Alexandar Vucic en passe d’être renversé par la rue en Serbie ?
par Thiennot Foucher
Le 1er novembre 2024, la chute d’une partie de la gare de Novi Sad, deuxième ville de Serbie, a causé la mort de 15 personnes. Depuis ce drame, un mouvement social soulève la Serbie pour dénoncer la corruption de la classe politique serbe. Les manifestations ont redoublé la semaine dernière après la mort d’une étudiante, écrasée par une voiture alors qu’elle manifestait pacifiquement. Ce lundi 20 janvier, les avocats serbes se sont mis en grève et les rumeurs d’une grève générale se font de plus en plus entendre dans les rues de Serbie.
La paume rouge, symbole du mouvement de protestation contre la corruption du régime politique serbe, Belgrade, Serbie, 24 janvier 2025.Darko Vojinovic/Copyright 2025 The AP. All rights reserved
Le drame de la corruption
A première vue, il n’est pas évident de saisir pourquoi la catastrophe de la gare de Novi Sad a déclenché une fronde contre la corruption du régime serbe. Pourtant, la mort de ces 15 personnes semble bel et bien être imputable à ce fléau encore très répandu dans la politique serbe. La gare de Novi Sad venait d’être rénovée par une entreprise chinoise et avait été inaugurée en grande pompe par le chef d’Etat serbe, accompagné de son homologue hongrois et grand ami Viktor Orban. De toute évidence, les travaux ont été mal effectués et, en l’occurrence, deux pratiques de corruptions récurrentes peuvent causer ce genre de situation. Un détournement d’argent public par les divers échelons politico-administratifs réduit le financement réel du projet et oblige l’entreprise de construction à utiliser de mauvais matériaux ou à bâcler son travail, ce qui induit des malfaçons. L’entreprise retenue n’est pas non plus forcément choisie pour sa compétence, mais pour les pots-de-vin qu’elle a fournis aux décideurs politiques.
“ Vous ne nous écraserez pas! ”
Dès les jours qui ont suivi l’effondrement du auvent de la gare de Novi Sad, des manifestations ont éclaté dans le pays. Au grand dépit du national-populiste et conservateur Vucic, qui tient les rênes du pays depuis 12 ans et a mis en place une forme de régime semi-autoritaire restreignant les libertés individuelles, le mouvement ne s’est pas essoufflé. Au contraire, elles s’amplifient et gagnent désormais toutes les régions et villes du pays. D’après Jean Arnaud Dérens, spécialiste des Balkans, une forme de “convergence des luttes” de la population serbe semble s’opérer contre le gouvernement. Ainsi les étudiants, qui occupent jours et nuits une soixantaine de campus, sont rejoints par les militants anti-exploitation du lithium, le symbole d’une réunion de la Serbie urbaine et de la Serbie rurale dans une lutte commune. Des dizaines de milliers de Serbes ont même passé le nouvel an à défiler dans les rues, faisant le vœu de voir le régime accepter leurs revendications. Mais tout laisse à penser que Vucic n’a pas pris de bonnes résolutions pour l’année 2025. Les manifestants dénoncent la répression brutale des manifestations par Belgrade. Par exemple, les 15 minutes de silence quotidiennes en hommage aux victimes de Novi Sad sont attaquées par des “inconnus, parfois cagoulés, toujours très organisés” sous le regard complice de la police serbe. Mais un étudiant de Belgrade illustre comment cette répression a l’effet inverse, loin de dissuader les manifestations : « C’est de voir mes camarades de la Faculté des arts dramatiques se faire tabasser qui m’a décidé à rejoindre le mouvement ». Finalement, cette violence du régime a culminé jeudi 16 janvier, quand une voiture a grièvement blessé une étudiante en fonçant dans un cortège de manifestants. Le 1er décembre, après un incident similaire, Vucic avait déclaré que le conducteur avait simplement “ suivit son chemin et que « ceux qui prétendent que de tels conducteurs devraient être arrêtés devraient s’asperger le visage avec de l’eau froide ». Les manifestants, furieux contre ce qu’ils considèrent comme une violence d’état supplémentaire, entonnent désormais le slogan “ Vous ne nous écraserez pas! ”.
Les avocats serbes à l’avant-garde d’une grève générale ?
