L’Union européenne contre la criminalité organisée et le trafic de drogue

Article par Mélissa Herot

La Présidence belge de l’Union européenne et la Commission européenne ont annoncé le 24 janvier 2024 à Anvers (Belgique), considérée comme la porte d’entrée de la cocaïne sur le continent, un partenariat public-privé pour lutter contre la criminalité et le trafic de drogue en Europe.  

Photo d’archive 

D’une histoire politique des drogues aux politiques anti-drogues 

Si de nos jours, la French Connection, Pablo Escobar ou encore El Chapo sont des grands noms du trafic de drogue, ces derniers n’ont rien inventé. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, les grandes puissances, les industries pharmaceutiques, les banques ou encore les services secrets ont tous joué un rôle dans la propagation des drogues et dans l’émergence des plus grandes organisations criminelles. Dès l’origine, l’opium, l’héroïne et la cocaïne sont des instruments politiques entre les mains des États. Inventé par les puissances coloniales européennes du XIX siècle, c’est surtout le fait de la Couronne britannique qui inonde la Chine d’opium pour renflouer ses caisses. Il faudra attendre le XX siècle, en particulier la période de prohibition, pour qu émergent les premiers trafiquants de drogue au Mexique, en France et en Chine. Dès lors, le trafic se déplace, se transforme et s’adapte. À partir des années 1970, et suite au discours du président américain Richard Nixon qui voit un tiers de ses soldats déployés au Vietnam accro à l’héroïne, la lutte contre le trafic de drogue est lancée. 

 

Cette capacité de transformation et d’adaptation des réseaux criminels représente un des principaux défis de l’Union Européenne. Selon le rapport EU Drug Markets Review 2024, les réseaux criminels exploitent les principales infrastructures logistiques, en particulier des ports maritimes. Dans la mesure où les ports contribuent à 75% du volume des échanges extérieurs, et à 31% du volume des échanges intérieurs, ils sont particulièrement vulnérables au trafic de drogue et à l’exploitation par des réseaux criminels. Au niveau européen, le trafic de drogue est estimé à 31 milliards d’euros, dont 12,1 milliards d’euros proviennent du trafic de cannabis.

 

Cette première place dans le marché européen des drogues tient à la diversité des législations des États membres en la matière. D’une part, nous avons une différenciation dans la légalisation de son usage. Par définition, légaliser le cannabis signifie que la production, la distribution, la détention et la consommation de ce produit est autorisée, tout en étant contrôlées et encadrées par l’État. Le Luxembourg, l’Espagne, le Portugal autorisent ou tolèrent la consommation privée. Malte, l’Allemagne et les Pays-Bas se distinguent de ce groupe de pays tolérants puisqu’ils sont les seuls à avoir légalisé son usage. D’autre part, nous avons une différence dans la qualification juridique du cannabis. Si pour le Royaume-Uni le cannabis se distingue des autres stupéfiants, il n’y a aucune différenciation dans la législation française. En France, le marché du trafic de drogue est estimé à 3 milliards d’euros. Les derniers chiffres de l’Office français des drogues et toxicomanies (OFDT) ont révélé une hausse des trafics de drogue et des violences qu’ils génèrent à 57% en 2023. Selon ces mêmes chiffres, environ 240 000 personnes vivent directement ou indirectement du trafic de stupéfiant, dont 21 000 « travaillent à temps plein ». Toutefois, comme l’observe le directeur de l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (OEDT) Alexis Goosdeel, « L’augmentation de la violence liée à la drogue est générale en Europe ». Que ce soit à Anvers en janvier dernier, à Stockholm en septembre 2023 ou à Nîmes en août 2023, les violences générées par le trafic de drogue touchent aussi bien les membres de ces réseaux que les enfants qui vivent dans ces endroits. Dès lors, la lutte contre la criminalité organisée et le trafic de drogue est une priorité à la fois pour les États membres et l’Union Européenne. Dans sa feuille de route en matière de lutte contre le trafic de drogue et la criminalité organisée d’octobre 2023, l’Union Européenne appelle à une réaction collective et adaptée.

L’action de l’Union Européenne dans le prolongement de ses documents d’orientation 

Si au début de l’intégration européenne la lutte contre les drogues illégales aurait pu être considérée comme un domaine potentiel de collaboration accrue entre les États membres, les stratégies antidrogue sont assez récentes. Du fait de l’absence de consensus dans ce domaine, le premier plan d’action européen de lutte contre la drogue (1995-1999) est introduit en 1995. Depuis, les plans d’action antidrogue ont vu le jour à de nombreuses reprises. Dans la poursuite de sa stratégie visant à lutter contre la criminalité organisée (2021-2025) ainsi que de la stratégie et du plan d’action de l’UE en matière de drogue (2021-2025), la Commission européenne définit dans sa feuille de route 17 actions dans quatre domaines prioritaires. 

