Interpol et Europol : au cœur de l’histoire des enjeux sécuritaires internationaux et européens

Article par Clarent Gerard

Dans Le savant et le politique (1919), le sociologue allemand Max Weber définit l’État contemporain comme “une communauté humaine qui, dans les limites d’un territoire déterminé […] revendique avec succès pour son propre compte le monopole de la violence physique légitime ». Il semblerait ainsi que l’État est souverain sur l’activité policière, logiquement ancrée au sein du domaine régalien. Remontons plus loin encore dans certains Etats comme la France ou le Royaume-Uni au XVIIIème siècle, où le pouvoir de la police était essentiellement local. La police était donc encore loin de ses aspirations internationales, concentrée sur des problématiques internes.

Pourtant, la phase d’accélération de la mondialisation au XIXème siècle, sous l’impulsion des grandes puissances européennes, contribue à la montée d’une volonté commune de collaboration. L’histoire européenne du XIXème nous fait explorer une montée des tensions internationales aboutissant à la Première Guerre mondiale, mais aussi à une construction de plus en plus aboutie des relations interétatiques.

 

LA NAISSANCE DES ORGANISATIONS, UNE CONSTRUCTION TARDIVE

 

L’ancêtre d’Interpol, l’ « Organisation internationale de police criminelle », voit le jour le 7 septembre 1923 à Vienne, en Autriche, encore une fois au cœur de l’unification des pays, une centaine d’années après le Congrès de Vienne de 1814. C’est précisément 100 ans après que l’idée d’une police internationale émerge, lors du premier Congrès international de police en 1914, durant lequel 14 États échangent sur diverses techniques procédures et techniques policières. Initiative interrompue par la Première Guerre mondiale, c’est lors d’un second Congrès en 1923, réunissant 20 pays, que la CPIC (Commission internationale de police criminelle) est finalement fondée, installée à Vienne. Principalement européen, le congrès a pu également voir la présence de pays comme le Japon ou l’Egypte.

Il y a quelques mois, l’organisation célébrait ses 100 ans d’existence. 

De 1938 à 1946, la Gestapo nazie (police politique du IIIème Reich) s’empare du commandement de la CPIC, dont le siège est rattaché à Berlin. C’est seulement en 1946 que l’organisation renaît, dans le contexte bien particulier du lendemain de la Seconde Guerre mondiale, au centre d’une volonté commune de pacification internationale. Ainsi, un an après la création de l’ONU (Organisation des Nations Unies), la CPIC se reconstruit à l’initiative de la Belgique, de la France, du Royaume-Uni et des pays scandinaves. En 1956, la CPIC se modernise et prend sa dénomination actuelle : l’Organisation internationale de police criminelle, couramment appelée Interpol. C’est finalement en 1971 que l’ONU lui accorde son statut d’organisation internationale officielle. Un an plus tard, son siège s’installe à Lyon et n’a pas changé depuis. Aujourd’hui, l’organisation regroupe 195 pays membres, soit 2 de plus que l’ONU, et la totalité des États reconnus par les Nations Unies.

Europol, souvent confondue avec sa « grande sœur », est une forme d’Interpol au niveau régional. Fondée le 1er juillet 1999 à l’initiative de l’Union européenne, elle reste tout de même souveraine et indépendante. 

La collaboration policière en Europe n’est pourtant pas si récente. Avant les années 70, aucune organisation à proprement parler n’existait, mais les États européens pouvaient collaborer par le biais d’Interpol. Néanmoins, ces relations restaient limitées et sur la base du volontariat. Dès les années 70, l’Europe fait entendre une volonté de coopération plus poussée. En 1975, les États européens créent le groupe TREVI, structure qui vise à mettre en place et développer une coopération policière. Restée confidentielle jusqu’en 1989, le traité de Maastricht de 1992 officialise son existence.

Sur cet élan plus concret, c’est en 1995 que la convention pour la création d’Europol (European Union Agency for Law Enforcement Cooperation) est ratifiée par les États membres. À partir du 1er juillet 1999, l’organisation exerce pleinement ses fonctions, et siège à La Haye, Pays-Bas. Depuis 2007, le traité de Lisbonne simplifie le cadre institutionnel régissant la coopération policière, intégré au traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). En 2010, Europol devient une agence officielle de l’Union Européenne.

