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Prostitution, Elena Blum, Naelie Baudin

Prostitution : l’Europe, un nouvel eldorado ?

La prostitution se développe beaucoup en Europe. Les réglementations sont très différentes d’un pays à l’autre, entraînant un tourisme sexuel grandissant. Eurosorbonne fait le point sur les spécificités de chaque pays et leur impact sur la vie des travailleurs du sexe. (L’image ci-dessus est issue de la campagne Stop the Traffik.) 

La réglementation de la prostitution en Europe est un débat houleux, et si le Parlement européen a directement lié la prostitution et la traite humaine, chaque pays a ses spécificités. En Roumanie, en Croatie et en Lituanie, la prostitution est purement et simplement illégale (le client n’est pas forcément pénalisé contrairement au travailleur du sexe). Dans le reste des pays d’Europe, l’exercice individuel de la prostitution ne constitue pas un délit, mais les modèles de réglementation sont très différents. Il existe plusieurs courants de pensée : l’abolitionnisme a pour but d’abolir toute réglementation concernant la prostitution, mais pas forcément la prostitution elle-même. Ce courant considère que les prostitué.es sont des victimes et que les réglementations les concernant ne font qu’aggraver leur situation. Le prohibitionnisme vise à interdire toute forme de prostitution. Le réglementarisme vise à réglementer la pratique de la prostitution (interdiction du racolage mais autorisation des maisons closes, par exemple).

Pénalisation et limitation de la prostitution

En France, une loi entrée en vigueur en 2016 vise à pénaliser les clients, mais en même temps à supprimer le délit de « racolage passif » mis en place par Nicolas Sarkozy en 2003. Ce délit concernait toute personne qui par son attitude (même passive) souhaitait inciter un tiers à avoir des relations sexuelles tarifées. En d’autres termes, n’importe quel.le prostitué.e se tenant dans un lieu public pouvait être puni de deux mois d’emprisonnement et de 3750 euros d’amende. Ainsi, la loi française est floue : faire appel à un travailleur du sexe est interdit, mais en être un soi-même est autorisé.

Ce modèle de pénalisation des clients et non des prostitué.es est le même en Suède, en Norvège, en Irlande du Nord… Il est régulièrement critiqué par les associations de travailleurs du sexe, car ce modèle renforce la clandestinité, et le nombre de clients ne baisse pas suffisamment pour changer les conditions de travail des prostitué.es, mais permet aux clients de négocier les prix ou le port d’un préservatif, au vu du risque qu’ils prennent.

Légalisation et encadrement de la prostitution

Le modèle le plus largement étendu, mais également le moins homogène est celui de la prostitution légale, mais soumise à des restrictions nationales. L’Espagne, le Portugal, le Royaume-Uni, l’Italie, la République Tchèque, la Pologne et de nombreux autres suivent ce modèle. Selon les pays, les maisons closes peuvent être autorisées (comme en Espagne), ou interdites, le racolage toléré, mais le proxénétisme quasiment toujours condamné. Il n’y a qu’en Espagne et aux Pays-Bas où les proxénètes ont le droit d’exercer, et abusent souvent de leur situation : des contrats de travail de 21 jours sont délivrés aux prostituées, correspondant à leur cycle menstruel.

Aux Pays-Bas, pourtant, la reconnaissance de la profession va très loin : un statut précis permet aux prostitué.es de bénéficier d’une couverture de santé complète, de cotiser pour les impôts, la retraite, l’assurance maladie,… Le métier peut être salarié ou indépendant, selon le souhait de la personne qui sera ainsi rattaché à la caisse d’assurance sociale générale ou indépendante. Cette réglementation permet en outre une plus grande reconnaissance sociale de la prostitution. La population est moins négative à l’encontre de cette profession, reconnue comme une activité à part entière, et les conditions de vie des prostitué.es sont généralement bien meilleures.

L’Allemagne suit ce modèle : depuis 2002, les prostitué.es peuvent bénéficier d’un contrat de travail et poursuivre leur employeur. Ainsi, l’Artemis, la plus grande maison close de Berlin, instaure un tarif d’entrée commun aux clients et aux prostituées : 70 euros par jour. Les prestations seront ensuite directement payées en liquide à la quarantaine de prostituées (en moyenne) qui sont présentes au sein de cet hôtel de luxe géant.

