Par Noé Rougier et Hussein Malamelli.
Censure de Sputnik et de Russia Today : l’Europe va-t-elle trop loin ?
Après une semaine de guerre aux portes de l’Europe, les mesures de rétorsion pleuvent et de nouvelles gouttes s’abattent chaque jour plus intensément sur la Russie.
Le mardi 1er mars 2022, les Vingt-sept se sont accordés sur la mise en place de nouvelles sanctions à l’encontre de la Russie. A prédominance économique, elles n’en demeurent pas moins offensives sur le domaine numérique.
En effet, l’Union Européenne a adopté une directive visant à interdire temporairement RT et Sputnik d’accès à toute plateforme de diffusion. Cela inclut le câble, les décodeurs, mais également certains réseaux sociaux sur lesquels ces médias s’étaient retranchés après l’annonce des intentions d’Ursula von der Leyen de bloquer ces “outils de propagande du régime russe” le 27 février dernier. L’agence de presse russe Tass a également été suspendue de l’alliance européenne des agences de presse.
L’interdiction de RT (anciennement Russia Today) et Sputnik, médias télévisés mais aussi numériques affiliés à l’Etat russe, sont des conséquences directes de la guerre d’information que mène l’UE en appui à l’Ukraine, face à Vladimir Poutine et le Kremlin. Accusés de minimiser l’horreur des actions du chef du gouvernement russe, si ce n’est de les camoufler, cette censure s’inscrit donc dans un contexte de méfiance globale et de lutte d’influence.
Sur France Inter le 1er mars , le secrétaire d’État au Numérique Cédric O a fait état d’une “remise en question de notre cadre conceptuel” vis-à-vis de la censure. Estimant que nous sommes dans une situation exceptionnelle dans laquelle “la bonne tenue de l’information” n’est plus la priorité, Cédric O justifie les sanctions européennes comme s’opposant à un ennemi avec lequel nous sommes en conflit. Cela interviendrait donc autrement que dans le cadre de la “bonne tenue de l’information”. Ces mesures seraient ainsi indépendantes d’une quelconque régulation modérée par l’Arcom, ex CSA.
Enfin, cela nous amène à nous interroger, nous européens, sur la manière dont la guerre influence nos vies. En Europe où l’État de droit est roi, on agite en ce moment la censure au nom de la survie de nos démocraties. Bien que cette situation fut anticipée dans les articles 29 sur le Traité de l’Union Européenne et 215 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne, n’est-ce pas là l’expression d’un aveu de faiblesse éducative ? Les peuples européens sont-ils trop ignorants pour se défaire de l’intox propagandiste russe ?
La démocratie reposant sur la liberté et la diversité d’opinion, il paraît important de reconsidérer notre approche de la lutte contre la désinformation. Cela revient à se demander plus largement comment se prémunir de la diffusion de mensonges à grande échelle sans toutefois devenir le propre de ce que l’on critique.
L’Ukraine au centre de l’attention lors du 9e sommet européen des régions et des villes
Le 9e sommet européen des régions et des villes s’est tenu le 3 et le 4 mars à Marseille, et a rassemblé de nombreux élus ainsi que des hauts représentants de l’Union européenne, dont le Président du Comité européen des régions Tzitzikostas, la Présidente du Parlement européen Metsola ou bien encore la Commissaire européenne à la cohésion et aux réformes Ferreira.
Ce grand événement ayant pour but d’inclure davantage les collectivités dans les politiques européennes a totalement changé de programme à cause de l’invasion de l’Ukraine, considérée comme une menace directe aux portes de l’Union européenne. La dépendance financière, énergétique et militaire de l’Union européenne vis-à-vis de la Russie ont été abordées de nombreuses fois également.
