L’élection de Donald Trump le 8 novembre dernier a soulevé de nouvelles questions en Europe et en France, où selon un sondage Ifop seulement 13% de l’opinion publique a une bonne image du président élu. Qu’adviendra-t-il des relations transatlantiques sous la nouvelle administration américaine ? C’est à cette question qu’a tenté de répondre la conférence organisée par Eurosorbonne du lundi 28 novembre.
Sont intervenus : Guillaume de Rougé, spécialiste des questions européennes et transatlantiques, enseignant-chercheur à l’Institut d’Études Européennes (Sorbonne Nouvelle – Paris 3) ; et Annick Cizel, Maître de Conférences d’histoire et civilisation des Etats-Unis (Sorbonne Nouvelle – Paris 3), spécialiste de politique étrangère américaine et transatlantique à l’ Institut du Monde Anglophone.
La modération a été assurée par Jan Wörlein, enseignant à l’Institut d’Etudes Européennes de la Sorbonne Nouvelle – Paris 3 et spécialiste de politique internationale.
“Damned if you do, damned if you don’t” : des constantes de la politique atlantique des États-Unis
Guillaume de Rougé inscrit son propos dans un contexte de questionnements liés à la défense de l’Europe en construction. A partir de 1997, Tony Blair et Jacques Chirac, à la tête des principales puissances de défense de l’Union européenne avec 60% du budget à elles-seules, jouent un rôle prédominant. Leurs négociations sont actées par l’accord de Saint Malo en 1998, qui appelle à la mise en place de moyens autonomes de sécurité pour l’Union européenne.
Or, très vite, il apparaît qu’il est peu probable que l’Union européenne puisse résoudre le problème de sa sécurité sans l’aide des Etats-Unis. Après la fin du bouclier de protection unilatérale mis en place pendant la guerre froide, les Etats-Unis doivent redéfinir un équilibre de défense avec les puissances européennes. Pour ces dernières il faut exister dans les crises pour compter sur le plan politique et stratégique. C’est pourquoi la France veut en être ; Guillaume de Rougé utilise une citation de Zbigniew Brzezinski (Le grand échiquier, 1997) : « A travers la construction européenne, la France vise la réincarnation, l’Allemagne la rédemption ». Nicolas Sarkozy, dès 2007, applique cette politique. Pour Guillaume de Rougé, il veut « faire pression sur Londres pour faire plus en faveur de l’Europe en passant par la case Washington ».
La question d’un équilibre de l’influence américaine est prédominante et marquée par une opposition frontale du projet. Guillaume de Rougé explique que dans tout partenariat, on ne peut laisser un acteur s’émanciper au point qu’il arrive à une autonomie stratégique. Quel rôle les Etats-Unis doivent-ils jouer dans la mise en place d’une politique de défense commune de l’UE ? Robert Kagan, politologue américain et figure de proue du néo-conservatisme, réactive en 2003 un vieux débat des années 1980 : les européens doivent prendre en charge leur défense, qui repose alors sur le budget américain. Il renoue avec une tradition isolationniste, portée par Donald Trump, qui rassemble autour de lui tant d’interrogations quant à l’avenir des relations transatlantiques.
« À la croisée des relations transatlantiques : retour de la ‘Civilisation occidentale’ et fin du Siècle américain ? »
Annick Cizel se penche en premier lieu sur les ruptures idéologiques qu’implique l’élection de Donald Trump. Que dire de l’avenir dès lors que le président élu a affirmé sa volonté de rupture avec les politiques de ses prédécesseurs ? Dans quelle mesure peut-il faire une synthèse ou « détricoter » le système partisan américain?
Elle commence par évoquer le refus du leading from behind d’Obama, traduit par un retrait relatif des Etats-Unis en Irak et en Afghanistan. Trump prône un isolationnisme qui rappelle celui des années 1920 et l’échec de la ratification de la Société des Nations. A ce titre, le président-élu rejette la Pax Americana, soit l’idée que la fin de la neutralité américaine a permis depuis 1945 d’établir une Longue Paix. Dans la même lignée, la fin de la Pax Americana met un terme au Siècle Américain, ce récit idéologique de l’exceptionnalisme qui confiait aux Etats-Unis une mission universelle de protection et de défense de la Démocratie.
Par ailleurs, Trump, dans ses déclarations de campagne, estimait que l’OTAN était obsolète et l’ONU impuissante. Cette ligne de conduite n’a pas changé depuis les élections, en témoigne la maigre teneur de ses échanges avec le Secrétaire Général de l’OTAN les 9 et 18 novembre. La politique étrangère de Trump regarde vers l’Europe occidentale, contrairement à celle d’Obama qui regardait vers l’Europe centrale et l’Allemagne, son principal interlocuteur. Annick Cizel note un reflux de l’observateur américain en Europe centrale et de l’Est pour potentiellement « lâcher le flan Est à Poutine ».
La volonté de s’éloigner du consensus républicain est le fil conducteur de l’ensemble de ces ruptures paradigmatiques. Dans une interview donnée au New York Times le 23 novembre, Trump admet ne pas connaître les positions de son parti mais vouloir rassembler le pays. Une telle rupture amène Annick Cizel à envisager Trump comme un technicien qui tenterait une synthèse et s’attacherait au résultat, sans se préoccuper de l’absence de rhétorique. Elle établit un parallèle avec le président Eisenhower (1953-1961) qui avait nommé le dirigeant de General Motors au Trésor là où Trump vient de nommer Steven Mnuchin, ancien dirigeant de Goldman Sachs.
La rupture ne serait-elle pas à nuancer ? Là encore Annick Cizel fait le parallèle avec un ancien président, Richard Nixon (1969-1974). Ce dernier, qui voulait démanteler les programmes de santé comme medicaid et medicare, les a finalement renforcés. Et de fait, Trump commence à dire qu’il ne déconstruirait pas complètement Obamacare.
Toutefois, Annick Cizel note que le possible pragmatisme de Trump s’arrête là où se dessine dans son gouvernement un discours idéologique attaché à l’idée d’une suprématie blanche. Elle fait le lien entre le slogan « America Great Again » de Trump et « America First », du nom d’un parti nationaliste des années 1940, réutilisé par le président–élu. Steven Bannon, son premier conseiller, est un idéologue, en rupture avec l’Amérique du contrat social, celle de Lincoln, père fondateur du parti républicain.
Annick Cizel conclut son intervention en évoquant la fin du Siècle Américain et la nécessité pour l’Europe de redéfinir sa place dans ce nouvel ordre. Toutefois, si l’élection de Trump sonne la fin de la Pax Americana, elle ne signe pas nécessairement celle de la Pax Transatlantica.