Vendredi 15 décembre, Sebastian Kurz, le leader du parti conservateur (ÖVP), arrivé en tête des dernières élections législatives en Autriche, a annoncé avoir trouvé un accord de gouvernement avec son homologue du FPÖ, Heinz-Christian Strache.
Il y a deux mois, les conservateurs du Parti populaire arrivaient en tête, menés par le jeune Sebastian Kurz, âgé de 31 ans. Les résultats des troupes de Christian Kern, leader des sociaux-démocrates, arrivées en deuxième position, laissait penser qu’un gouvernement sur le modèle allemand des “grandes coalitions” allait se former de nouveau. Mais M. Kurz a affiché d’emblée sa volonté de changement, et l’allié le plus probable devenait alors le FPÖ, le parti d’extrême droite arrivé troisième.
Après moins de deux mois de négociation et un faux suspense permettant à la formation de Norbert Hofer de revenir au pouvoir, une première depuis 2005, Sebastian Kurz et Heinz-Christian Strache, le leader du FPÖ durant la campagne, ont officialisé leur union de gouvernement. Le parti d’extrême droite disposera de trois ministères régaliens : Défense, Intérieur et Affaires étrangères.
Une arrivée au pouvoir attendue
Si cette présence de l’extrême droite au gouvernement provoque de l’inquiétude chez une partie de la population, elle ne constitue pourtant pas une si grande surprise. Il y a un an presque jour pour jour, au terme d’une élection présidentielle plus que chaotique, Alexander Van Der Bellen, économiste classé à gauche, l’emportait face à Norbert Hofer. Malgré sa défaite, ce dernier incarnait le retour en force d’un parti longtemps associé aux milieux néo-nazis.
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En réalité, la trajectoire idéologique du FPÖ est assez sinueuse. Si dès ses débuts en 1955, il se caractérise par un libéralisme économique et un nationalisme très marqué, il demeure fréquentable pour les autres partis. Sous l’impulsion de Jörg Haider qui prend la tête du parti en 1986, le FPÖ va se déporter vers l’extrême droite et l’ultranationalisme en adoptant des positions qui flirtent avec les milieux néo-nazis. Après une première entrée au gouvernement en 1983, ce n’est qu’en 1999 que le parti fait son retour dans la coalition au pouvoir avec l’ÖVP. Malgré cela, il reste associé, à raison, à l’extrême droite la plus violente, relativisant par la voix de certains de ses membres les actions du IIIe Reich.
Après un retour dans l’opposition en 2005 sur fond de fortes dissensions internes, le Parti de la liberté va entamer une traversée du désert avant de réussir ce qu’une formation comme le Front National français n’a jusqu’ici pas totalement réalisé : se dédiaboliser. Norbert Hofer, le candidat défait de décembre 2016, en est le principal artisan. Si les idées restent les mêmes, il affiche un physique loin de la caricature que l’on peut se faire d’un leader d’extrême droite, et parvient, grâce à une habilité sémantique qui manquait à ses prédécesseurs, à séduire et rassurer au-delà du simple cercle d’électeurs habituels du FPÖ.
Quelle place pour l’Autriche en Europe ?
Modèle de stabilité, avec notamment un système politique comparable à celui qui existe – ou existait jusqu’ici – en Allemagne, dans lequel deux grands partis se partagent les postes gouvernementaux au sein de “grandes coalitions”, l’Autriche a vu comme son grand voisin ce modèle se fissurer. A l’image d’un SPD allemand qui a bien du mal à accepter de repartir pour quatre nouvelles années de “GroKo”, les dix années de gouvernement associant conservateurs et sociaux-démocrates ont épuisé cette formule de gouvernement. Si l’Autriche a de quoi inquiéter l’Europe, elle exprime aussi une volonté de renouvellement des pratiques d’autant que peu de choix alternatifs existaient (les trois principaux partis ont obtenu plus de 84% des voix aux législatives).
