Officiellement reconnue candidate à l’adhésion en 2014, l’Albanie attend désormais un lancement officiel des négociations par l’Union européenne. Le Conseil a déjà reporté la procédure à plusieurs reprises et la Commission parle d’un horizon à “2030” pour voir ce pays intégrer l’UE. Des efforts restent à fournir dans plusieurs secteurs.
Comme de nombreuses procédures d’adhésion à l’Union européenne, celle de l’Albanie sonne un peu parfois comme une histoire sentimentale. “{Je t’aime, moi non plus}”, semblent échanger le pays et le Conseil de l’UE, qui a sans cesse repoussé l’ouverture des négociations ces dernières années. Les cinq États actuellement candidats à l’Union européenne sont, outre l’épineuse Turquie, trois pays qui ont fait partie de la Yougoslavie (Serbie, Monténégro, Macédoine du Nord) et l’Albanie, qui n’est peut-être pas actuellement le mieux placé pour intégrer l’UE.
En effet, le Conseil a ainsi d’abord accepté en juin 2018, la possibilité d’ouvrir des négociations d’adhésion avec la Macédoine du Nord et l’Albanie pour juin 2019, si et seulement si les “conditions nécessaires” étaient remplies. Finalement, pas d’ouverture des négociations en juin 2019. Ni en octobre de cette même année.
Querelles politiques internes, stabilisation sur la scène internationale
Ce n’est qu’en mars 2020 que le Conseil a décidé d’ouvrir ces négociations avec les deux pays avec un ensemble de conditions pour l’Albanie. En juillet 2020, la Commission a présenté aux États membres les projets de cadre de négociation, les premiers à tenir compte de la «méthode révisée pour l’élargissement aux Balkans occidentaux».
La Forteresse des Balkans est officiellement reconnue candidate en 2014 après l’application de réformes de son système judiciaire, de l’administration publique et la révision des règles de procédures parlementaires. Car depuis la chute du régime dans les années 1990, tous les scrutins ont été perturbés par des incidents, des morts, et les résultats, toujours contestés, ont souvent davantage approfondi les querelles politiques qu’ils ne les ont apaisées. La question de l‘adhésion semble en revanche épargnée par ces violences.
Autre signe tangible du rapprochement de Tirana vers les autorités européennes, le pays fait partie de l’OTAN depuis 2009. Il est entré en même temps que la Croatie. S’il était vue comme un pion turc dans les années 1990, aujourd’hui, ses liens se sont resserrés avec les autorités grecques: 250 militaires grecs ont été envoyés en Albanie pour participer à la formation et à la restructuration des forces armées, dans le cadre de l’OTAN. Dans les Balkans occidentaux, l’Albanie a précédé le Monténégro en 2017 et la Macédoine du Nord en 2020.
Les dernières élections législatives, ont montré une société albanaise très clivée sur les questions économiques notamment (gauche et droite se partagent 133 des 140 sièges du Parlement, mais une aspiration commune à adhérer à l’UE. En effet, la grande majorité des partis politiques sont aujourd’hui quasi-unanimes sur l’opportunité de rejoindre l’Union. Union qui a par ailleurs salué la « bonne organisation » du vote. Mais le bloc a appelé les partis à « suivre le principe démocratique qui consiste à respecter le résultat des élections ».
Réforme judiciaire attendue, pauvreté et presse contrôlée
L’Albanie semble ainsi peu à peu se rapprocher des critères attendus par l’UE pour toute adhésion. Mais elle ne les remplit pas encore tous. Historiquement, son adhésion est “contestée”. L’Etat de 2,85 millions d’habitants, membre du Conseil de l’Europe mais absent de l’espace économique européen ou de l’espace Schengen, s’est vu détailler des réformes nécessaires à son intégration, comme la transparence du financement des partis politiques.
Sont également plus qu’attendus, une réforme du système judiciaire et le développement de la lutte contre la criminalité organisée. Pour l’instant, la Commission européenne parle d’une adhésion à “l’horizon 2030”, si ces points sont remplis. L’Albanie ne brille pas non plus sur un domaine tel que la liberté de la presse. “Certains pays candidats à l’adhésion à l’UE ont également recours aux pressions judiciaires : le gouvernement d’Albanie (83e, +1) a pris le contrôle de deux chaînes indépendantes sous prétexte de poursuites de leur propriétaire pour trafic de drogue” indique par exemple Reporters sans Frontières à propos de son classement 2021. Une modification de la loi nationale sur les médias fait partie des demandes de la Commission.
Et si les liens économiques sont déjà important avec la zone euro, qui est la destination de près de 80% des exportations de l’Albanie, cette dernière “reste l’un des pays les plus pauvres d’Europe. La Banque mondiale estime que le taux de pauvreté est de 37% en avril 2020. Une part importante du PIB (estimée à environ 50%) est toujours représentée par l’économie informelle, ce qui entrave le programme de réforme économique.”
Le lent processus d’adhésion des États des Balkans occidentaux démontre par là-même tous les efforts que ceux-ci doivent fournir pour respecter les conditions d’adhésion. Les jeunes démocraties, éprouvées par des années de guerre et de régime autoritaire ont évidemment plus de difficultés qu’un Danemark ou qu’une Slovaquie.
Cependant, certains pays sont décidés à mettre, si ce n’est des bâtons, mais au moins de gros dos d’âne sur la route européenne de Tirana. En octobre 2019, plusieurs pays au Conseil européen ont refusé d’ouvrir les négociations d’adhésion avec l’Albanie et la Macédoine du Nord : la France et les Pays-Bas s’opposant aux deux, quand le Danemark et l’Espagne refusaient “seulement” la première. Les gouvernements de ces pays souhaitent privilégier aujourd’hui l’approfondissement à l’élargissement européen, opposant les deux piliers fondamentaux de l’Union européenne. Les liens entre l’Albanie et son voisin du Kosovo expliquent en partie le blocage de certaines chancelleries européennes. Il est également utile de noter que les opinions publiques locales se disent opposées à de nouvelles adhésions. Le chemin est encore incertain.
Par Alexis Vannier et Jérôme Flury