Fin janvier, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a empêché un recours collectif engagé par l’Autrichien Max Schrems contre Facebook remettant en cause l’utilisation des données personnelles du géant mondial des réseaux sociaux et lui reprochant d’avoir violé plusieurs dispositions en matière de protection des données. La Cour a déclaré que le règlement mis en cause ne permettait pas un tel recours collectif contre Facebook devant la justice autrichienne.
Après diverses enquêtes à propos de l’utilisation des données de Facebook, l’entreprise a déjà été déclarée à plusieurs reprises en violation de la vie privée de ses consommateurs. Un nouveau recours a été lancé en 2015 par le militant et juriste Max Schrems : ce dernier a porté plainte en Autriche contre Facebook – dont le siège européen se situe en Irlande – présentant les signatures de 25 000 co-plaignants, issus de différents pays autour du globe.
Un recours collectif permet effectivement à un grand nombre de personnes de poursuivre une personne, généralement une entreprise ou une institution publique en vue d’obtenir un dédommagement financier ou moral. Ici, le militant autrichien accuse le réseau social créé par Mark Zuckerberg de ne pas respecter la législation européenne en matière d’utilisation des données. Pour le requérant principal, cela illustre une situation où « les citoyens ont des droits sur papier mais aucune option réaliste pour les défendre dans la pratique ».
Seul devant la justice
Dans sa croisade judiciaire, le jeune juriste se bat pour que la justice autrichienne condamne Facebook pour son utilisation abusive de données litigieuses et souhaite que certaines clauses contractuelles que l’entreprise impose à ses membres soient invalidées. Face à cela, Max Schrems a également demandé que Facebook paye des dommages et intérêts aux 25 000 personnes qui se sont très rapidement mobilisées via le site internet fbclaim.com : une somme – plutôt symbolique – de 500€ à chaque co-plaignant pour mener l’entreprise à débourser 12,5 millions d’euros.
Selon la CJUE, Max Schrems n’a pas le droit de se présenter au nom de 25 000 autres personnes. Le militant autrichien peut seulement poursuivre le réseau social à titre individuel devant sa justice nationale, la Cour rappelant qu’un consommateur ne peut faire valoir ses droits que « dans la mesure où il est personnellement demandeur ou défendeur dans une procédure ». Chaque consommateur a son propre « contrat » avec Facebook et ne peut donc pas être représenté par une autre personne. Les 25 000 autres plaignants auront donc le choix de porter un recours en leur nom propre.
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Max Schrems note et regrette ainsi que ce refus « limite grandement les droits des consommateurs dans cette affaire et fait perdre l’occasion en or d’enfin permettre un recours collectif en Europe ».
En 2015, dans un autre recours, le militant était tout de même déjà parvenu à provoquer l’annulation de l’accord Safe Habour. Celui-ci permettait à certaines entreprises américaines respectant la législation de l’Espace économique européen d’obtenir le transfert de données personnelles vers les États-Unis. Face au recours de M. Schrems, la CJUE avait déclaré que les États-Unis ne respectaient pas les normes de l’UE en matière de respect de la vie privée. Le Safe Harbour a ainsi été remplacé en 2017 par un nouvel accord UE/États-Unis appelé « bouclier de confidentialité ».
Max Schrems garde donc l’attention de porter à nouveau Facebook devant la justice, au moins à titre individuel.
Rééquilibrer la balance pour le consommateur
Depuis le Dieselgate de 2015 qui a affecté plusieurs millions de consommateurs, le besoin d’une législation européenne se fait de plus en plus entendre. Cette récente décision de la CJUE a ainsi provoqué l’indignation de nombreux groupes de consommateurs qui militent depuis longtemps pour une législation communautaire autorisant les recours collectifs au niveau de l’Union européenne avec des plaignants issus de plusieurs pays membres différents, notamment pour alléger le coût de la procédure.
Selon la directrice du Bureau européen des consommateurs, la décision de la Cour est « une autre illustration frappante des obstacles juridiques et procéduraux qui empêchent les personnes de demander l’accès collectif à la justice. Un véritable recours collectif européen rééquilibrerait l’équilibre en faveur du consommateur » (Euractiv).
Aujourd’hui, 5 États membres seulement proposent des moyens juridiques permettant aux associations de consommateurs d’intenter des actions en justice : la Belgique, l’Italie, le Portugal, la Suède et l’Espagne. Beaucoup de pays restent récalcitrants à l’introduction d’un tel système, par crainte d’abus notamment. En France, les class action existent uniquement pour les associations de consommateurs agréés qui ont la possibilité de faire constater par la justice le manquement d’un professionnel à ses obligations contractuelles ou légales envers les consommateurs.
Vers une législation européenne pour les recours collectifs
En juin 2013, la Commission européenne avait émis une recommandation pour que tous les États membres disposent de mécanismes nationaux de recours collectif, cela s’inscrivant dans le mécanisme plus global de protection des citoyens. Mais le rapport de cette recommandation, paru le 25 janvier dernier estime que « l’existence de mécanismes de recours collectifs ainsi que la mise en œuvre de garde-fous contre de potentiels abus de ces mécanismes sont toujours très inégalement réparties dans l’ensemble de l’UE. »
Concernant les données personnelles, le nouveau règlement sur la protection des données – qui doit prendre effet le 25 mai prochain – permettra aux consommateurs d’être représentés par une organisation à but non lucratif devant la justice. Une solution peut-être pour les nombreuses victimes du Dieselgate.
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Et de manière plus large, cette nouvelle affaire pourrait faire réagir les législateurs européens et les encourager à créer des règles spéciales pour donner des compétences en matière de recours collectifs. Vera Jourova notamment, commissaire européenne à la Justice, doit présenter en avril un projet de règlementation européenne pour créer un nouveau modèle d’action de groupe européen.