Que s’est-il passé en Europe cette semaine ? (semaine du 24 novembre au 1er décembre)

Nouvelle rupture pour la politique étrangère française : le Tchad dénonce les accords de coopération de défense 

Article écrit par Michel Santamaria 

C’est une annonce qui a pris de court la classe politique française. Ce jeudi 28 novembre, le ministre des Affaires étrangères tchadien, Abderaman Koulamallah, a déclaré la fin de la coopération entre la France et le Tchad en matière de sécurité et de défense. Malgré un effet de surprise, cette décision s’inscrit dans une logique qui continue depuis un certain nombre d’années : l’effacement de l’influence française en Afrique.

Une annonce qui intervient, juste après la tournée du ministre en Afrique subsaharienne

Le 27 novembre 2024 le nouveau ministre de l’Europe et des Affaires étrangères français, Jean-Noël Barrot, entamé sa première tournée en Afrique subsaharienne. Au cours de ce voyage, le ministre avait prévu de visiter le Tchad et l’Éthiopie étant les deux arrêts pour discuter de la crise humanitaire au Soudan, pays frontalier avec le Tchad, ainsi que des réformes des institutions internationales pour une meilleure représentation du continent africain. Pourtant, il était déjà prévu de discuter de l’avenir des bases militaires françaises. L’annonce du ministre tchadien oblige la France à accélérer la réflexion sur sa présence en Afrique.

Le rapport Bockel 

Néanmoins, lundi 25 novembre, Jean-Marie Bockel, envoyé personnel d’Emmanuel Macron avait remis à ce dernier un rapport sur la nouvelle stratégie à adopter pour la politique étrangère française en Afrique. D’après les informations recueillies par Le Monde, le rapport indique que « les recommandations s’inscrivent dans la volonté de mise en œuvre d’un partenariat de défense renouvelé, répondant aux besoins exprimés par nos partenaires, et co construit avec eux, dans le plein respect de leur souveraineté ». Il était également question d’une réduction des effectifs militaires français. Cette diminution doit être totale depuis l’annonce du gouvernement tchadien. 

Une décision qui s’inscrit dans la continuité   

La décision du gouvernement tchadien surprend car le pays était considéré comme le dernier allié français au Sahel. En revanche, elle semble logique et s’inscrit dans une continuité qui est celle de la tension croissante entre la France et l’Afrique, et de la critique grandissante de la présence militaire de celle-ci. En mai 2024, le Premier ministre sénégalais  déclarait dans un discours : « la volonté du Sénégal de disposer de lui-même, laquelle volonté est incompatible avec la présence durable de bases militaires étrangères au Sénégal ».  Depuis 2022, le Mali, le Burkina Faso et le Niger avaient fait de même et avaient cessé leur coopération militaire avec la France.  Une surprise en demi-teinte. 

Une perte d’influence ?

Pour le cas tchadien, il a été déclaré que les relations historiques et d’amitié n’étaient pas remises en cause par cette décision contrairement aux autres États. Cependant, la question centrale dans l’histoire n’est pas celle de la remise en cause de l’amitié entre deux pays, mais celle d’un changement géopolitique fort en Afrique. La présence militaire jugée insupportable pour la jeunesse africaine, la nouvelle présence russe et chinoise, la perte de crédibilité de l’Europe aux yeux du monde non-occidental : toutes ces questions obligent la France à repenser sa politique envers l’Afrique. Comme l’affirme l’ancien ambassadeur de la France aux États-Unis, « nous n’avons pas su moderniser notre politique africaine. Le conservatisme de certains milieux, en particulier militaires, nous en a empêchés. Nous subissons donc ce que nous aurions dû proposer et organiser ».  Nul doute que maintenant la France doit prendre les devants dans sa politique étrangère. 

 

La France toujours à la recherche d’alliés pour bloquer l’Accord UE-Mercosur   

Article écrit par Michel Santamaria 

Après l’opposition de l’Assemblée nationale le 26 novembre 2024, c’est le Sénat qui un jour après a confirmé la position du gouvernement de s’opposer à l’Accord UE-Mercosur. Néanmoins, si la position de la classe politique française dans ce dossier est ferme, elle se sait aussi fragile au niveau européen. À elle seule, la France ne peut pas bloquer l’accord.  

