Le MACF : changement de cap de la politique commerciale de l’UE ?

Article de Zacharie Schaerlinger

Le MACF : Changement de cap de la politique commerciale de l’UE ?

La politique commerciale de l’UE est animée par une matrice libérale, c’est-à-dire que l’Union cherche à nouer des accords basés sur le principe du libre-échange. Cela afin de réduire les coûts d’impositions entre États pour le plus grand bonheur du consommateur, ce qui revient à abaisser les barrières tarifaires. Le petit souci c’est que ces régimes de libre-échange font en partie abstraction des mesures législatives de production des pays tiers avec lesquels l’UE commerce. Autrement dit, la Commission ne va pas passer au crible toutes les législations des pays tiers avant de signer des accords commerciaux. Cela pose un problème à la fois pour les entreprises européennes qui peuvent se retrouver en situation de concurrence déloyale et les consommateurs qui ne savent pas forcément ce qu’ils consomment. 

Pour pallier ces errances de régulations, l’UE à quand même un outil pour tenter de contrôler les importations de pays tiers : les instruments de défenses communautaires (IDC) avec des restrictions législatives émanant de la Commission mais qui restent cependant  temporaires afin de ne pas tomber dans des politiques protectionnistes. Le MACF, mécanisme d’ajustement carbone à la frontière, qui devrait voir le jour en 2025, pourrait avoir les mêmes effets que les IDC mais de manière plus contraignante. Il imposerait à l’entrée du marché unique un “droit de passage” calculé sur le différentiel carbone entre un bien importé et un bien produit au niveau européen pour les mêmes critères de production.

 

Les Instruments de Défenses Communautaires 

Ils sont classés entre trois grandes catégories et sont conformes aux accords de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), qui autorisent à ses membres de se prémunir contre les pratiques déloyales de certains États-tiers :  

1. L’antidumping :

Le dumping c’est une pratique où un produit fait l’objet d’un écart de prix entre l’exportation et le prix d’achat dans le pays fabricant. De manière générale, ce prix, pour un même bien, est souvent inférieur dans les pays importateurs.

Cela consiste donc en une baisse artificielle du prix d’un produit local au niveau de l’exportation, afin de mieux pénétrer les marchés étrangers parce qu’il coûte moins cher et ainsi  profiter d’un effet d’aubaine. Les mesures antidumping se prennent à la suite d’enquêtes avec la Commission et les États concernés. N’importe quelle personne (physique ou morale) peut intenter une action. La conséquence est le plus souvent une  une amende sur le produit importé, applicable pendant six mois. Le Conseil de l’Union européenne peut ensuite prendre une mesure antidumping, consistant en une taxe douanière, pour cinq ans maximum.

Cet outil représentait 66 % du total des mesures de défense commerciale utilisées dans l’UE (99 sur 150 mesures) en 2020, face à des pays comme la Chine, la Russie ou le Vietnam. 

La mesure a été complétée en 2017 afin de mieux tenir compte des interventions de certains États cherchant à fausser les prix ou les coûts sur leurs marchés intérieurs à l’aide de facilité de financement.

2. Les mesures anti-subventions :

Comme le dumping, elles visent à lutter contre les pratiques jugées déloyales pour rétablir des conditions de concurrences équitables. C’est le cas, quand des firmes étrangères ont perçu des subventions de la part de leur État d’origine, leur donnant des avantages sur les opérateurs européens. 

Quand la distorsion est avérée des mesures peuvent être prises au niveau de l’OMC. Ces mesures sont dites “mesures compensatoires”. Les subventions peuvent prendre plusieurs formes : transfert de fonds direct, garantie de prêt. 

3. Les mesures de sauvegardes : 

Un membre de l’OMC peut temporairement restreindre les importations d’un produit si son industrie nationale subit un grave préjudice ou est menacée par une vague d’importations. Ces mesures sont exceptionnelles et peuvent prendre la forme d’un relèvement du taux de droit consolidé ou de restrictions quantitatives.

La procédure peut être engagée à la demande d’un État membre ou à l’initiative de la Commission européenne.

Dans la pratique, ces outils sont souvent des procédures longues et coûteuses : prouver une distorsion de concurrence avec des subventions dans un pays tiers, allez démontrer l’existence de ces subventions… Ces outils de défense agissent en aval des accords (une fois les produits arrivés sur le sol européen) avec des ajustements à la marge (la palette d’outils des IDC) mais certainement pas en amont des relations. 

