Le prix Sakharov pour la liberté de l’esprit est remis tous les ans par le Parlement européen à une personne ou une organisation qui défend les droits de l’Homme, le droit d’expression. Eurosorbonne vous présente les candidats.
Le prix Nobel de la paix a été attribué ce vendredi 7 octobre au président colombien, Juan Manuel Santos, pour l’accord historique signé avec le chef des FARC, Timochenko, mettant fin à un demi siècle d’exactions et de guerre civile. Si cette récompense fait polémique, c’est parce que le peuple colombien a rejeté cet accord de paix, n’étant visiblement pas prêt à pardonner la guérilla communiste, considérée par les États-Unis comme un groupuscule terroriste.
Mais le prix Nobel de la paix n’est pas la seule récompense à honorer les initiatives humanistes : le Parlement européen a révélé jeudi 6 octobre les noms des nominés au prix Sakharov. Ce prix, créé en 1988 et remis pour sa toute première édition à Nelson Mandela, est une récompense européenne à une personne ou un groupe ayant oeuvré en faveur des droits de l’Homme, de la liberté d’expression, de la défense des minorités et de l’État de droit. La nomination des candidats est faite par un groupe politique ou par 40 députés minimum. Trois lauréats seront sélectionnés mardi prochain par les commissions parlementaires du développement et des affaires étrangères. Enfin, à la fin du mois, les chefs de chaque groupe politique ainsi que Martin Schulz, constituant la “conférence des présidents”, choisiront le lauréat du prix Sakharov et lui remettront sa récompense de 50 000 €.
Qui sont les nominés ?
Can Dündar : jusqu’à sa démission, en août dernier, Can Dündar était le rédacteur en chef de Cumhuriyet, un journal critique envers Recep Tayyip Erdogan et très laïc. En mai 2015, il publie avec son chef de bureau à Ankara un article mettant en cause les services secrets turcs qui auraient fourni des armes aux rebelles syriens. Les deux hommes sont arrêtés, après qu’Erdogan ait publiquement menacé Dündar. Le 6 mai 2016, ce dernier échappe à une tentative de meurtre en se rendant à son procès. Il est condamné à 5 ans et dix mois de prison ferme pour “tentative de renversement du gouvernement de la République de Turquie ou d’empêchement partiel ou total son action avec violence et coordination”. Dündar est un symbole des atteintes faites à la liberté de pensée en Turquie, dans un contexte national très tendu.
Moustafa Djemilev : leader historique des Tatars de Crimée, peuple d’origine turque vivant majoritairement en Crimée, Moustafa Djemilev est considéré par Poutine comme un terroriste. En 1944, Staline ordonne la déportation des Tatars de toute l’URSS. Plus de 45% des déportés meurent pendant le voyage. Moustafa Djemilev a alors six mois. À dix-huit ans, il commence à militer pour le retour des Tatars en Crimée. Il est arrêté, déporté et emprisonné dans des goulags pendant plus de quinze ans. Engagé en politique à la chute de l’URSS, il est élu président de l’assemblée des Tatars et député ukrainien. En 2014, il appelle à boycotter le référendum pour l’annexion de la Crimée à la Russie, et est déclaré personna non grata en Crimée pour une durée de cinq ans. Non-violent, le monstre sacré de Crimée, à nouveau en exil, milite pour les droits de l’Homme et la démocratie dans l’État de droit.
Nadia Murad Basee Taha et Lamiya Aji Bashar : ces deux jeunes femmes sont des Yézidies, une minorité confessionnelle kurde. Cette religion est l’une des plus anciennes connues, remontant à plus de 4000 ans. Les Yézidis sont particulièrement situés en Irak mais aussi en Syrie, en Turquie, en Arménie et en Géorgie. Ils sont les cibles de Daesh depuis la prise de pouvoir par le groupe terroriste de villes majeures telles que Sinjar, où en 2014 plus de 1500 Yézidis ont été massacrées. Nadia Murad Basee, 23 ans, a été enlevée lors de ce massacre, emmenée à Mossoul, vendue, violée, parfois collectivement chaque jour pendant trois mois avant de pouvoir s’échapper. Elle s’est exprimée à la tribune de l’ONU en décembre, et a été faite ambassadrice de bonne volonté des Nations unies pour la dignité des victimes du trafic d’êtres humains. Elle était également en lice pour le prix Nobel de la paix. Lamiya Aji Bashar a vécu plus ou moins le même supplice. Enlevée, vendue à un puissant commandant de Daesh, elle a été violée, battue, a tenté de s’échapper à plusieurs reprises. La cinquième était la bonne, mais en chemin, elle a été terriblement mutilée au visage par une mine. Ses compagnons de route n’ont pas survécu. Ces deux femmes partagent le mêm traumatisme, elles sont toutes deux reconnaissantes de l’Allemagne, terre privilégiée d’accueil pour les Yézidis, mais aussi nostalgique de leurs paisibles vies irakiennes, avec leurs familles aujourd’hui décimées.
Ilham Tohti : professeur d’université, intellectuel et blogueur, Ilham Tohti représente à lui seul l’impunité de la Chine dans un semblant de justice. Il est issu de la minorité Ouïghour, peuple turcophone et musulman de la région autonome du Xinjiang, à l’ouest de la Chine. Ilham Tohti enseigne le droit constitutionnel et le commerce international à l’université des minorités de Pékin. Ses cours ne sont pas adressés qu’aux étudiants Ouïghours, mais à tous ceux qui souhaite questionner le rapport entre groupes ethniques. En effet, dans ses ouvrages, ses articles, ou sur le blog qu’il a cofondé, Uyghur Online, il est non-violent et contre le séparatisme revendiqué par certains Ouïghours. Il questionne les relations entre les minorités ethniques et religieuses et le peuple Han, peuple historique chinois (qui représente 92% de la population). Le Xinjiang est une province en crise constante d’identité, où les autorités chinoises mènent une sévère répression. Ilham Tohti propose alors sur son site des suggestions économiques et politiques pour calmer la situation. En 2014, il est arrêté car il est soupçonné, selon le procureur, “d’enfreindre la loi”. Ce motif flou n’est que le début d’un simulacre de procès, au cours duquel ses avocats ne sont ni autorisés à le voir, ni à prendre connaissance de son dossier et où les observateurs étrangers ainsi que la presse sont interdits. Ilham Tohti a été condamné à la prison à perpétuité, pour avoir voulu initier un dialogue entre deux groupes ethniques et améliorer la situation du Xinjiang.Elena BLUM