Articles écrits par Thiennot Foucher et Lila Salmi
Une semaine en contraste pour l’idée de défense européenne
Alors que les propos d’Emmanuel Macron au sujet de l’envoi de troupes militaires en Ukraine ont profondément divisé ses partenaires européens, deux événements importants ont eu lieu cette semaine dans le domaine de la défense européenne. Retour sur cette actualité moins médiatisée, mais tout aussi intéressante.
L’opération militaire navale de l’UE en mer rouge passe un cap après l’approbation du Parlement italien
Décidé à l’unanimité lors du Conseil des ministres des Affaires étrangères du 19 février, le lancement de la mission Aspides (“boucliers” en grec ancien) a connu une avancée cruciale cette semaine. Le mandat de cette mission militaire européenne prévoit l’usage de la force pour garantir la liberté de navigation et la sécurité des navires marchands dans la mer Rouge, sans autoriser le ciblage d’objectifs terrestres. Cette décision fait suite aux nombreuses attaques des Houthis, un groupe militaire Yéménite soutenu par l’Iran qui mène des tirs de missiles et des attaques de drones sur les navires marchands qui empruntent l’une des routes maritimes les plus fréquentées au monde. La mission Aspides a reçu la garantie de nombreux pays européens qui promettent de lui fournir navires, marins et équipements. Le Parlement italien a approuvé ce mardi 05 mars la participation du pays à l’opération. C’est une étape importante car la mission est placée sous le commandement tactique de la marina militare, la marine italienne. Largement soutenue par les députés italiens, la participation de la “botte” rend possible un début des opérations des forces européennes dans quelques semaines. Pour le chef de la diplomatie italienne Antonio Tajani, la mise en œuvre rapide de cette opération militaire commune est “une étape importante vers une défense européenne commune”. Une politique rendue nécessaire du fait des risques de hausse des prix et de pénuries à cause des perturbations du trafic maritime dans une large zone englobant le pourtour de la péninsule arabique.
La Commission européenne propose la première stratégie industrielle de défense européenne
Ce mardi 05 mars, Bruxelles a proposé un plan qui vise à reconfigurer l’industrie de la défense au niveau européen et, surtout, à favoriser la collaboration et les achats entre les vingt-sept. Cette première prend place dans un contexte que Josep Borrell, le chef de la diplomatie européenne, qualifie de “fin des dividendes de la paix de l’après-guerre froide”, une période pendant laquelle les dépenses militaires se sont réduites pour devenir minimes. La stratégie européenne prévoit un fonds d’1,5 milliard d’euros pour la période 2025-2027. Il doit faciliter l’accès aux financements pour les petites et moyennes entreprises qui produisent des équipements militaires et permettre le développement d’un cadre pour favoriser le développement de projets communs de défense. L’un des buts avoués est aussi d’anticiper une future crise d’approvisionnement, pour assurer à l’Europe d’être en capacité de répondre à un conflit à haute intensité. Enfin il s’agit de se détacher de la dépendance aux États-Unis en termes de fourniture d’équipements militaires puisque comme le rappelle Ouest France, 68 % des achats effectués par les 27 États membres de l’UE au profit de l’Ukraine se font auprès de fabricants américains. La vice-présidente de la Commission Margrethe Vestager explique : “Nous proposons d’atteindre l’objectif d’ici 2030 d’acquérir 40 % des équipements de manière collaborative et 50 % des équipements au sein de l’Union européenne“.
La Commission prend donc une initiative de plus dans le domaine de la défense, même si ce pas en avant est une avancée minime, notamment au vu du montant dérisoire alloué à ce projet. Avec les débuts prochains de la mission Aspides en mer rouge, c’est un signal supplémentaire de l’engagement de la Commission Van der Leyen pour l’idée de défense européenne Un projet qui continue néanmoins de profondément diviser les Européens.
Le congrès annuel du Parti socialiste européen désigne Martin Schmidt comme candidat à la tête de la Commission européenne
Le 2 mars dernier, le Parti socialiste européen (PSE) qui regroupe les différents partis socialistes d’Europe a tenu son congrès annuel à Rome. L’occasion pour eux de lancer leur campagne en vue des élections européennes de juin prochain.