Ce lundi 20 janvier, la chambre des avocats de Serbie a décidé une grève de sept jours en soutien aux manifestants. Les avocats sont le premier corps de métier à se mettre en grève collectivement et ils pourraient être rejoints par les enseignants, très mobilisés eux aussi. Les députés d’opposition ont suspendu leur travail parlementaire et le slogan “ la corruption tue, grève générale” résonne de plus en plus dans les cortèges. Ce mardi, les étudiants serbes ont finalement lancé un appel à la grève générale pour le vendredi 24 janvier : « Nous n’allons pas travailler, nous n’allons pas assister aux cours, nous n’accomplirons pas nos tâches quotidiennes. Nous prenons notre liberté en main. Votre participation fait la différence ». Malgré une forte participation, difficile de dire que la Serbie s’est arrêté de fonctionner ce vendredi. D’importantes pressions seraient notamment exercées par le gouvernement sur les fonctionnaires pour les empêcher de se mobiliser. Une illustration supplémentaire du flou de plus en plus important entre politique et administration publique dans un État qui s’approche de plus en plus d’un régime inféodé à Vucic.
L’agenda de la présidence polonaise du Conseil de l’Union européenne : sécurité, lutte contre l’immigration et autonomie stratégique européenne.
par Thiennot Foucher
Ce mercredi 22 janvier, le Premier ministre polonais Donald Tusk a présenté aux eurodéputés les priorités de la présidence polonaise du Conseil de l’Union européenne. Depuis le 1er janvier 2025, c’est en effet Varsovie qui assure ce rôle de coordination des Etats membres, une fonction qui tourne entre les 27 : la Hongrie assurait la présidence du Conseil de l’UE avant la Pologne et, après le 30 juin, ce sera au tour du Danemark d’endosser cette attribution. Dans le contexte européen actuel, très incertain, ces 6 mois de présidence polonaise sont perçus par de nombreux observateurs comme une bonne nouvelle, notamment sur le dossier de la défense et de l’aide à l’Ukraine. Un agenda européen de la Pologne qui prend aussi beaucoup en compte la politique intérieure du pays d’Europe centrale.
Le Premier ministre polonais Donald Tusk lors de l’annonce des priorités de la présidence polonaise du Conseil de l’UE au Parlement européen. Mercredi 22 janvier 2025. © European Union, 2025 – EP
“ Security, Europe ! ”
La Pologne s’impose depuis quelques années comme un nouveau leader militaire dans l’UE. Après avoir porté sa dépense militaire à 4.1 % de son PIB en 2024, elle a déclaré ce mercredi, par la voix de Donald Tusk, son souhait de renforcer la base industrielle de défense européenne et de continuer à défendre l’Ukraine face à une menace russe ancrée dans les consciences polonaise. Le Premier ministre polonais a aussi souligné la menace des fausses nouvelles et de la désinformation et annoncé aux parlementaires européens son souhait d’une Europe plus musclée en déclarant : “Les gens ne doivent pas associer la démocratie au manque de force“. Ainsi, Il a réaffirmé sa position sur les dépenses militaires, évoquant la nécessité pour les États membres de les porter jusqu’à 5 % de leur PIB. Concernant la dépendance militaire aux Etats-Unis, il a répondu : “Ne demandez pas aux États-Unis ce qu’ils peuvent faire pour notre sécurité, demandez-vous ce que vous pouvez faire pour notre sécurité”. Son positionnement est donc celui d’un renforcement des capacités militaires des pays européens sans toutefois être un défenseur d’une Europe de la défense à la française. En effet, la Pologne reste un pays profondément atlantiste, Varsovie compte toujours sur Washington et sur l’OTAN, raison pour laquelle elle exhorte les pays européens à dépenser plus pour leurs armées, une demande réitérée par Trump.
