6 navires. L’objectif était de mettre en pratique la simulation d’un assaut, d’une sécurisation et d’une prise de contrôle d’une zone entre terre et mer. Le service diplomatique de l’UE affirme que cet exercice résulte de « 14 mois de planification et de préparation détaillées » directement à Bruxelles. En juin dernier, la plus grande édition de l’Arctic Challenge », exercice militaire aérien, avait déjà été mise en place par la coopération de défense nordique en réaction à l’invasion russe en Ukraine. C’est donc la première fois qu’un exercice de cette ampleur est dirigé entièrement par l’UE, et non délégué à un Etat membre.
D’autres manœuvres de ce genre devraient logiquement avoir lieu d’ici 2025 en vue de rendre cette esquisse d’armée européenne opérationnelle, qui semble vouloir montrer une prise de distance avec l’OTAN en Europe, ou une complémentarité selon les opinions.