Article par Elisa Debruyne
Comment les drogues acheminées vers le Nord global dans des conteneurs de bananes sont liées à la crise politique équatorienne et à la dépendance économique du pays.
Après plusieurs évasions de chefs de gangs de grandes prisons, l’Équateur se retrouve au sein d’un trafic de drogues sans précédent. Celles-ci sont exportées vers l’Europe et l’Amérique du nord en grande partie dans les conteneurs de bananes, dont le pays est le premier producteur mondial. La dynamique entre les pays périphériques et du centre, notamment à travers les accords de libre-échange comme Mercosur, ne ferait que renforcer la dépendance des pays comme l’Équateur par l’exportation de produits primaires, qui dans ce cas transportent aussi des drogues.
Le président équatorien Daniel Noboa, élu en novembre 2023, se retrouve avec une grande tâche entre les mains : restaurer la paix dans un pays affecté par une montée soudaine de la violence des gangs. Il s’agit d’une crise sans précédent : deux chefs de gangs se sont échappés de grandes prisons, provoquant la panique parmi la population locale. La recherche du célèbre chef de gang de la drogue Adolfo Macías Villamar, alias Fito, est en cours. De plus, des hommes ont pris d’assaut les studios de TC Television à Guayaquil, un jour après que le président ait déclaré l’état d’urgence, des armes pointées sur les journalistes pendant que le programme était diffusé. Deux employés ont été blessés lors de l’attaque et 13 arrestations ont été effectuées. Le président a ensuite déclaré l’Équateur en « conflit armé interne » avec les gangs de drogue qui contrôlent le trafic de cocaïne. Ils constituent 22 groupes armés, que l’armée a ordonné de « neutraliser ». Une délégation de forces de l’ordre, diplomatiques et militaires américaines ont aussi été envoyés en Équateur.
Le président Noboa refuse de négocier avec les gangs, qui détiennent en otage environ 180 gardiens de prison. Leurs familles deviennent de plus en plus désespérées, se demandant comment les otages seront libérés.
Un pays « narcobanano »
En effet, le trafic de drogue a conduit à une explosion de violence dans le pays, qui était considéré comme l’un des plus sûrs d’Amérique du Sud. En 2023, le taux d’homicides en Équateur était plus élevé qu’au Mexique, approchant les 45 décès pour 100 000 habitants. Entre 2018 et 2023, il y a eu une augmentation de 800 % d’homicides. Cette montée de violence s’explique en partie par sa position géographique entre le Pérou et la Colombie, les deux plus grands producteurs de cocaïne au monde. Les drogues sont introduites dans les ports équatoriens, Guayaquil étant le plus grand, qui sont moins surveillés que ceux des pays voisins. Les drogues peuvent être cachées à l’intérieur des conteneurs d’expédition, dans les cavités des navires ou sous la coque : les criminels cherchent constamment de nouvelles façons de les faire passer en contrebande, ce qui complique les recherches des policiers. Le plus souvent, ces drogues sont cachées dans des conteneurs de bananes, dont l’Équateur est le premier producteur au monde. Les voies maritimes qui étaient fermées en raison des restrictions liées au Covid ont maintenant été rouvertes, ce qui explique également la montée de la contrebande de drogue : la consommation augmente à nouveau avec l’ouverture des espaces publics et un record de 210 tonnes de drogue interceptée a été enregistré en 2022. On estime qu’à chaque tonne interceptée, 9 quittent le pays vers l’Europe ou l’Amérique du Nord. Selon les actualités de France Culture datant du 18 janvier 2024, l’Équateur est devenu le premier pays d’origine de la cocaïne saisie en Belgique et aux Pays-Bas, notamment dans des containers de bananes.