Martin Schmidt désigné comme tête de liste commune
Pour prendre la tête de sa liste aux prochaines élections du Parlement européen (qui se dérouleront du 6 au 9 juin prochain) le PSE a choisi Martin Schmidt. Ce Luxembourgeois de 70 ans, inconnu du grand public, est Commissaire européen à l’Emploi et aux Droits sociaux depuis 2019. Il est réputé comme étant un important spécialiste des questions sociales européennes, mais aussi des arcanes de la politique européenne. Le candidat idéal pour incarner le programme présenté par le PSE lors du congrès.
Une Europe plus sociale
Le PSE a notamment présenté son manifeste, intitulé “L’Europe que nous voulons : sociale, démocratique et durable”. Martin Schmidt et les autres leaders sociaux-démocrates européens ont multiplié les déclarations au sujet du programme qu’ils défendent pour juin prochain. Le “Spitzenkandidat”, terme allemand très utilisé à Bruxelles pour désigner une tête de liste a expliqué sa vision : “Nous devons avoir une Europe sociale dans laquelle chaque citoyen ne se sent pas laissé pour compte. “. Il a ajouté : “Nous ne permettrons pas que l’Europe emprunte la voie de l’austérité et de la répression sociale comme elle l’a fait pendant la crise financière.”.
Limiter la percée des nationalistes
L’autre point important du discours socialiste était consacré au sujet qui préoccupe le plus les membres du PSE : les bons résultats annoncés des partis nationalistes et identitaires aux élections du Parlement européen. Le Premier ministre espagnol, Pedro Sánchez, a prévenu : “L’âme de l’Europe est en danger […]. Les fantômes du passé sont une nouvelle fois aux portes de nos institutions”. Le Président du PSE, Stefan Löfven, a aussi exprimé son inquiétude : “Normaliser l’extrême droite revient, en pratique, à mettre en danger tout ce que nous avons construit ensemble“. Par la voix de Martin Schmidt, les socialistes européens se sont engagés à ne pas collaborer avec les deux groupes les plus eurosceptiques du Parlement européen, Identité et Démocratie (ID) et les Conservateurs et Réformistes européens (ECR). Ils ont aussi envoyé un message en direction des libéraux, les appelant à faire de même pour rester “rester fidèles à leur propre histoire, à leur engagement européen”.
Selon les sondages, les membres du PSE devraient encore constituer le deuxième groupe parlementaire le plus puissant dans le nouveau Parlement européen, ils pourraient avoir à jouer le rôle de faiseur de roi dans la coalition qui devra se mettre en place pour arriver à constituer la majorité parlementaire nécessaire pour le vote de confirmation de la ou du futur Président.e de la Commission européenne.
OTAN: la Suède devient le trente-deuxième membre de l’Alliance atlantique
Ce jeudi 7 mars, la Suède est officiellement devenue le trente-deuxième membre de l’OTAN. C’est lors d’une cérémonie qui se tenait à Washington que le premier ministre a ratifié cette adhésion, en débat depuis près de deux ans.
Le positionnement d’un pays historiquement neutre
Même si elle avait pour habitude de collaborer avec l’OTAN, la candidature de la Suède a marqué une rupture avec la longue tradition de neutralité de Stockholm. Comme le rappelle Ffranceinfo, « La Suède n’a pas connu de conflit depuis 1814 ! » tout en qualifiant également cette adhésion d’« encore inimaginable il y a trois ans ». Ce retournement symbolique n’est pas sans rappeler celui de la Finlande, qui a ayant adhéré à l’OTAN l’an dernier après s’être longtemps tenue l’écart de cette l’alliance atlantique. L’adhésion à l’OTAN signifiera pour la Suède une militarisation progressive. Elle atteindra dès cette année les 2% du PIB consacrés à la défense que demande l’OTAN à ses membres. En parallèle, la Suède a signé en décembre dernier un « accord autorisant les États-Unis à avoir accès à 17 bases militaires sur son sol ».
