La lutte contre la fraude fiscale se met en place lentement en Europe. Les commissions spéciales du Parlement européen ont joué un rôle clé pour faire grimper la pression politique. Un article d’Aline Robert, pour Euractiv.
Alors que le consentement à l’impôt fait débat en France, où le mouvement des Gilets jaunes revendique pêle-mêle baisses d’impôts et hausses des salaires, le sujet préoccupe aujourd’hui particulièrement les Français.
Mais le questionnement des citoyens sur la fiscalité est aussi un mouvement de fond, comme le souligne Eric Robert conseiller à la politique fiscale à l’OCDE. Les augmentations d’impôts imposées après la crise financière ne sont pas très bien passées auprès de la population. « Le seuil de tolérance a été dépassé, et on a aussi découvert que certaines entreprises payaient peu d’impôt », souligne-t-il. Un constat qui a permis de lancer le projet BEPS (Base erosion and profit shifting), a expliqué l’économiste lors d’un débat Euractiv qui s’est déroulé le 5 décembre à Paris.
« On a vu la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale s’intensifier sous pression de l’opinion », assure aussi Olivier Peiffert, professeur de droit public à la Sorbonne Nouvelle qui ajoute que la nécessité de lutter au niveau international plutôt que national ralentit le processus.
« Il y a toujours des zones grises, des zones d’interprétation où les multinationales jouent avec les règles », remarque Eric Robert. « Mais attention, les réponses à apporter doivent concerner toute l’économie, il n’y a rien de spécifique au numérique, les montages juridiques sont les mêmes dans la pharmacie » avance-t-il.
À l’inverse, l’UE réfléchit à taxer le chiffre d’affaires des entreprises du numériques, ce que l’OCDE conteste, appelant à des réponses qui concernent toute l’économie – donc plus complexes à mettre en œuvre. Il cite ainsi le problème de la TVA, auquel l’OCDE s’est aussi attelée : une entreprise comme Spotify, installée en Suède, ne collecte pas de TVA pour la France, parce que sa structure n’est pas physiquement en France, quand bien même ses services sont consommés en France.
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Le Parlement en pôle position
Durant la dernière législature, plusieurs scandales ont aussi donné des arguments politiques à la mobilisation. « Depuis 5 ans, le Parlement européen s’est emparé de scandales fiscaux des Luxleaks, puis des Panama Papers et enfin des Paradises Papers » a rappelé Benoit Wets, chef de service de la commission TAX3 du Parlement européen. Il s’agit de la troisième commission d’enquête mise en place par la chambre européenne, qui a « gagné en influence grâce à ces commissions spéciales, qui permettent de faire monter la pression », a constaté le fonctionnaire.
Le Parlement n’a pas de rôle autre que consultatif sur les questions fiscales, mais peut en revanche avoir un rôle politique. Il a ainsi fait pression sur la Commission européenne pour mettre en place une liste des places non coopératives, ou liste noire. Restées sans réponse lors de la commission Barroso, les requêtes du Parlement européen d’ouvrir des enquêtes pour aides d’État sur des cas comme Apple en Irlande, ou encore Fiat, Starbucks ou Apple ont davantage abouties sous la Commission Juncker.
Pour Jacques Fabre, de Transparency International, les pistes évoquées par l’OCDE ou le Parlement sont cependant toujours insuffisantes. « Il ne suffit pas de s’attaquer aux grosses méchantes multinationales, les entreprises de taille moyenne et les start-ups raisonnent aussi de façon internationale, et éludent l’impôt de la même façon » avance le militant, qui souhaite des avancées plus franches notamment sur le terrain de la transparence. « Les ONG veulent que les informations de reporting pays par pays des entreprises soient publiques, cela ne suffit pas de communiquer entre administrations fiscales » assène-t-il.
Ce sont en effet ces mêmes administrations qui, souvent, ménagent les entreprises pour s’assurer qu’elles restent sur leur territoire, leur garantissant des « rescrits fiscaux », ou accords fiscaux préférentiels leur permettant de payer peu d’impôt sur leurs bénéfices.
Une technique qui a permis à l’Irlande de se hisser parmi les pays les plus riches d’Europe, contrairement au Portugal par exemple qui avait pourtant la même situation économique il y a 50 ans. « Au Luxembourg, on a remplacé la sidérurgie par la finance. Avec la concurrence fiscale, certains états européens ont piqué dans la poche des voisins », estime Jacques Fabre. Une situation qui ne sera pas simple à rectifier.
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Cet article a été originellement publié par Euractiv.