L’Équateur constitue un excellent centre logistique non seulement parce qu’il est relativement facile d’y faire sortir les drogues du port, mais aussi parce qu’il est possible de blanchir l’argent en dollars, le pays étant dollarisé. Les évasions de prison et les massacres qui ont tué au moins 600 détenus au cours des deux dernières années dressent un tableau sombre, mais la corruption des juges, des procureurs et des policiers contrôlés par les gangs aggrave encore les choses. La loi ne règne pas dans les villes côtières de l’Équateur, ce sont les gangs qui le font. La mafia est maintenant plus forte et dispose de plus de ressources que l’État lui-même, qui est piégé dans un cercle vicieux de peur, d’impunité et de corruption à tous les niveaux. L’Équateur fait face à un problème structurel et est en chemin pour devenir un État « narcobanano », terme employé par la presse équatorienne Connectas qui désigne le système bananier équatorien en tant qu’outil du narcotrafic. Il n’est pas étonnant que le nombre d’Équatoriens cherchant à atteindre les États-Unis en 2023 ait augmenté de 300 % en 2022.
La dépendance économique d’un pays du sud global
L’Équateur, en tant que pays du Sud Global, est profondément marqué par son histoire coloniale et son contexte géopolitique actuel. La colonisation a modelé son infrastructure économique de manière à maintenir une relation de dépendance avec les puissances coloniales, perpétuant ainsi les dynamiques de dominance économique et politique, qui continuent à influencer l’Équateur jusqu’à aujourd’hui. Le pays est confronté à une dépendance économique qui influence sa politique intérieure. Depuis sa dollarisation après la crise de 2000, il est continuellement contraint d’emprunter ou d’exporter pour rembourser ses dettes en dollars, ce qui renforce sa vulnérabilité aux fluctuations des marchés internationaux.
De plus, ses politiques commerciales comme l’intégration à Mercosur, visant à attirer les investisseurs étrangers, reflètent sa tentative de s’adapter à un système économique mondial dominé par les pays développés.
Ainsi, l’accord commercial Mercosur vise à renforcer l’attractivité du pays. Il s’agit du plus important accord de libre-échange conclu par l’Union européenne de par la population concernée, c’est-à-dire 780 millions de personnes, et de par les volumes d’échanges couverts qui varient entre 40 à 45 milliards d’euros d’importations et exportations. Il a pour objectif d’établir une zone de libre-échange commercial entre l’Union européenne et Mercosur, qui inclut l’Argentine, le Brésil, le Paraguay, l’Uruguay et le Venezuela. L’Équateur est l’un des membres associés du Mercosur.
Mais cet accord favoriserait les monocultures et l’intensification de l’usage de pesticides pour pouvoir exporter en plus grande quantité, et aggraverait la déforestation de l’Amazonie.
Il faut aussi tenir en compte que les pays du Mercosur détiennent 27% de la couverture forestière mondiale et environ 60% de la vie terrestre.
Les pays du Mercosur, membres du Sud Global, sont des anciennes colonies européennes, exportateurs de matières premières et endettés, occupant une position périphérique dans l’économie mondiale. Dans le Sud global, la spécialisation dans la production de produits primaires, souvent agricoles et à faible valeur ajoutée, favorise les grands producteurs et les multinationales, au détriment des petites entreprises et des populations locales.
Alors que le secteur agricole est en crise en France, en Espagne et en Belgique, parmi les motifs de colère, on retrouve la concurrence jugée déloyale de produits agricoles venus de pays extra européens à main d’œuvre moins chère et qui sont moins exigeants sur le plan environnemental, notamment ceux en provenance d’Amérique du Sud. Avoir moins de contraintes environnementales leur permet de produire plus et moins cher.
C’était l’objet de discussion le premier février à Bruxelles lors d’un sommet européen pour enterrer un traité de libre-échange entre l’UE et Mercosur. En effet, avec la globalisation, les accords de libre-échange se multiplient, comme le CEOM entre les États-Unis, le Canada et le Mexique, et dans l’UE. Le Mercosur, troisième bloc économique mondial, est au cœur de ces dynamiques. Cependant, le traité entre l’UE et le Mercosur ne se limite pas à des considérations économiques, mais s’inscrit dans un contexte politique, social et environnemental. Ainsi, l’Équateur, en tant que pays du Sud global et membre associé du Mercosur, fait face à une augmentation du trafic de drogues exportés vers les pays du Nord global, et en même temps sujet à une dépendance économique à long terme par la production de produits agricoles comme la banane.