En recherche d’alliés européens pour créer une minorité de blocage  

Il existe une option pour contrer l’adoption de l’accord avec les pays sud-américains, à savoir : la minorité de blocage. Cet un instrument permet de faire entendre la voix des pays, mais à certaines conditions. Pour en faire usage, il faut un minimum de quatre pays qui votent contre. Cependant, il faut que ces pays représentent plus de 35% de la population de l’Union européenne. Dans le cadre de cet accord avec les pays sud-américains, la France est le premier pays à se positionner contre. Afin de constituer cette minorité de blocage, il faut à la France au moins trois autres alliés de poids, avec une grande population, comme l’Italie par exemple. Dans cette course où, la Commission et son premier représentant l’Allemagne tentent le tout pour le tout pour enfin faire signer l’accord avec les pays du Mercosur, et ou la France essaye par tous les moyens de rallier des pays, chacun accélère ces stratégies.  

Après la Pologne, l’Italie ?

Le premier ministre polonais, Donald Tusk a annoncé se rallier à la France pour contrer l’accord avec les pays du Mercosur.  « La Pologne n’acceptera pas l’accord de libre-échange avec les pays d’Amérique du Sud, c’est-à-dire le bloc Mercosur, sous cette forme ». C’est avec ces mots que la Pologne a officiellement fait savoir sa position sur l’accord. Elle se joint aux efforts français pour tenter de constituer une minorité de blocage. De même que pour la France, la principale raison qui justifie ce refus est la protection des producteurs agricoles européens. Ceux-ci estiment que l’entrée de produits agricoles sud-américains au sein du marché européen constitue une concurrence déloyale, et pourrait à court et long terme faire disparaître la production agricole européenne. Un autre pays qui semble partager cette position est l’Italie. Michel Barnier, Premier ministre français, se rendra à Rome les 5 et 6 décembre pour y rencontrer la Première ministre Giorgia Meloni. C’est une rencontre importante au niveau européen, qui pour certains a pour but de créer un couple franco-italien. En effet, le rôle de l’Italie au sein de l’Union européenne est grandissant et de plus en plus important. Nul doute que la position italienne sur l’Accord, encore trop indécise à ce jour, risque d’être un argument de poids lors de la rencontre avec le Premier ministre français.  

Le Brésil de Lula Inacio Lula da Silva apporte son soutien à la Commission européenne d’ Ursula von der Leyen 

Pour la Commission et l’Allemagne, c’est un allié de poids qui vient de se positionner : le président du Brésil. Ce dernier a déclaré que « Paris n’a pas le pouvoir d’empêcher le traité car c’est la Commission européenne qui décide au nom des 27 États membres ». Un rappel fort que la minorité de blocage n’est pas encore atteinte, et que la marche est peut-être trop grande pour les Français. En attendant de voir ce qui adviendra de la visite officielle française en Italie, et de la réaction des autres pays à la position officielle de la Pologne, il est sûr que cette discussion va continuer d’enflammer le débat public. Il faudra également observer comment l’Allemagne, fragilisée par ses propres divisions politiques, continue de se positionner sur le dossier. 

 

Justice ou pragmatisme : l’Europe face aux mandats d’arrêts de la CPI contre Benyamin Netanyahou et Yoav Gallant

Article écrit par Léane Madet

L’émission de mandats d’arrêt internationaux par la Cour pénale internationale (CPI) à l’encontre du Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou, ainsi que de son ancien ministre de la Défense Yoav Gallant, et du chef de la branche armée du Hamas, Mohammed Deïf, a plongé l’Union européenne dans un dilemme sans précédent. Accusés de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité dans le contexte du conflit israélo-palestinien, ces leaders peuvent d’ores et déjà compter sur le soutien de certains pays non membre de la CPI. Cette décision de justice met à l’épreuve les engagements de l’Europe envers la justice internationale et ses liens diplomatiques.

Un mandat explosif

Jeudi 21 novembre, la CPI, basée à La Haye, a officiellement inculpé Netanyahou et son ancien ministre de la Défense, provoquant une onde de choc mondiale. Ce mandat s’inscrit dans le contexte du conflit sanglant qui ravage Gaza depuis octobre 2023. Plus de 45 000 personnes, dont une majorité de femmes et d’enfants, ont péri, tandis que des centaines de milliers d’autres sont blessées ou déplacées. Si cette décision est saluée par les défenseurs des droits de l’Homme, elle est violemment critiquée par Netanyahou, qui l’a immédiatement qualifiée d’« antisémite ». Israël et les États-Unis, qui ne reconnaissent pas la juridiction internationale, rejettent ces accusations en invoquant l’incompétence de la Cour. Washington considère cette démarche comme une intrusion dans la souveraineté des États. Face à cette escalade, l’Union européenne, qui a ratifié le Statut de Rome, se trouve divisée entre son soutien affiché au droit international et ses relations diplomatiques avec Israël.