Le sujet de la cohésion territoriale a été central certes, mais davantage orienté vers la coopération transfrontalière dans un souci d’intégrer l’Ukraine au débat. Cet enjeu est prioritaire dans la mesure où il permet notamment aux villes polonaises de coordonner leurs politiques d’immigration et d’asile avec leurs jumelles ukrainiennes. Les conférences sur la démocratie ont été l’occasion pour les responsables européens d’afficher leur fort soutien notamment humanitaire à l’Ukraine de manière unanime.
Emmanuel Macron, assurant des négociations avec Vladimir Poutine, a annulé son déplacement au Sommet, mais a tout de même affiché un soutien fort à l’Ukraine via une lettre adressée aux dirigeants européens. D’autre part, des responsables ukrainiens dont le Maire de Kiev Klitscho sont intervenus en ligne pour saluer cette fraternité.
Pour plus d’informations, le Comité européen des régions et les Représentations diplomatiques des institutions européennes en France communiqueront bientôt sur cet événement.
L’Ukraine et la Russie ont négocié cette semaine l’instauration de couloirs humanitaires
Le jeudi 3 mars, la Russie et l’Ukraine ont convenu d’instaurer des « couloirs humanitaires » permettant aux populations civiles de fuir les bombardements. En effet, beaucoup de villes sont encerclées par les combattants, et il est impossible pour la population civile de fuir à l’Ouest. Selon la délégation ukrainienne, il serait possible d’obtenir un cessez-le-feu lors de l’évacuation, tandis que la délégation russe a salué le « progrès significatif » dans les négociations. D’autre part, plusieurs dirigeants européens affirment dans leurs dernières déclarations être prêts à accueillir les réfugiés ukrainiens. Des fonds seront débloqués pour soutenir financièrement les pays les plus impactés comme la Pologne.
Le général Dominique Trinquand, ancien chef de la mission militaire française auprès de l’ONU à New York, salue l’établissement des couloirs dans la mesure où les chaînes d’approvisionnement en énergie, en eau et en nourriture ont été coupées dans une grande partie des villes stratégiques pour la Russie. Il souligne néanmoins que les couloirs humanitaires sont souvent instaurés lorsqu’un camp n’a pas de stratégie militaire assez viable. Vladimir Poutine, en difficulté dans plusieurs villes, pourrait s’en servir pour se débarrasser des populations et avoir le champ libre pour s’emparer des points stratégiques.
Conflit Russie-Ukraine : vers la constitution d’une Europe de la défense ?
Depuis la reconnaissance des Républiques du Donbass par Vladimir Poutine le lundi 21 février, l’Europe tente de s’affirmer sur plusieurs plans.
Tout d’abord, le chancelier allemand Olaf Scholz et Emmanuel Macron ont multiplié les déplacements sur le sol ukrainien ainsi qu’au Kremlin, dans un espoir de victoire de la diplomatie. Néanmoins, force est de constater que l’escalade des tensions a finalement conduit à une toute autre approche de la gestion du conflit.
Dès les premiers pas russes en territoire adverse, une première vague de sanctions européennes s’est abattue sur le Kremlin et les oligarques le soutenant. Depuis, c’est un véritable raz-de-marée punitif qui sévit sur la terre rouge. Exclusion du système SWIFT, gel d’avoirs, fermeture de l’espace aérien européen aux engins russes… Les mesures décidées par les pays européens sont désormais presque toutes entrées en application.
Cependant, parallèlement à ces actions court-termistes, la guerre russo-ukrainienne génère également des effets qui impacteront l’Europe sur des durées très étendues. En effet, la question du réveil de l’Europe de la défense par Vladimir Poutine se pose aujourd’hui dans la tête de nombreux analystes géopolitiques.
Avec la dotation de matériel militaire et humanitaire d’une valeur de 500 millions d’euros à l’Ukraine, l’Union Européenne s’implique concrètement dans la défense du continent. Il s’agit là d’un tournant dans l’histoire de la construction européenne, puisqu’elle pourrait alors poser les premières pierres d’une réelle institutionnalisation de sa défense commune.