La Serbie connait un bouleversement politique important puisque pour la première fois de son histoire, une femme est devenue Première Ministre. La tâche s’annonce rude pour Ana Brnabic qui devra se faire accepter par tout le pays.
Le continent européen est en perpétuelle évolution politique. Ce fut le cas avec la Serbie lors des élections d’avril 2016 qui ont conduit à un changement de Premier Ministre. Ana Brnabic a été nommée en juin 2017 par le Président élu à la majorité dès le premier tour, Aleksandar Vucic, ancien Premier Ministre et décrit comme son « mentor » par cette dernière. Le Parti progressiste serbe (SNS) est donc à tête du pays puisqu’il détient une majorité à l’Assemblée.
Une nomination historique
Une telle propulsion à ce poste est une première dans ce pays d’autant qu’Ana Brnabic, 42 ans et d’origine croate, a assumé au grand jour son homosexualité. Elle a d’ailleurs participé aux deux dernières éditions de la gay pride à Belgrade. En Serbie, être gay était considéré comme une maladie par 40% de la population en 2015, selon un sondage de l’Institut national démocratique basé à Washington. Ce pays qui a légalisé l’homosexualité en 1994 est à majorité chrétienne orthodoxe.
Cette anglophone et russophone, formée aux États-Unis et en Angleterre, et qui détient un diplôme en administration des affaires et un MBA (Master of Business Administration) en marketing, est novice en politique. Elle n’est entrée au gouvernement qu’en août 2016 au poste de Ministre de l’Administration de l’État et n’appartient à aucun parti politique. Ce bouleversement est significatif car certains élus souhaitaient davantage « un père de famille avec des enfants » à ce poste, comme l’a exprimé Dragan Markovic, dirigeant du parti Serbie unie, un groupe politique associé au SNS. Les idées progressistes et libérales de la Première ministre contrastent avec le conservatisme ambiant du pays. Toutefois, aucun autre nom n’a été soumis pour remplir ce poste.
Selon l’opposition, sa nomination est une stratégie politique car elle permet de montrer à l’Europe de véritables changements tandis que la Serbie est en plein processus d’adhésion à l’Union européenne. Le processus de négociation a été entamé en janvier 2014 et des conditions d’entrée sont nécessaires, comme des garanties quant aux droits de l’Homme.
De profondes inégalités de genre
La Serbie n’est pas un modèle en la matière, notamment concernant les droits des femmes, de l’égalité des genres, des handicapés ou des minorités nationales. Ainsi, selon l’OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides), de nombreuses violences physiques et psychologiques ont lieu, à tel point qu’une femme sur deux serait soumise à des violences domestiques. 35 femmes ont été tuées par un membre de leur entourage en 2015, soit 7 de plus qu’en 2014 dans ce pays d’environ 7 millions d’habitants. Il s’agit donc d’endiguer cette persistance du « féminicide ». En France, ce sont environ 125 femmes qui sont décédées sous les coups de leur conjoint. C’est presque 100 femmes de plus qu’en Serbie, pour un pays comptant 60 millions d’habitants supplémentaires. Le ratio entre les femmes tuées et la population du pays est de 200 000 en Serbie et 430 000 en France. Cela montre bien qu’il s’agit d’un véritable enjeu européen. Ainsi, selon une enquête de FRA (Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne) en 2014, au moins 8% des femmes de l’Union européenne ont subi des violences physiques et/ou sexuelles dans les 12 mois précédant le rapport. Cette question étant déjà cruciale au sein de l’UE, une éventuelle adhésion nécessite donc une politique menée de front pour améliorer cette situation.
Le Président de la République de Serbie s’occupera de la politique extérieure tandis que la politique intérieure, et donc l’économie seront au cœur du mandat d’Ana Brnabic. Elle doit poursuivre la réduction de la dette du pays qui représente actuellement 74% de son PIB ou encore réduire le chômage qui touchait 15,34% de la population en 2016. Une quelconque date d’adhésion à l’UE n’est pour l’instant pas d’actualité. La Banque Centrale européenne (BCE) a mentionné qu’une éventuelle entrée dans la zone euro ne pourrait se faire avant la fin de la décennie car la monnaie serbe ne serait pas encore prête à de telles perturbations.
C’est par le haut, au niveau de l’État que le conservatisme serbe pourrait commencer à évoluer. La tâche s’annonce donc grande pour Ana Brnabic, tant économiquement que politiquement puisqu’elle devra s’affirmer en tant que leader légitime.