Dans le sillage de l’Allemagne, le pays a été depuis 2015 l’un des membres de l’UE à accueillir le plus de demandeurs d’asile sur son sol. Si dès l’année suivante les chiffres ont fortement baissé, passant de 90 000 à un peu plus de 37 000 demandes – pour une population de 8,5 millions d’habitants – l’Autriche reste malgré tout une destination d’accueil privilégiée. Le vent a commencé à tourner en 2017, quand le gouvernement qui vient de laisser sa place à la coalition ÖVP – FPÖ a annoncé, entre autres, vouloir envoyer l’armée à la frontière avec l’Italie afin d’empêcher l’entrée de migrants. Un discours que ne renieraient pas les partis d’extrême droite européens, le Parti de la liberté d’Autriche en tête. Sebastian Kurz a lui-même annoncé vouloir revenir sur la politique européenne actuelle dans le cadre de la crise des réfugiés.
De nombreuses voix se sont élevées pour condamner le manque de réaction des dirigeants européens devant l’arrivée de l’extrême droite au pouvoir. Mais, comme le démontre le politologue Jean-Yves Camus, si l’indignation et l’inquiétude étaient au plus haut en 2000 quand le FPÖ entrait au gouvernement, la donne a bien changé. Les cinq années au pouvoir du parti d’extrême droite n’ont pas entraîné un recul des libertés fondamentales. De plus l’Europe a évolué et doit composer depuis maintenant plusieurs années avec des régimes où l’état de droit est en danger. Hongrie et Pologne en tête. Il ne s’agit donc pas d’un nouveau défi pour l’UE, mais davantage d’un nouvel œil à ouvrir sur une liste qui s’allonge depuis plusieurs mois.
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D’autant plus que l’Autriche prendra la tête du Conseil de l’Union européenne lors du second semestre de 2018, ce qui constituera très certainement l’occasion de poser un premier bilan de l’arrivée du FPÖ à la tête d’un membre important de l’UE.
Une inspiration pour les nationalistes européens
En accédant au pouvoir à des postes régaliens, le FPÖ fait mieux que ses alliés du groupe Europe des nations et des libertés (Alternative für Deutschland, Front National, la Ligue du Nord en Italie, ou encore le Parti de la liberté aux Pays-Bas) au Parlement européen.
Cette présence au pouvoir d’un parti d’extrême droite ressemble, en théorie pour l’instant, au début d’un fantasme développé en particulier par le FN mais aussi par le FPÖ lui-même : “la mise en place d’un axe Paris-Berlin-Moscou” selon les mots du chercheur allemand Fabian Virschow lors d’une conférence à Paris consacrée à l’AfD en mars 2017. Ce qui réunit ces partis demeure, en plus d’un rejet de l’UE – bien que plus modéré désormais -, un soutien et une forte admiration pour Vladimir Poutine. À tel point que le FPÖ a même signé en décembre 2016 un accord avec le parti Russie Unie du président russe visant à renforcer les liens d’amitié entre les deux formations.
Il n’y a pas que le FPÖ qui inspire ses homologues européens. Les conservateurs menés par Sebastian Kurz sont également scrutés avec attention, en particulier chez leur plus grand voisin, l’Allemagne. Le faible score d’Angela Merkel aux dernières élections fédérales lui a attiré les critiques des plus conservateurs de son parti, qui voient en Sebastian Kurz un modèle à copier avec une campagne très marquée à droite pour redonner de l’impulsion à leur camp politique qu’ils jugent désormais trop au centre.
En voulant s’ériger en figure du changement en Autriche, le nouveau Premier ministre va sans doute devoir jongler entre la nécessité de rester au cœur du projet européen, ce qui fut une des priorités de ses prédécesseurs et qu’il a lui-même affiché, tout en tenant compte des positions contradictoires et assez peu lisibles de ses nouveaux alliés sur le plan extérieur.
Les manifestants n’ont pas attendus pour s’exprimer, dès lundi 18 décembre, jour de l’investiture du nouveau gouvernement, plusieurs rassemblements se sont déroulés dans la capitale autrichienne, rappelant notamment le poids de l’histoire entourant un parti détenant désormais des portefeuilles clés.