Une Europe tenue de se ranger derrière les décisions de la CPI

L’Union européenne, composée de 27 États membres tous signataires du Statut de Rome, est juridiquement tenue de coopérer avec la CPI. L’article 86 impose une coopération totale avec le tribunal international : tout individu visé par un mandat d’arrêt doit être interpellé sur le sol des pays signataires. L’Union Européenne soutient la CPI, les principes du Statut de Rome, ainsi que « l’indépendance et l’impartialité » de la Cour, a déclaré jeudi le porte-parole de l’UE, Peter Stano. En soutenant la CPI, elle renforce son engagement envers un ordre international fondé sur le droit. Les implications pratiques ne sont pas négligeables : Netanyahou sera contraint d’annuler ses visites dans les pays membres de la CPI pour éviter une arrestation, limitant considérablement ses capacités diplomatiques et accentuant son isolement. Des nations comme l’Italie, les Pays-Bas, l’Espagne, l’Irlande et la Suède ont déjà réaffirmé leur engagement à respecter et appliquer les décisions de la CPI. Guido Crosetto, ministre italien de la Défense, a ainsi déclaré que son pays arrêterait Netanyahou s’il venait à se rendre sur son territoire. Un message similaire a été adressé par Caspar Veldkamp, chef de la diplomatie néerlandaise. Cependant, du fait de l’hésitation de certains pays, l’unité européenne vacille. L’Allemagne affirme être «un des plus grands partisans de la CPI» mais entretenir aussi «des relations uniques et une grande responsabilité avec Israël». En Autriche, Alexander Schallenberg, ministre des Affaires étrangères, a ouvertement critiqué la CPI en qualifiant « d’absurde [le fait] de placer sur le même plan les membres d’un gouvernement élu démocratiquement et le dirigeant d’une organisation terroriste ». La Hongrie, quant à elle, a clairement refusé d’exécuter le mandat, le Premier ministre Viktor Orbán allant jusqu’à inviter Netanyahou à Budapest.

La France : entre principes de justice internationale et calcul stratégique

La position de la France s’illustre par une ambiguïté qui semble calculée. Si Paris est tenue de respecter le mandat en vertu du Statut de Rome, le Quai d’Orsay a mis en avant l’immunité dont bénéficie Netanyahou en tant que chef de gouvernement d’un État non partie à la CPI. Une logique juridique fondée sur l’article 98 du Statut, qui prévoit notamment ces immunités. Jeudi 28 novembre, le porte-parole du ministère français des Affaires étrangères, Christophe Lemoine, a laissé entendre que la France n’arrêterait pas Netanyahou si celui-ci était amené à se rendre à Paris. « La logique derrière la position de la France est basée sur le respect du droit international et des accords et texte que nous avons signé », a-t-il affirmé à l’occasion du point-presse hebdomadaire. Cette déclaration est venue confirmer et défendre la position du ministre des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, annoncée mercredi. Ce qui a suscité une vive réaction de la Ligue des droits de l’homme, affirmant que la France « manipule le droit international » pour éviter d’agir contre Netanyahou et Gallant. Paris semble avoir pris le parti de préserver ses relations diplomatiques avec Israël, au détriment d’une coopération totale avec la Cour pénale internationale. Cette décision des dirigeants français apparaît liée à la volonté, pour le pays, de maintenir son rôle de médiateur au Proche-Orient, notamment dans les efforts de cessez-le-feu au Liban. Quitte à froisser les principes de justice internationale que la France soutenait jusque-là. Une posture qui ne manque pas de susciter des interrogations sur la place qu’elle accorde réellement à la lutte contre l’impunité dans les crimes les plus graves. Son positionnement pourrait redéfinir sa place sur la scène internationale, en tant que gardienne du droit.

Roumanie : la victoire du candidat nationaliste au premier tour des présidentielles inquiète l’Europe et l’OTAN

Article écrit par Léane Madet

À la surprise générale, c’est Calin Georgescu, candidat indépendant, qui a remporté le premier tour des élections présidentielles en Roumanie, recueillant 22,94% des suffrages. Le candidat arrivé en tête s’oppose fermement à l’aide militaire à l’Ukraine et prône une « neutralité », garante selon lui de la stabilité sociale et économique du pays. La victoire de cet outsider populiste est un signal d’alarme pour l’Europe. En jouant sur les fractures sociales et les peurs identitaires, il symbolise un « vent mauvais » qui souffle désormais sur toute une partie de l’est européen.

