Cette semaine en Europe : des élections cruciales pour l’avenir de la Turquie, le bilan macabre des traversées de la Méditerranée, l’aide aux migrants criminalisée en Hongrie, un budget pour la zone euro éclipsé par la crise des migrants, l’ultimatum posé à Angela Merkel par son propre ministre de l’intérieur, la fin du programme d’aide à la Grèce, un Royaume-Uni toujours sans boussole deux ans après le Brexit et les taxes européennes contre les Etats-Unis qui entrent en vigueur.
TURQUIE – Erdogan revendique sa victoire mais perd sa majorité au Parlement, l’opposition conteste les résultats
C’est une victoire en demi-teinte pour le Président turc. Recep Tayyip Erdogan revendique sa victoire à l’élection présidentielle dès le premier tour, avec 53% des voix d’après les résultats de l’agence officielle Anadolu, mais son élection est contestée par ses opposants, qui réclament un second tour. La plate-forme créée par l’opposition lui attribue en effet moins de 50% des voix, tandis que Muharrem İnce, le leader du CHP (centre-gauche), arriverait deuxième.
L’enjeu est d’importance, car la réforme de la Constitution validée par référendum en avril 2017 permettra au Président de nommer les magistrats, de gouverner par décrets dans de larges domaines et de rester potentiellement au pouvoir jusqu’en 2029. Le CHP a également dénoncé des fraudes au profit de l’AKP (islamo-conservateur), le parti du Président, notamment dans la province de Sanliurfa, région kurde du sud-est du pays, alors que 519 000 observateurs internationaux ont été dépêchés dans 180 000 bureaux de vote pour contrôler la sincérité du scrutin.
Les élections législatives, qui avaient également lieu aujourd’hui, ont cependant fait perdre sa majorité à l’AKP, tandis que le HDP, petit parti pro-kurde, se maintient de justesse au Parlement. Si l’AKP n’exclut pas de gouverner en coalition avec le MHP (nationalistes), la convocation d’élections législatives anticipées n’est pas à exclure. Depuis la tentative de coup d’Etat en juillet 2016, 160 000 fonctionnaires ont été licenciés et 55 000 personnes emprisonnées sur décision du pouvoir, y compris des journalistes, des magistrats et des enseignants.
Lire aussi >>> Turquie : dernier arrêt pour la démocratie ?
MIGRANTS – Plus de 1000 morts en Méditerranée depuis le début de l’année
Plus de 1000 personnes se sont noyées depuis le début de l’année en Méditerranée en tentant de gagner l’Europe, a annoncé jeudi l’ONU. Rien que pour les seules journées des 19 et 20 juin, plus de 200 migrants ont péri au large des côtes libyennes dans trois naufrages distincts. Mercredi, le journal britannique The Guardian a publié une liste de 34 361 migrants identifiés morts en tentant de gagner l’Europe depuis 1993.
« Il n’a jamais été aussi urgent de s’attaquer aux causes profondes [des déplacements], d’améliorer les conditions en Libye et dans d’autres pays le long de la route, d’offrir des alternatives sûres et de toujours sauver les gens en mer » a exhorté Filippo Grandi, Haut-Commissaire de l’ONU pour les réfugiés. Et l’organisation de prévenir : le nombre de réfugiés essayant de traverser la Méditerranée devrait encore augmenter cet été, avec l’amélioration des conditions météo.
Lire aussi >>> Afrique : quelles sont les aides humanitaires de l’Europe ?
HONGRIE – L’aide aux migrants passible d’un an de prison
A 160 voix contre 18, le Parlement hongrois a adopté mercredi une nouvelle loi condamnant à un an de prison toute personne portant assistance à un migrant entré illégalement dans le pays, sauf en cas de danger mortel pour ce dernier. Quelqu’un soupçonné d’aider les migrants ne pourra pas non plus approcher les frontières hongroises à moins de huit kilomètres. Les ONG, qui devaient déjà s’acquitter depuis une autre loi votée mardi d’une taxe de 25% si elles étaient soupçonnées d’aider des migrants, voient leur travail encore un peu plus compliqué en Hongrie.