Il faut savoir innover pour protéger les entreprises européennes dans le cadre d’accords commerciaux (éviter toute cette concurrence déloyale) et c’est pourquoi le MACF pourrait agir comme un IDC.

 

Le Mécanisme d’Ajustement Carbone à la Frontière 

L’UE s’est engagée à atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, ce qui signifie qu’il faut contrôler les mesures d’émission de fuite de carbone dans la vie courante. 

Les IDC sont des outils d’ajustements temporaires quand le MACF est un mécanisme qui devrait être permanent. Dans sa conception, le MACF enverrait un signal aux pays exportateurs, dont l’avantage concurrentiel est basé sur une faible régulation environnementale produisant une forte émission en carbone. 

Le mécanisme consiste à appliquer un prix aux produits importés en fonction de leur contenu en carbone et de la différence de prix du carbone entre l’Union européenne et le pays d’origine.” Le MACF met donc sur un pied d’égalité les producteurs de l’UE et les producteurs tiers, de sorte que le même prix soit payé pour une même quantité de carbone donnée. L’entreprise exportant en Europe avec des normes environnementales qui lui confère un avantage déloyal se verra appliquer un surcoût en fonction de la teneur en carbone de ses produits.  

Le MACF permettrait de rétablir une concurrence saine entre opérateurs économiques tiers et européens avec l’utilisation en amont d’un outil fiscal (une taxe) qui s’appliquerait selon des critères déterminés (donc connus pour les exportateurs) pour tout produit qui ne serait pas conforme aux standards environnementaux européens (ce qui est une source de dumping social et environnemental). Ces mêmes entreprises devraient donc subir un coût supplémentaire pour entrer dans le marché unique. Le mécanisme protège à la fois l’environnement et les entreprises européennes. 

Cette imposition directe aux frontières de l’UE serait source de nouvelles ressources de financement. Selon les estimations de la Commission en décembre 2021, cette nouvelle taxe pourrait rapporter 1 milliard d’euros par an à l’UE. Elle a proposé que : “75 % des recettes du mécanisme alimentent le budget européen. Outre son impact environnemental, le projet s’inscrit dans une stratégie de relance économique mais aussi d’autonomisation du budget européen, aujourd’hui alimenté aux trois quarts par les contributions nationales des États membres.”

 

Un IDC permanent : le renouveau de la matrice libre-échangiste en situation de crise ?

Le mécanisme se heurte à plusieurs contraintes au niveau de l’OMC qui vise à interdire tout traitement différentiel entre des produits similaires provenant de régions différentes. Il serait possible d’appliquer le MACF avec l’article XX du GATT, s’il était prouvé que le mécanisme vise à lutter contre le changement climatique plutôt qu’à introduire des mesures protectionnistes. 

Par ailleurs,  il y a aussi la difficulté de savoir comment comptabiliser le carbone. Il est assez compliqué de mesurer la teneur en carbone avec un processus de production fragmenté, comme le commerce intra-firm, où des statistiques seraient peu fiables étant donné l’étendue des chaînes de valeurs à retracer.

De plus, la procédure d’adoption par les États membres dépendra du type d’instrument choisi. À titre d’exemple, alors qu’une taxe nécessite l’accord unanime de tous les États membres, l’approbation d’un droit de douane dépend d’un processus de codécision impliquant le Parlement européen et le Conseil européen.  

Il y a aussi des résistances au niveau européen. Certains secteurs industriels ne veulent pas voir un MACF puisque cela risque d’impacter leur activité économique.

 

Au final, ce type de mécanisme peut être comparé aux IDC au titre qu’il préserverait la compétitivité des entreprises industrielles en poursuivant l’objectif de la neutralité carbone. Il pourrait même être qualifié “d’instrument d’offense communautaire” étant donné sa volonté de changer les pratiques environnementales des pays exportateurs en exerçant directement une contrainte sur leurs produits à l’importation.

Il doit, toutefois, veiller à cibler correctement les produits en fonction de leurs origines et inciter les producteurs-tiers à se mettre au même niveau que les producteurs européens. Faute de quoi, un MACF pourrait être potentiellement contre-productif en ne retenant que la teneur en carbone d’un produit fini, sans penser la décarbonation des chaînes de valeurs ni la redistribution de richesse à destination des pays en voie de développement qui se heurtent à une plus grande difficulté pour financer leur transition écologique. Le MACF ne doit pas être qu’un instrument de contrainte financière, il doit aussi penser la redistribution et la justice sociale, qui sont les piliers du développement durable.

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