Lutte contre l’immigration
Donald Tusk a présenté la protection des frontières comme une des priorités de ces 6 mois de présidence polonaise du Conseil de l’UE. Cela n’est pas une grande surprise, tant le thème de la lutte contre l’immigration semble s’être imposé dans l’intégralité de la scène politique européenne. De quoi réjouir un Parlement européen qui penche très à droite depuis juin 2024. De quoi parler aussi à la (nouvelle) Commission européenne, elle aussi à droite, qui s’est emparée depuis longtemps de ce thème avec une politique très stricte et peu soucieuse des droits humains. Pour rappel, l’agence FRONTEX, chargée de la surveillance des frontières de l’UE, a été dirigée pendant plusieurs années par Fabrice Leggeri, aujourd’hui député européen du Rassemblement national. Mais en vérité, cette annonce de Tusk est davantage adressée à sa population qu’à l’ensemble des Européens. En effet, la Pologne est le pays à avoir accueilli le plus grand nombre de réfugiés ukrainiens depuis le lancement de l’invasion russe en 2022. Dans le même temps, l’arrivée de migrants non-Européens est très mal perçue, une des raisons du succès du PiS, le parti nationaliste et conservateur polonais qui a gouverné la Pologne entre 2015 et octobre 2023. Or, les élections présidentielles polonaises se déroulent en mai et Tusk doit éviter à tout prix une nouvelle victoire du candidat du PiS. En effet, la situation actuelle empêche le Premier ministre de réformer le pays comme il l’aimerait, car le Président polonais dispose d’un veto. Tusk doit donc manoeuvrer habilement pour que son camp gagne les présidentielles. En ce sens, il affiche des priorités européennes en accord avec son agenda politique intérieur, marqué en l’occurrence par une politique migratoire dure, afin de séduire un maximum d’électeurs polonais qui refusent l’immigration.
Une présidence polonaise à un moment charnière pour une Union européenne de plus en plus menacée par la désunion
L’arrivée de Donald Trump au pouvoir pour un second mandat, son agressivité envers les Européens, plonge l’UE dans l’incertitude. Les premières fractures européennes sur l’attitude à adopter vis-à-vis du Président américain illustrent les risques d’une désunion européenne. Exemple évocateur de cette désunion des Européens : la Pologne a refusé d’inviter l’Ambassadeur de Hongrie à la soirée d’inauguration de la Présidence polonaise du Conseil, alors même que Budapest transmettait le relais de la présidence tournante à Varsovie. Cette disposition du gouvernement Tusk s’inscrit dans le contentieux qui oppose les gouvernements polonais et hongrois au sujet de l’asile politique accordé par Orban à l’ancien vice-ministre polonais de la Justice Marcin Romanowski. Cet homme, en poste entre 2019 et 2023, quand le parti nationaliste et conservateur PiS était au pouvoir, est accusé d’avoir détourné près de 40 millions d’euros d’argent public. Depuis décembre 2024, son asile politique lui permet de se substituer à la justice polonaise, la Hongrie estimant qu’il existe « des preuves concrètes de manquements dans le processus judiciaire ». La Pologne évoque quant à elle un « acte hostile » du gouvernement d’Orban. De nombreux facteurs de divisions internes existent donc et ils pourraient être exacerbés par les manœuvres de ce que Macron désigne comme une “internationale réactionnaire”. Les ingérences d’Elon Musk dans la campagne électorale allemande, en faveur du parti néo-nazi AFD en témoigne. La Pologne devra donc s’évertuer à cimenter l’UE au moment où la faiblesse des gouvernements français et allemands ne leur permet pas d’assurer le rôle de “moteur” qu’on leur attribue parfois.
Le retrait des États-Unis de l’Organisation mondiale de la santé
Article écrit par Hélène Schiavitti
À peine investi de ses fonctions présidentielles, ce lundi 20 janvier 2025, Donald Trump décide de signer le retrait des États-Unis de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Les États-Unis étant jusqu’alors le plus grand contributeur financier de l’OMS, avec une participation budgétaire à hauteur de 20%, ce retrait laisse place à un trou financier fruit d’inquiétudes.
Donald Trump après avoir signé l’ordre exécutif de retrait des État-Unis de l’OMS ce lundi 21 janvier 2025
Pourquoi une telle décision ?
Si ce retrait des États-Unis de l’OMS n’a rien d’anodin, il ne s’agit pas d’une surprise pour autant. En effet, sous le premier mandat de Donald Trump en 2020, les États-Unis avaient notifié leur volonté de se retirer de l’organisation en condamnant une mauvaise gestion de la pandémie de Covid-19. Bien que l’administration Biden ait révoqué cette notification, la réouverture du dossier semblait déjà probable à l’annonce du retour de Donald Trump à la Maison Blanche.
Dans l’ordre exécutif du 20 janvier 2025, le président américain justifie le retrait des États-Unis par le fait que « l’OMS continue d’exiger des États-Unis des paiements injustement onéreux, bien hors de proportion avec les paiements estimés des autres pays. La Chine, avec une population de 1,4 milliard d’habitants, compte 300 % de la population des États-Unis, mais contribue près de 90 % de moins à l’OMS. ». Donald Trump va même jusqu’à s’indigner d’une escroquerie. Pourtant, rappelons que l’approbation du budget de l’OMS est le fruit d’un vote biennal où chaque État membre, dont les États-Unis, a voix au chapitre. On peut ainsi lire ce retrait américain comme le reflet d’une nouvelle administration dont les membres n’ont pas caché leur aversion pour tout ce qui est relatif à la mondialisation, incluant une hostilité contre toute forme de règlements internationaux et de traités.