4 domaines prioritaires multipliant les acteurs et les législations

Au premier rang de ces quatre domaines prioritaires figure l’alliance des ports européens. Fondée sur un partenariat public-privé, l’alliance des ports européens ambitionne de tirer parti de l’expertise et l’expérience des acteurs publics et privés, afin de promouvoir les bonnes pratiques, un devoir de diligence, et d’instaurer des mesures coordonnées pour intensifier les efforts dans cette lutte. Plus précisément, il s’agit de renforcer la gestion des risques, de mettre en œuvre des contrôles plus ciblés et plus efficaces dans les ports, de financer des équipements de pointe susceptible d’aider les autorités douanières à scanner les conteneurs et autres moyens de transport, et enfin de renforcer les opérations répressives dans les ports. 

Ce premier domaine d’action prioritaire est suivi du démantèlement des réseaux criminels à haut risque. Pour ce faire, le système d’information Schengen est renouvelé afin d’introduire de nouvelles catégories de signalements. Ces nouveaux signalements permettent aux autorités nationales de recueillir des informations ciblées sur les personnes soupçonnées d’actes de criminalité grave ou organisée ou de terrorisme. Les États sont encouragés à utiliser ces outils de lutte contre la grande criminalité organisée en coopération avec Europol. Dans cet objectif de démantèlement des réseaux criminels, le mandat d’Europol est renforcé. Europol a pour mission d’aider les États membres à traiter les données transmises par des pays tiers ou des organisations internationales, et de proposer aux États membres d’introduire des signalements dans le système d’information Schengen. Europol continue de soutenir les enquêtes visant à démanteler les réseaux de communication chiffrées telles que l’opération « Desert Light » (Lumière du désert) de novembre 2022, au cours de laquelle un « supercartel » des trafiquants de cocaïne a été neutralisé. Ce soutien d’Europol est complété par la plateforme pluridisciplinaire européenne contre les menaces criminelles (EMPACT), un instrument permanent de soutien aux autorités répressives des États membres. Afin de mieux former les États membres sur les questions liées à la drogue, l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (EMCDDA) deviendra l’été prochain l’Agence européenne des médicaments. 

À ces deux premiers domaines d’action, l’Union européenne vise à mettre en place des mesures afin de prévenir la criminalité organisée. Ce domaine d’action vise en particulier la lutte contre la corruption. Il s’agit plus précisément d’affermir la législation sur la lutte contre le blanchiment des capitaux, de renforcer la directive relative à la confiscation et au recouvrement d’avoirs, et enfin de réviser le règlement Prüm sur l’échange automatisé des données dans le cadre de la coopération policière. Derrière toutes ces révisions, se trouve l’objectif d’échanges de bonnes pratiques entre les États membres pour prévenir l’infiltration des groupes criminels dans la société et dans l’économie légale. 

Le dernier domaine d’action est d’intensifier la collaboration avec les partenaires internationaux. Il s’agit plus précisément d’un renforcement de l’échange d’informations, la mise en place d’opérations conjointes ciblant les principaux itinéraires du trafic de drogue, et enfin la consolidation de la coopération des services répressifs et judiciaires avec les pays tiers. En la matière, l’Union Européenne dispose déjà de plusieurs coopérations internationales et programmes d’assistance technique tels que El Pacto. El Pacto est un programme entre l’Union Européenne et l’Amérique latine d’assistance contre la criminalité transnationale organisée lancé en avril 2017. Ce programme régional pour la sécurité citoyenne et l’État de droit d’Amérique latine est doté d’un budget de près de 20 millions d’euros afin d’intervenir sur les différentes formes de crime organisé : trafics de drogues, traite des êtres humains, crimes environnementaux, phénomènes de gangs, séquestrations et enlèvements, corruption, blanchiment, etc.

De nouvelles mesures dissimulant les lacunes de la législation existante

La législation européenne en matière de lutte contre le trafic de drogue et criminalité organisée souffre d’une double lacune. D’une part, la législation européenne en la matière n’est pas une législation contraignante. En ce sens, les États membres de l’Union européenne ne sont pas obligés de les mettre en œuvre. De fait, les décideurs politiques européens doivent influencer les États membres à respecter la législation par la menace d’une sanction financière en cas de non-respect. D’autre part, la législation en matière de lutte contre le trafic de drogue et la criminalité organisée au sein des États membres ne fait pas l’objet d’une harmonisation au niveau européen. Le cas de la différence dans la qualification juridique des drogues entre la France et le Royaume-Uni est révélateur de cette idée. De fait, l’Union européenne doit influencer les États membres pour garantir l’existence d’un certain niveau de consensus entre les politiques nationales en matière de drogue.



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