ÉVOLUTIONS, COLLABORATION ET ENJEUX

Europol et Interpol jouent des rôles cruciaux dans la coopération internationale en matière de lutte contre la criminalité. L’un comme l’autre se concentrent sur les activités criminelles transfrontalières : au sein de l’Union européenne pour Europol, ou à l’échelle internationale pour Interpol. Leur objectif est de faciliter l’échange d’informations entre les agences nationales pour lutter plus efficacement contre la criminalité organisée, le terrorisme, le trafic d’êtres humains ou encore la cybercriminalité. En fournissant une plateforme pour la coordination, l’analyse et la réponse rapide aux défis sécuritaires mondiaux, ces organisations œuvrent ainsi à renforcer la sécurité et la justice à l’échelle internationale. Bien qu’essentielles, ces organisations ne sont cependant pas exemptes de critiques. Concernant Interpol, un manque de budget certain est constaté. Un mode d’adhésion inadapté, une reconnaissance contestée, une politisation trop forte ou encore une marge de manœuvre trop limitée par ses statuts lui sont aussi reprochés.

Pour Interpol, le travail se manifeste par exemple via les « notices rouges », mandats d’arrêt internationaux visant à faciliter la traque de criminels recherchés par un État, les autres États conservant la liberté d’accorder plus ou moins d’importance à ce mandat. En 1946, Interpol met en place ce système de notices, au nombre de huit depuis 2011, codifiée par couleur ayant chacune une signification particulière. N’ayant pas ce système de notices, les missions d’Europol restent tout de même similaires : récolter, analyser et partager des informations dans le cadre d’enquêtes interétatiques, tout en travaillant à prendre en compte l’évolution de la criminalité dans tous ses aspects. Les pouvoirs d’Europol tendent à être constamment renforcés : en 2015 par exemple, en réponse aux attentats terroristes survenus à Paris et à Copenhague, Europol met en place une unité de signalement des contenus sur internet pour lutter contre la propagande terroriste en ligne et autres activités extrémistes. Plus récemment, en 2023, des élus allemands ont proposé un « Europol des services de renseignements » qui viserait à « européaniser » le contre-espionnage. 

Depuis 1999, Europol fait en partie concurrence à Interpol, les États européens étant membre d’Interpol. Née d’une volonté d’indépendance en matière de sécurité européenne, cette forme de concurrence n’empêche néanmoins pas la collaboration entre les deux organisations.  Le « Bureau du Représentant spécial d’INTERPOL auprès de l’Union européenne » veille par exemple à améliorer et optimiser leurs relations. Plus concrètement, les organisations sont amenées à collaborer en matières de lutte contre le terrorisme, d’immigration irrégulière ou de financement de projets.

Quelques récents exemples : En 2015, une opération est mise en place pour intensifier la lutte contre la traite des êtres humains. En 2018, une opération de polices américaines, canadiennes et européennes permet de « paralyser les principaux médias en ligne des jihadistes » du groupe État islamique. L’année suivante, l’opération Hydra est conjointement lancée lors d’un forum à Lyon, visant à lutter contre l’immigration clandestine et les passeurs.

Depuis la fin des années 90, les États font face au « boom » technologique qui ne cesse de voir des évolutions croissantes depuis. En réponse à ces évolutions, particulièrement présentes ces dernières années, le 28 juin 2022, un nouveau règlement européen entre en vigueur, permettant la coopération d’Europol avec des acteurs privés. Ces relations pourraient ainsi jouer un rôle dans le développement de nouvelles technologies, notamment en termes d’intelligence artificielle qui prend une place de plus en plus importante, et dans ce contexte, menaçante. Un an plus tôt, une conférence Europol-Interpol sur la cybercriminalité avait pour sujet « L’innovation comme moyen de lutte contre la multiplication des cyberinfractions », mettant en lumière les enjeux actuels et futurs de cybercriminalité internationale, partageant conjointement leurs expériences et analyses en la matière.

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