L’invasion de l’Ukraine comme déclencheur
C’est suite à l’invasion de l’Ukraine par la Russie que la Suède a finalement déposé sa candidature, conjointement à la Finlande, en mai 2022. La Finlande a pu adhérer à l’Alliance dès avril 2023 mais la Suède a dû faire face aux oppositions turques et hongroises. Son adhésion était alors la « dernière pièce du puzzle » au nord de l’Europe alors que Sylvain Kahn, enseignant-chercheur au centre d’Histoire de Sciences Po, rappel que « Les espaces aériens et maritimes des pays européens riverains de la mer Baltique sont régulièrement violés par la Russie, par des sous-marins, des avions de chasse. Il y a un état d’hostilité et de friction. ». La Suède apporte ainsi à l’OTAN une « position stratégique face à la Russie ».
Le processus d’intégration freiné par des oppositions
Si l’adhésion de la Suède a pris près de vingt mois, c’est dans un premier temps à cause de l’opposition turque. La Turquie accusait le pays de faire preuve d’indulgence à l’égard de militants kurdes réfugiés en Suède, le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), considérés comme terroristes par la Turquie, les États-Unis et l’UE. Ce n’est qu’en janvier qu’ils ont donné leur accord. Mais les différends politiques avec une Hongrie ont prolongé l’attente, sous couvert de raisons parfois obscures attribué par certains à la proximité entre ViktorVictor Orban, président hongrois, et Vladimir Poutine. Le parlement hongrois a finalement voté oui à la ratification de l’adhésion de la Suède en février.
Lors de l’adhésion d’Helsinki, Moscou avait promis des « contre-mesures » en réponse à cette alliance et la Finlande avait alors connu « un afflux de migrants à sa frontière orientale ». Le pays a réitéré cette menace lors de l’adhésion de la Suède, sans plus de précisions.
Lutte contre les cyberattaques: l’Union européenne annonce la mise en place d’un « cyber bouclier »
Dans la nuit du mardi 5 mars, le Parlement européen et le Conseil sont parvenus à un accord concernant le règlement sur la cyber solidarité, proposé par la Commission en avril dernier. L’UE devrait se doter d’un « cyber bouclier » en réponse à la demande des États membres de renforcer la cyber résilience européenne.
Réponse à un nouveau contexte géopolitique
L’annonce faite par les 27 dans un communiqué ce mercredi date ? va dans la continuité des engagements pris en 2022 sur la politique de cyberdéfense de l’UE alors que le contexte y est de plus en plus favorable. Dans son communiqué, la Commission rappelle que « cet accord intervient à un moment crucial pour la cybersécurité de l’UE, étant donné que le paysage des cybermenaces dans l’UE continue d’être affecté par les événements géopolitiques. ». Depuis l’invasion de l’Ukraine en février 2022 les cyberattaques se sont multipliées et la récente détection d’un spyware, un type de logiciel malveillant qui enregistre secrètement des informations, dans les smartphones des députés à Strasbourg n’a fait que renforcer les craintes.
Réduire le temps de détection des attaques informatiques
Le projet au budget estimé à un milliard d’euros, financé aux deux tiers par Bruxelles, aura principalement pour but de réduire le temps de détection des attaques informatiques sur les infrastructures européennes. Ce projet consistera en un nouveau système d’alerte qui « mutualisera l’ensemble des ressources du terroir européen ». Médiapart rappelle qu’il « s’écoule aujourd’hui en moyenne 190 jours entre le début de la diffusion d’un malware, logiciel malveillant, et le moment où on le détecte ».
« Réserve cyber » et « cyber hubs »
Dans le cadre de ce « cyber bouclier » l’UE prévoit de mettre en place un réseau de six à sept « cyber hubs ». Ces “cyber hubs” sont des entités chargées de partager les informations ainsi que de détecter les cyber attaques et d’agir en fonction. Ces derniers, dotés d’intelligence artificielle et de supercalculateurs, fonctionneront sur le même modèle que le système de satellites Galileo. La « réserve cyber » aura quant à elle pour but de soutenir l’effort de défense en cas d’attaque et sera constituée de plusieurs milliers de spécialistes volontaires issus du privé et du public.
Le projet doit encore être accepté par le Conseil de l’UE. Son annonce intervient en parallèle d’une nouvelle orientation stratégique pour la défense européenne. En effet, la Commission a proposé mardi que 50% des équipements militaires commandés par les États membres soient fournis par l’industrie européenne d’ici à 2030.