A la lumière des bouleversements dans l’ordre du système international, la sécurité européenne apparaît fragilisée. Entre la lente structuration d’une Europe de la défense et la perte immédiate des repères stratégiques, quelle est la place de l’OTAN ?
Sans se tarir, l’intensité de la relation entre l’Europe et l’OTAN est depuis plusieurs années remise en cause. Un schisme idéologique est apparu au lendemain de la guerre froide quand la mission originelle de protection du territoire européen s’est évanouie. Entre hérauts de l’atlantisme et défenseurs d’une protection paneuropéenne, la joute n’a jamais vraiment cessé d’exister. Cela dit, des éléments nouveaux ont depuis peu rebattu les cartes du débat. Pour les Etats-Unis, le continent européen n’est plus vraiment un vecteur d’intérêts stratégique et économique. Pour autant, les menaces qui sont à ses portes sont réelles, nombreuses et insidieuses.
Au vu des défis qui jouxtent l’émergence d’un ordre mondial multipolaire, l’OTAN garde un sens en Europe tant que l’Union n’est pas en mesure de proposer une offre alternative, à même d’organiser elle-même la sécurité sur son territoire. La prise de conscience récente des transformations géopolitiques ouvre une période de transition à l’intérieur de laquelle l’Union européenne doit avancer pour répondre aux enjeux d’aujourd’hui et de demain. Pourtant, seules quelques boutures ont été plantées dans le terreau nécessaire à cette émancipation et il faudra s’armer de patience pour les voir grandir.
Une OTAN indispensable sans Europe de la défense efficiente
Si l’OTAN est la garante historique de la Pax europaea, cela est principalement dû à une posture européenne pusillanime en matière de sécurité. L’Europe a en effet largement profité du cadre offert par l’OTAN pour ne pas faire des préoccupations stratégiques l’une de ses priorités.
Le maintien de cette politique fait l’objet de nombreuses interrogations car si l’OTAN reste nécessaire sans Europe de la défense crédible, son statut de protecteur européen est de plus en plus remis en cause. Par exemple, les nombreuses réformes institutionnelles dues aux marchandages récurrents des Etats membres atténuent sa légitimité. La réorientation de l’OTAN vers des conflits choisis laisse davantage de place aux intérêts nationaux. Les interventions en Afghanistan ou en Libye illustrent que, désormais, les investissements des Etats membres sont de plus en plus à géométrie variable.
Pourtant, malgré les doutes légitimes qui naissent vis-à-vis de l’OTAN, celle-ci demeure la seule coalition militaire valable en Europe parce que l’Union a échoué à juguler son impuissance pour édifier des structures institutionnelles de défense collective.
La remise en cause de l’OTAN encouragée par les mutations géopolitiques
Le renouvellement de l’ordre international invite à une émancipation européenne vis-à-vis de la protection transatlantique car la multipolarité affaiblit la domination américaine en permettant l’émergence d’autres puissance telles que la Russie et la Chine. Ainsi, les engagements américains à l’étranger seront plus modestes et sélectifs, notamment via une réduction d’intensité du partenariat stratégique entre les Etats-Unis et l’Europe.
Le ralliement aux Américains pose aussi d’inquiétantes interrogations puisque la crise ukrainienne fut représentative des contradictions de la politique stratégique européenne. En 2015, l’envahissement de la Crimée par la Russie est vécu comme un affront pour la diplomatie communautaire. Pourtant, la position russe dans des dossiers fondamentaux comme l’accord sur le nucléaire iranien, les armes chimiques en Syrie ou le combat contre Daech lui valent une tolérance américaine sur la question ukrainienne explique Jean-Yves Haine, dans le numéro de novembre 2017 de la revue Questions internationales. Cette issue, à l’encontre directe des intérêts européens, a montré comment l’abandon de la défense à son partenaire historique pouvait être à double tranchant.
Aussi, la nouvelle donne internationale semble davantage favoriser des coopérations plus étroites entre les Etats au détriment d’un multilatéralisme dont l’OTAN est l’un des ambassadeurs. Cette forme d’échange conduit régulièrement à être délaissée car synonyme d’immobilisme et d’inefficacité. En effet, plus le nombre de membres dans une organisation devient élevé, plus les compromis sont nécessaires pour aboutir à une position commune.
A contrario, le minilatéralisme apparaît en mesure de satisfaire à court terme la nécessité d’introduire des avancées concrètes et rapides dans le domaine militaire. C’est le sens du partenariat franco-allemand annoncé le 13 juillet 2017 pour l’élaboration d’un nouvel avion de chasse ou du rapprochement allemand et néerlandais pour la création de la Schnelle Kräfte. Cette forme de coopération plus réduite trouve un contexte propice à son développement en matière industrielle pour deux raisons. D’abord, parce qu’une rationalisation à grande échelle est souvent freinée par la réticence stratégique des Etats dans certains secteurs (missiles, constructions navales). Ensuite, car elle permet la réalisation d’économies d’échelle dans un contexte de chute des dépenses en matière militaire.
Une émancipation freinée par la lente structuration de l’Europe de la défense
Malgré une prise de conscience un peu tardive, l’Union semble avoir entamé un nouveau cycle pour construire l’Europe de la défense via des initiatives sectorielles comme la Coopération structurée permanente lancée en décembre 2017. Le passage vers la multipolarité impose la banalisation de l’interdépendance car les dépenses militaires pour le matériel et les opérations vont devenir si importantes qu’il sera de plus en plus difficile pour un Etat seul de les supporter. Pourtant, les réticences en ce domaine, perçu comme le cœur régalien de la nation, semblent encore trop profondes. De plus, la crise a sonné comme un anathème pour le secteur de la défense. La chute des dépenses militaires est sans équivoque puisqu’en 1990, elles comptaient en moyenne pour 2.7% du produit intérieur brut (PIB) contre 1.5% en 2008 et 1.35% en 2013 (SIPRI).
En bref, « plus l’Europe a besoin de coordination, moins elle est en situation d’en fournir », selon Olivier De France, car ces contraintes apparaissent alors que les sources de conflits potentiels et les opérations militaires demeurent toujours aussi nombreuses. Les défis qui guettent l’Union doivent être réglés de concert et malgré l’urgence de la situation, nombreux sont encore les témoignages d’orgueil vis-à-vis du culte souverainiste. Pourtant, dans un nouvel ordre multipolaire, ils apparaissent comme un aveuglement à la réécriture du paradigme international.
Dans ce tumulte, il faudra beaucoup de patience et de courage pour prendre les décisions difficiles et mener les avancées qui permettront, enfin, de doter l’Europe des outils nécessaires pour gérer sa sécurité. Si l’émancipation vis-à-vis de l’Organisation Atlantique est inéluctable, la faiblesse européenne pour s’occuper de son sort impose son maintien par défaut, à moins que sa relation avec l’Union ne prenne une forme nouvelle.
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