Un pays stratégique pour la sécurité européenne

La Roumanie, bordant l’Ukraine et la mer Noire, est devenue un maillon essentiel dans les dispositifs européens de défense et de sécurité, particulièrement depuis l’éclatement de la guerre en Ukraine. Sa proximité géographique avec les lignes de front de la guerre en Ukraine en fait une plaque tournante pour les livraisons d’aide militaire occidentale notamment. Pourtant, le candidat indépendant a bâti sa campagne sur une rhétorique nationaliste et isolationniste, s’opposant fermement à toute aide à l’Ukraine, et se montrant particulièrement critique à l’égard de l’OTAN, qui selon lui mettent en danger « l’ADN roumain ». Dans un contexte où l’Europe lutte pour maintenir son unité face à la Russie, cette posture inquiète les partenaires européens et atlantiques. La Roumanie, jusqu’à aujourd’hui perçue comme une alliée sûre au sein des structures euro-atlantiques, pourrait basculer dans une politique eurosceptique. Si elle venait à réduire son engagement envers l’Ukraine, cela affaiblirait considérablement les efforts de l’UE et de l’OTAN pour contenir l’attaque russe dans la région.

Le triomphe d’un populisme extrême : un résultat symptomatique de l’est européen ?

Le candidat indépendant, Calin Georgescu, se présente comme « le candidat des humiliés et des offensés ». Avec une audience record de 52 millions de vues pour ses vidéos de campagne dans les derniers jours, le candidat indépendant a, par son discours, réussi à « coller aux fractures, aux peurs et aux aspirations du peuple ». Si son admiration pour la Russie lui a valu d’être immédiatement qualifié de pro-russe sur la scène internationale, lui se déclare avant tout nationaliste et défenseur des intérêt de son pays et de sa population : « Je me consacre entièrement, de tout mon cœur, au peuple roumain. » L’éventuel futur président semble vouloir rompre avec la trajectoire pro-européenne adoptée par ses prédécesseurs. Une orientation remettrait en question des décennies d’intégration européenne et de coopération internationale. « Calin Georgescu est le symptôme d’un vent mauvais qui se lève désormais dans toute une partie de l’est européen. Si la Pologne et les pays Baltes soutiennent [vigoureusement] l’Ukraine, conscient d’être les prochains sur la liste, nombre de pays proches de la Russie font le paris inverse et sont tentés par la conciliation face à la menace, comme la Hongrie de Victor Orban la Slovaquie de RF, leadeur nationaliste et populiste, qui misent avant tout sur la peur de la guerre dans leur électorat », analyse Marc Semo, pour Cultures monde.

Un revers pour la démocratie libérale

Ce résultat électoral constitue également un coup dur pour les principes de la démocratie libérale, qui avait triomphé en Roumanie après la chute de Nicolae Ceausescu en 1989. Le peuple roumain, qui s’était dressé contre la tyrannie et le totalitarisme communiste, avait jusqu’ici défendu avec ferveur ses libertés et son intégration dans le monde occidental. Notamment par l’élection de représentants issus des partis libéraux et sociaux-démocrates (partis traditionnels). Mais pour nombre de Roumains, ces 35 dernières années ont été synonymes de promesses non tenues, d’espoirs de promotion sociale déçus. Le constat des électeurs est celui d’un pays qui arbore encore des inégalités persistantes entre zones rurales et urbaines et laisse à beaucoup de citoyens un sentiment d’abandon. Avec un système semi-présidentiel qui confère au président un rôle clé en matière de politique étrangère et de défense, ce résultat inquiète profondément l’UE et l’OTAN.

Un vote « protestataire » et « dégagiste » : vers une poussée de l’extrême droite ?

Ce premier tour reflète un rejet massif des partis traditionnels, plaçant en tête deux candidats anti-systèmes, de l’extrême droite et du centre-droit. Le premier ministre social-démocrate et pro-européen Marcel Ciolacu (PSD), a été relégué à la troisième place de ce premier tour avec 19,15% des suffrages alors même que les sondages l’annonçaient en deuxième position. Reste donc Calin Georgescu et Elena Lasconi (USR), en course pour le second tour des élections qui se tiendra le dimanche 8 décembre. Cependant les résultats du premier tour ont été contestés ce jeudi 28 novembre par la cour constitutionnelle roumaine, qui a ordonné le recomptage des voix. Tandis que les législatives à venir (au 1er décembre) pourraient redorer le blason des partis traditionnels, ou accentuer la poussée de l’extrême droite.

 

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