Interdire ici, réguler ailleurs : favoriser le tourisme sexuel luxueux

Le tourisme sexuel – qui désigne le fait de se déplacer à l’étranger pour satisfaire des besoins sexuels, généralement par le biais de la prostitution – est une réalité en Europe, alors même qu’on le considère surtout comme le fait de pays en développement tels que la Thaïlande.

Les pays qui réglementent la prostitution deviennent alors des destinations attrayantes pour les étrangers : selon la Fondation Scelles, 80% des « bordels » espagnols ou belges seraient Français. Certaines zones frontalières sont d’ailleurs connues pour leurs maisons closes. La fondation cite à ce titre la Jonquera, en Catalogne, où est situé le Paradise qui compte 80 chambres et 170 prostituées.

La réglementation n’encadrant que les personnes prostituées, les clients peuvent être de toute nationalité. Difficile de vérifier si le client respecte ou non la législation de son pays d’origine : un Français peut donc fréquenter un « bordel » en Belgique, alors même qu’une loi vient d’être votée en France pour pénaliser le client.

Le tourisme sexuel illégal : des revenus pour des économies fragiles

Néanmoins, le lien entre les diverses législations nationales et le développement du tourisme sexuel en Europe est à nuancer. On ne compte plus les articles traitant des réseaux de prostitution de Prague ou Budapest, où elle est pourtant interdite (NDLR : voir carte à la fin de l’article). Ainsi, réglementation et tourisme sexuel ne vont pas forcément de pair, tandis que la libre-circulation rend toujours compte de l’essor du tourisme de masse, et donc, du tourisme sexuel. Mais l’ouverture des frontières se faisant au niveau mondial, le phénomène n’est pas spécifique à l’espace Schengen.

Il s’explique aussi par un écart de niveaux de vie : les pays de l’Est sont des destinations peu onéreuses, d’autant plus abordables que les vols low-cost sont désormais la norme, et qu’Internet a rendu possible la création de véritables sex tours organisés. Les clients sont accueillis dans des hôtels et où des « packs » de prestations sexuelles leurs sont vendus pour la durée de leur séjour. Ce tourisme illégal crée des retombées économiques, mais elles ne sont pour autant pas l’apanage de l’Europe de l’Est : en Espagne, 50 millions d’euros par jour seraient tirés de l’industrie de la prostitution, qui représenterait aux Pays-Bas 5% du PIB, alors même que les prostituées n’y sont pas toujours déclarées. Le tourisme sexuel est un des premiers commerces mondiaux illégaux. Pour les prostituées cependant, qui font face à des situations très précaires, les rentrées d’argent sont dérisoires : en Grèce ou en Espagne, les tarifs peuvent descendre à 2€ la passe.

Des clients, des « filles de joie » : un lieu commun implacable ?

Les maisons closes ne sont en fait qu’une facette du phénomène, le tourisme sexuel ne se résumant pas à une domination masculine sur les femmes.

Il implique tout d’abord des mineurs, filles ou garçons – le terme désignant bien souvent l’exploitation sexuelle des enfants. L’ECPAT (End child prostitution and trafficking) estime qu’ils représentent 40% des prostitués en Italie du Nord, et qu’en France en 2003, ils seraient 8000 à avoir été concernés. Hors de l’Europe, le tourisme sexuel concerne de nombreux non-pubères.

Autre variable, que l’on omet souvent de mentionner : une clientèle féminine se développe aux Caraïbes, ou en Afrique, avec ses codes et ses normes. Les « beach boys » qui proposent leurs services sont généralement cultivés et séduisants. Les plages et l’intimité des hôtels se substituent ainsi aux bordels, le flirt et la romance prenant plus de place dans la prestation globale que les stricts rapports physiques, qui restent, selon Ulrich Seidl (réalisateur de Paradis : l’amour), teintés de « colonialisme ».

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Par Naëlie Baudin et Elena Blum