Si les États-Unis claquent la porte à l’OMS, quelles en seront les conséquences ?
En étant amputée de l’un de ses piliers, l’OMS va devoir opérer une restructuration d’ampleur mais les experts et scientifiques s’inquiètent que cela ne nuise aux efforts mondiaux en matière de santé publique.
Le retrait des États-Unis provoquerait un bouleversement car, à lui seul, le pays contribue à hauteur de 160 à 815 millions de dollars par an au budget de l’OMS dont le total oscille entre 2 à 3 milliards de dollars. De ce fait, soustraire la participation budgétaire des États-Unis au financement des actions de l’OMS constituerait l’épicentre d’un séisme économique. Les premiers projets à absorber l’onde de choc seraient alors l’éradication de la poliomyélite (financée à 27,4% de contributions volontaires américaines), les services de santé et de nutrition (17,4%), les maladies évitables par la vaccination (7,7%) et le fonds d’intervention d’urgence pour répondre aux urgences sanitaires (44%).
De surcroît, des scientifiques se sont exprimés le 21 janvier dans un commentaire publié par le British Medical Journal pour manifester leur crainte que ce retrait n’entraîne une rupture entre l’OMS et les agences gouvernementales américaines de réputation mondiale à l’instar du Centre de contrôle des maladies ou de l’Administration des aliments et drogues.
Enfin, ce retrait ne serait pas sans produire une situation paradoxale pour les Américains. En effet, Donald Trump souhaite se désolidariser d’une organisation qu’il juge contrôlée par la Chine mais, en se faisant, il risque de provoquer ce qu’il entendait dénoncer conformément à l’analyse de Jeremy Konyndyk qui affirme que « si [leur] préoccupation est vraiment que l’OMS serait contrôlée par la Chine, alors retirer les États-Unis » de l’équation règle la question à l’avantage de la Chine.
Des réactions qui ne se font pas attendre sur la scène internationale et européenne
L’heure est alors aux inquiétudes : experts, responsables politiques comme ONG doutent que l’OMS puisse remplir ses fonctions vitales sans le soutien des États-Unis.
Sur X, le Directeur général de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, déclare qu’il « regrette l’annonce de l’intention des États-Unis d’Amérique de se retirer de l’Organisation ». Plus virulent, Tom Frieden, ancien haut responsable sanitaire sous l’administration de Barack Obama, affirme sur la même plateforme que « La décision de quitter (l’OMS) affaiblit l’influence de l’Amérique, augmente le risque d’une pandémie mortelle et nous rend tous plus vulnérables ». En face, la Chine ne manque pas de prendre le contre-pieds de la position américaine en assurant par l’intermédiaire du porte-parole de la diplomatie chinoise, Guo Jiakun, que « La Chine, comme elle l’a toujours fait, soutiendra l’OMS dans la réalisation de ses missions» pour promouvoir « la santé de l’humanité ».
Du côté de l’Union européenne, la porte-parole de la Commission européenne pour les questions de santé, Eva Hrnčířová, invite « Tous les membres de l’OMS à renforcer leurs engagements » pour faire face à ce retrait. Pour ce qui en est des représentants du Parlement européen, la condamnation se fait unanime à l’instar de la présidente du groupe de la Gauche, Manon Aubry, qui dénonce une « décision populiste qui aura des conséquences catastrophiques ».
L’aide à l’Ukraine, nouveau centre de gravité dans le jeu des campagnes électorales allemandes
Article écrit par Hélène Schiavitti
Alors que l’Europe a les yeux rivés sur le déroulement des élections législatives allemandes qui se tiendront dans moins d’un mois, un nouveau thème fait irruption dans la campagne : la question de l’aide à l’Ukraine. En divisant la classe politique allemande, ce sujet ne manque pas de complexifier encore un peu plus un scrutin qui s’annonçait déjà délicat.
Affiches électorales des partis allemands SPD et CDU-CSU
Olaf Scholz, seul contre tous ?