L’ensemble législatif, approuvé grâce aux voix du parti du Premier ministre, Viktor Orbán, avec le soutien de l’extrême-droite, fait également de la défense de la culture chrétienne un objectif pour tous le service public et précise qu’aucune autorité ne peut porter atteinte à la « composition de la population » hongroise, rendant inconstitutionnel l’établissement de quotas de réfugiés par Bruxelles.
Ces nouvelles dispositions, surnommées « STOP Soros », prennent à nouveau pour cible le milliardaire américain d’origine hongroise George Soros, rescapé de la Shoah, déjà visé par plusieurs attaques aux relents antisémites. Budapest se prépare au bras de fer contre la Commission européenne, qui pourrait lancer une procédure légale contre la nouvelle loi. La Hongrie, pays de 10 millions d’habitants, compte 3500 réfugiés dans le pays, a enregistré 3390 demandes d’asile en 2017 et n’en a accordé que 105 d’entre elles en première instance l’année dernière.
Lire aussi >>> George Soros, l’homme qui effraye les autoritaires
EUROPE – Le budget de la zone euro éclipsé par la crise migratoire
Le principe d’un budget de la zone euro a finalement été accepté par l’Allemagne, mardi 19 juin, lors du sommet franco-allemand de Meseberg. Ce projet, soutenu de longue date par Emmanuel Macron, agirait comme un filet de sécurité pour les pays confrontés à une crise et contraints de réduire leurs dépenses. Le montant de ce budget n’a toutefois pas été acté et il reste encore à convaincre les quinze autre membres de la zone euro, plutôt sceptiques.
Le sujet a néanmoins été éclipsé par la crise migratoire alors que se tenait ce dimanche un sommet informel de seize pays de l’UE sur les questions migratoires, que la Pologne, la Hongrie, la République tchèque et la Slovaquie avaient décidé de boycotter. Si l’idée de « centre fermés sur le sol européen dès le débarquement » a été évoquée, pour accueillir et traiter les demandes d’asile des migrants, le vrai débat aura lieu lors du sommet des chefs d’Etat de l’UE les 28 et 29 juin. Dans un contexte tendu depuis le refus de l’Italie d’accueillir le navire humanitaire Aquarius et les échanges de piques entre Paris et Rome, c’est l’avenir de la zone Schengen elle-même qui semble en jeu.
Lire aussi >>> Démocratiser l’Europe et la zone euro : quelles propositions pour l’avenir ?
ALLEMAGNE – Merkel défiée par son ministre de l’intérieur
Deux semaines pour trouver une solution européenne à la crise migratoire, ou il ferme les frontières. C’est l’ultimatum sans précédent qu’a posé Horst Seehofer, ministre de l’intérieur, à sa chancelière, Angela Merkel, qui a refusé ses exigences mais l’a maintenu en place. Le ministre demande que soient refoulés tous les demandeurs d’asile enregistrés dans un autre pays de l’Union européenne, soit la plupart des 200 000 réfugiés qui viennent chaque année en Allemagne en passant par l’Italie ou la Grèce.
Horst Seehofer est lui-même mis sous pression par la CSU, parti bavarois allié à la chancelière dont il est le président et qui craint pour les élections régionales de Bavière le 14 octobre prochain. Donnée à seulement 42% dans les sondages, loin de la majorité absolue, la CSU est en effet concurrencée sur sa droite par l’AfD, le parti d’extrême-droite allemand qui a fait du rejet des migrants son fond de commerce. Angela Merkel a déjà reconnu dimanche que le Conseil européen des 28 et 29 juin n’apporterait pas de « solution complète sur la question migratoire » et qu’elle comptait plutôt sur des « accords bilatéraux et trilatéraux » entre Etats. Si la chancelière ne parvenait pas à donner des gages à la CSU, elle n’aurait d’autre choix que de limoger son ministre de l’intérieur et de fracasser sa fragile coalition, provoquant des élections anticipées.
