Parmi les réformes phare du cabinet Renzi, la refonte de l’administration de la culture et le choix de confier sept musées nationaux à des conservateurs étrangers ont fait couler beaucoup d’encre. Retour sur l’expérience de l’un entre eux, le français Sylvain Bellenger désormais à la tête du palais de Capodimonte.
Au cours d’une rencontre à Sciences Po Paris le 7 octobre, il a partagé son expérience et ses impressions. Des promesses de la réforme à la réalité du terrain, son témoignage a permis de mettre en lumière les enjeux nationaux italiens, mais aussi la singularité de cette réforme au regard du contexte international.
Les innovations apportées par la réforme Franceschini
« Nous avons encore une vision des musées qui date du XIXe siècle. Au contraire nous devons unir la valeur émotionnelle éducative de la culture au marketing. » C’est avec ces mots que Matteo Renzi résume son projet de réforme de la gestion culturelle, lors de la visite d’Angela Merkel à Florence en janvier 2015.
Si cette logique oriente déjà les avancées du secteur culturel privé, cela est un pari résolument osé dans un pays où la politique de conservation du patrimoine n’avait pas évolué depuis un demi-siècle. La décision qui a fait le plus couler d’encre est celle de lancer un appel à candidature international pour renouveler les conservateurs en chef de vingt des plus grands musées nationaux. Si les musées outre-Atlantique n’hésitent pas à faire appel aux talents étrangers, la réforme italienne se démarque dans le paysage de l’Union Européenne, où aucun pays ne s’était encore risqué à ouvrir la fonction emblématique de conservateur à l’international. Sur les vingt profils retenus figurent finalement sept étrangers -dont un français, qui se voient confier les rênes d’un musée pour une période de quatre ans, éventuellement renouvelable.
La réforme Franceschini, du nom du ministre de la culture, permet aussi aux musées de renforcer leur image propre et leur indépendance. En effet, la nouvelle fiscalité appliquée aux fonds privés fait évoluer le financement des musées et réformer leur comptabilité en conséquence. Il est ainsi espéré que cette latitude nouvelle laissée aux conservateurs permette de mieux valoriser et de faire connaître les musées qu’ils gèrent. En effet jusqu’alors, si l’Italie est connue pour avoir le plus grand nombre de sites reconnus par l’UNESCO, seuls quelques musées italiens avaient atteint une reconnaissance internationale.
Parmi ces musées méconnus, le palais de Capodimonte sur les hauteurs de Naples a été confié au conservateur français Sylvain Bellenger.
Un nouveau souffle sur une institution vénérable
« Ce n’est pas encore un musée, c’est une collection, mais quelle collection ! » déclarait son nouveau conservateur à Sciences Po le 7 octobre dernier. Cette collection essentiellement picturale héritée des Farnèse et du Royaume de Naples, couvre l’art italien, dont sa frange napolitaine, depuis le Quattrocento. Pur produit de l’école française de la conservation, Sylvain Bellenger a été détaché pendant de nombreuses années aux Etats-Unis, notamment au Chicago Art Institute. Cette double casquette lui permet d’apporter à la fois une forte idée des politiques culturelles publiques héritées de l’exception culturelle française, ainsi que le pragmatisme et la promotion des publics appliqués aux Etats-Unis.
Son principal souci a été de restructurer l’administration : création d’un organigramme inexistant jusqu’alors, mais aussi embauche d’un responsable de l’accueil des publics et un attaché de presse, deux postes clé pour la visibilité d’un musée au vingt et unième siècle. A titre d’exemple, une première vidéo de promotion a été réalisée en partenariat avec la compagnie Costa, afin d’inciter les passagers à visiter le nouveau musée lors d’une escale à Naples.
Pour renforcer l’attractivité de Capodimonte, Sylvain Bellenger lance alors une politique de grandes expositions à l’instar de celles qu’il avait eu l’occasion de réaliser aux Etats-Unis. Si certains chefs d’œuvre étaient régulièrement prêtés, il en accueille désormais d’autres, réalisant ainsi la promotion internationale du musée conformément à la mission qui lui a été confiée. Dès la première année, il a pu constater une augmentation de 60% du nombre de visiteurs accueillis.
Un autre défi à relever est la valorisation de l’immense bosco naturale qui entoure le palais et des 17 édifices qu’il comprend. Il compte ainsi fidéliser les visiteurs du jardin, ouvrir les collections à l’art contemporain et ainsi mieux faire connaître aux Napolitains les richesses qui les entourent. De tels projets vont nécessiter la mise en place de budgets importants qui pourront être financés par subventions mais aussi par des partenariats public-privé, ce qui est une innovation importante.
Expérimentation nationale ou inspiration pour le reste de l’Europe ?
A son arrivée, la structure administrative en matière d’art et de culture paraît particulièrement obsolète à Sylvain Bellenger : inexistence de la fonction de conservateur, centralisation excessive des décisions entre les mains d’un seul surintendant par région, absence de structuration des rapports entre lui et les musées, mais aussi confusion entre administration et politique artistique. C’est pourquoi le cabinet Renzi a lancé cette audacieuse réforme, à savoir ouvrir les fonctions de conservateurs à des spécialistes étrangers, mais aussi plus généralement clarifier les responsabilités du personnel en place.
Fort de la reconnaissance internationale de la politique culturelle française ainsi que des techniques de management américaines, Sylvain Bellenger a pu être admis dans un milieu habituellement très fermé, ce qui n’aurait pas été le cas s’il avait été Italien, surtout du Nord !
L’expérimentation en cours et les profondes réformes de gestion qu’elle implique sont scrutées avec intérêt, puisque l’Italie est le premier pays européen à s’adjoindre les compétences de conservateurs étrangers. Mais il est encore trop tôt pour dire si cette initiative sera pérennisée et imitée par ses voisins européens.