L’actuel chancelier et candidat à sa réélection, Olaf Scholz (SPD), a un positionnement clair sur la question de l’aide allemande à l’Ukraine : celle-ci ne doit contribuer ni à une escalade militaire avec la Russie, ni à une rupture de l’équilibre budgétaire. De ce fait, Olaf Scholz se montre réticent à l’envoi des missiles Taurus comme à toute hausse de l’enveloppe budgétaire.
Pourtant, ce positionnement le place en porte-à-faux avec les membres de sa propre coalition. En effet, les Verts réclament un soutien accru aux forces ukrainiennes tandis que le ministre de la Défense, Boris Pistorius, et celle des Affaires étrangères, Annalena Baerbock, plaident pour une rallonge budgétaire de 3 milliards d’euros.
Face à ces critiques, Olaf Scholz rappelle que l’Allemagne est le deuxième soutien à l’Ukraine derrière les États-Unis. Selon l’Institut économique de Kiel, l’Allemagne est effectivement deuxième au rang mondial s’agissant du soutien à l’Ukraine en ayant dépensé près de 15,7 milliards d’euros. Néanmoins, si on se place du côté de la proportion de cette aide par rapport au PIB du pays, l’Allemagne dégringole alors au 17e rang avec seulement 0,39 % de son PIB mobilisé.
Une campagne sur le dos de l’Ukraine ?
Olaf Scholz se présente comme le « chancelier de la paix » en plaçant sa campagne sous le signe de la promesse d’empêcher toute escalade militaire avec la Russie et le sacrifice des priorités en matière de politique intérieure. Mais, face à cette rhétorique émanant de la chancellerie, Annalena Baerbock dénonce un calcul politique intéressé tout en prenant soin de ne pas nommer explicitement le chancelier : « Dans le contexte de la campagne, certains privilégient une perspective nationale, en se demandant comment gagner rapidement des voix aux élections législatives, plutôt que d’assumer une véritable responsabilité pour garantir la paix et la liberté de l’Europe ». De même, Claudia Major, spécialiste des questions de sécurité au German Marshall Fund, accuse Olaf Scholz de « jouer effectivement l’aide à l’Ukraine contre les sujets comme le financement des communes ou les retraites » tout en rappelant les relations historiques de SPD et de la Russie qui pousseraient le chancelier à estimer que « la Russie sera toujours là. On ne peut pas la vaincre, donc il faut s’entendre avec elle. ». Enfin, dans un article publié dans la Frankfurter Allgemeine Zeitung, Norbert Röttgen, membre de la commission des Affaires étrangères du Bundestag et de la CDU, et Anton Hofreiter, figure des Verts, condamnent le « défaitisme catastrophique » du chancelier et l’accusent de semer la peur au sein de la population allemande.
En face, le candidat des conservateurs à la chancellerie, Friedrich Merz, entend au contraire financer la défense, l’aide à l’Ukraine ou les investissements. Or, ce positionnement amène à un alignement inattendu entre la CDU-CSU et le parti des Verts qui milite pour un soutien accru à Kiev notamment par la livraison des missiles Taurus. Friedrich Merz a d’ailleurs indiqué que Mme Barbock l’avait appelé pour lui demander le soutien de la CDU au Bundestag afin de passer en force sur ce sujet. Dès lors, du fait de ces convergences de position, on peut se demander si les Verts et la CDU-CSU pourraient s’allier pour former un gouvernement après les élections du 23 février ? Néanmoins, si un tel scénario est régulièrement évoqué, il semblerait plus judicieux pour la CDU-CSU de se tourner vers le SPD, devançant les Verts dans les sondages d’intention de vote, pour former une coalition.
Qu’en est-il de l’opinion publique allemande ?
Si la question divise la classe politique allemande, l’opinion publique semble soutenir le positionnement prudent et modéré d’Olaf Scholz. En effet, les enquêtes d’opinion montrent qu’une majorité d’Allemands soutient l’aide à l’Ukraine, mais pas la livraison de missiles de croisières Taurus, qui permettrait à Kiev de frapper le territoire russe en profondeur, et à laquelle Olaf Scholz s’est jusqu’ici toujours opposé. En effet, selon un sondage réalisé par ARD et datant de novembre 2024, 61 % des personnes interrogées s’opposent à la livraison des missiles, un chiffre qui grimpe à 76 % dans l’ancienne Allemagne de l’Est. De plus, le Baromètre Allemagne-Pologne d’octobre 2024 révèle que le pourcentage de répondants allemands favorables au soutien militaire à l’Ukraine est passé de 58 % à 49 % depuis mars 2022.
Missiles Taurus