Lire aussi >>> L’AfD, le renouveau de l’extrême-droite allemande sur fond de division
GRECE – Athènes sort enfin du programme d’aide financière
C’est tard dans la nuit du jeudi 21 juin que les ministres des finances de la zone euro se sont mis d’accord sur les conditions de sortie de la Grèce du troisième plan d’aide. Athènes ne devra rembourser une partie des prêts qu’à partir de 2032 et pourra rembourser jusqu’en 2069 les dettes contractées auprès de l’Union. 15 milliards d’euros ont également été dégagés en soutien si le retour de la Grèce sur les marchés, prévu le 21 août, se révélait trop coûteux.
Huit ans après le premier plan d’aide, ce sont 273,7 milliards d’euros qui ont été versés à la Grèce, en contrepartie de 450 réformes difficiles, aussi bien dans le domaine des retraites que du salaire minimum ou des aides sociales. Le Premier ministre grec, Alexis Tsipras, a beau avoir promis vendredi une baisse d’impôts et une revalorisation du salaire minimum pour l’année prochaine, le chômage touche toujours 20% de la population active, dont 43% des jeunes, et une nouvelle baisse des retraites est d’ores et déjà prévue début 2019. Les marges de manœuvre d’Athènes restent très limitées par le poids de son énorme dette, qui représente encore 178% du PIB.
Lire aussi >>> Maria-Christina Sotiropoulou : « La Grèce est devenue le mouton noir de l’Europe »
ROYAUME-UNI – Deux ans après le Brexit, les Britanniques se cherchent encore
Le 23 juin 2016, le Royaume-Uni votait pour sortir de l’Union européenne et prenait le large. Deux ans plus tard, il semble s’être perdu en haute mer. Certes, la Première ministre Theresa May a remporté cette semaine un vote crucial à la Chambre des Communes : un amendement visant à donner un droit de veto aux parlementaires britanniques sur l’accord de sortie négocié avec l’UE a été repoussé de justesse, par ceux-là même qui le défendaient, pour ne pas gêner le gouvernement dans les négociations avec l’UE.
Bruxelles n’a toutefois rien cédé à Londres depuis deux ans, qu’il s’agisse de la dette du Royaume-Uni à son égard, de la libre circulation ou des accords de libre-échange, alors que la question du maintien du pays dans l’union douanière et celle de la frontière irlandaise ne sont absolument pas réglées. L’incertitude est telle qu’Airbus, qui emploie 15 000 personnes au Royaume-Uni, a annoncé vendredi qu’il pourrait se retirer du pays si aucun accord n’était trouvé avec l’UE ; les Britanniques, eux, restent aussi clivés sur le Brexit qu’il y a deux ans.
Lire aussi >>> Brexit et crise politique : tumultes en Irlande du Nord
COMMERCE – L’UE contre-attaque face aux taxes américaines
Bruxelles avait prévenu. Depuis vendredi minuit, des taxes européennes s’appliquent à des dizaines de produits américains, en représailles après la volonté de Donald Trump d’imposer des droits à douane à 25% sur l’acier et 10% sur l’aluminium, y compris aux pays de l’UE. La liste européenne comprend des produits susceptibles de heurter les électeurs de Donald Trump, dans les Etats ruraux de l’Amérique : le tabac, le bourbon, les jeans, les motos, le riz, le maïs, les t-shirts, ou encore le beurre de cacahuète.
Les taxes européennes, d’un montant équivalent aux taxes américaines – 6,4 milliards d’euros – pourraient encore s’alourdir si l’OMC donne raison à l’UE dans le contentieux qui l’oppose aux Etats-Unis. Alors que la Chine, le Canada et le Mexique ont eux aussi annoncé qu’ils allaient riposter, la perspective d’une guerre commerciale inquiète particulièrement Bruxelles. Le Président américain penserait notamment à taxer les voitures étrangères, au détriment de l’industrie allemande et japonaise.
Lire aussi >>> Frédéric Bozo : « Chaque pays européen a des intérêts à défendre en bilatéral avec les Etats-Unis »