Cannabis : à quand une réglementation européenne ?

Cannabis, marijuana, ganja, THC, Elena Blum, drogue en europe, Cannabis en Europe, ICE, Weed like to talk, Elena Blum

La législation encadrant la culture, la vente et la consommation du cannabis en Europe est très hétérogène d’un pays à l’autre. La Convention unique sur les stupéfiants de l’ONU, signée en 1961 puis la Convention sur les substances psychotropes de 1971 interdisent formellement l’usage de drogues dites stupéfiantes (héroïnes, cocaïne, amphétamines, cannabis…). Pourtant, certains pays dans le monde font fi de cette réglementation, et au sein même de l’Europe, l’interdiction est interprétée de différentes façons, entre pénalisation, contraventionnalisation, légalisation…

L’Union européenne est-elle le dernier recours des amateurs de marijuana ? Dans les partis ou les milieux écologistes et altermondialistes, on compte beaucoup sur l’Europe pour adoucir les mœurs des États membres et mettre en place une vraie politique de dépénalisation européenne. La preuve en est, en 2013, une initiative citoyenne européenne est lancée : Weed like to talk a pour but de demander à la Commission européenne une légalisation du cannabis qui contraindrait les États membres à abandonner leurs politiques répressives. Mais l’ICE n’obtient que 170 000 signatures, et quand bien même elle aurait obtenu le million requis, il est peu probable que la Commission européenne ait accepté de légaliser le cannabis. D’une part, parce que cela signifie s’opposer aux traités internationaux que l’UE a ratifiés. D’autre part, parce que la santé et la justice (et notamment le pénal) sont des prérogatives des États sur lesquelles l’UE ne peut rien faire. Son action se limite à proposer une coopération judiciaire entre États membres, et à encourager la lutte contre la production et la commercialisation de drogues dans les États tiers.

Une Europe schizophrène

Et dans les faits, aucun pays européen n’a réellement légalisé le cannabis, car cela reviendrait à s’opposer aux traités internationaux qui interdisent les stupéfiants, mais l’Italie se pose la question, et devrait étudier cette possibilité dans les temps à venir. En revanche, de nombreux pays ont dépénalisé le cannabis. Cependant, la notion de dépénalisation elle-même est interprétée différemment selon les États. Si pour de nombreux pays tels que l’Allemagne, l’Espagne ou les Pays-Bas, cela signifie que la consommation privée de cannabis est tolérée, dans d’autres pays, la consommation ne sera pas jugée au pénal, puisqu’il ne s’agit pas d’un crime, mais il peut tout de même exister une sanction. Ainsi lorsqu’au cours de la campagne présidentielle française, Emmanuel Macron a parlé de “dépénalisation” de la consommation du cannabis, en proposant de remplacer des peines de prison rarement appliquées par des contraventions systématiques (entre 100 et 200 euros à régler immédiatement pour un consommateur qui se fait interpeller), les partisans de la légalisation ont été scandalisés.

Coffee Shop à Amsterdam. © CC Patrick Verdier

Quelques pays proposent une législation beaucoup plus souple : l’Espagne et les Pays-Bas autorisent les consommateurs à détenir et à utiliser du cannabis, chez eux ou dans des espaces prévus à cet effet (les Coffee Shop aux Pays-Bas, et les Cannabis Club en Espagne). En Allemagne et en République Tchèque, la consommation est tolérée si elle se fait à domicile, dans des petites quantités, et le cannabis a été légalisé pour un usage médical.

Des enjeux de santé publique

Le Portugal a adopté la loi la plus libertaire au début des années 2000, en dépénalisant la consommation de toutes les drogues sans exception. Le consommateur ne doit pas avoir sur soit plus que des doses considérées par les autorités comme le “maximum hebdomadaire” : un gramme d’héroïne, d’ecstasy ou d’amphétamine, deux grammes de cocaïne, ou 25 grammes de cannabis. En revanche, la personne interpellée doit se présenter devant un panel de juges, de psychologues, de travailleurs médicaux et sociaux. Au bout de plusieurs interpellations, il a l’obligation de suivre un traitement thérapeutique.

Si cette législation a fait scandale et continue de choquer les régimes les plus répressifs, elle a porté ses fruits : le nombre de mineurs consommateurs de drogue a largement baissé, le Portugal ayant utilisé les fonds pour la répression en fonds pour la sensibilisation. Des pratiques saines ont amélioré le quotidien des consommateurs : le nombre de nouvelles infections au VIH par an a été divisé par vingt, tandis que le nombre de morts par overdose a été divisé par cinq en 15 ans. Au Portugal, on compte trois décès par drogue pour un million d’habitants, tandis que la moyenne de l’Union européenne est de 17 décès par million d’habitant. Les raisons de ces excellents résultats ? Une meilleure prise en charge médicale et sociale des “dépendants” (et non pas des “drogués”), une dédramatisation de la consommation de drogue qui incite les personnes en danger à contacter les secours beaucoup plus rapidement.

En outre, on observe que la législation n’a aucun impact réel sur la consommation de cannabis : la France est aujourd’hui l’un des États les plus répressifs, mais ce sont également les Français qui sont les plus gros consommateurs de cannabis. Selon l’observatoire européen des drogues et des toxicomanies, la France arrive première pour l’expérimentation, avec 40% de la population qui a déjà essayé le cannabis, et deuxième pour la consommation régulière, avec environ 1,5% des adultes qui en consomment chaque jour (derrière les 3% de l’Espagne, mais devant les 0,9% du troisième de la liste, la Belgique). Cependant, ces chiffres sont de plus en plus considérés comme non représentatifs d’une consommation beaucoup plus globale et très décomplexée. L’observatoire français des drogues et des toxicomanies avance plutôt le chiffre de 2 à 3%, tandis que des associations et organisations militantes estiment que 8% de la population fumerait régulièrement.

(La carte ci-dessous indique en vert les pays où la consommation de cannabis est tolérée et non sanctionnée, en jaune ceux où elle est dépénalisée, et donc uniquement sanctionnée par amendes, et en rouge, où elle reste criminalisée. Cliquez sur les pays pour obtenir plus d’informations sur la législation en matière de drogues.)

Ailleurs dans le monde : les enjeux de la légalisation

Mais la santé publique n’est pas le seul aspect recherché des pro-marijuana. Si aucun pays d’Europe n’a passé le cap de la légalisation, plusieurs pays ont quant à eux décidé de ne pas respecter les engagements pris dans les années 60 et 70. Ainsi, certains États des États-Unis, l’Uruguay et la Corée du Nord sont les seuls pays où il n’y a aucune restriction à la culture, la commercialisation et la consommation du cannabis. Si la Corée du Nord est l’un des États les plus restrictifs au monde, il n’a pas été influencé par la lutte contre les stupéfiants des dernières décennies. Le cannabis s’achète en vrac au marché, à moins d’un euro le gramme.

Aux États-Unis et en Uruguay, en revanche, la légalisation du cannabis est récente et très réfléchie. L’Uruguay a été le premier pays à légaliser et mettre sous le contrôle de l’État la production de cannabis, en décembre 2013. José Mujica Cordano, Président élu en 2010, a opéré en Uruguay un changement majeur. Celui qui a refusé de quitter sa ferme pendant son mandat, et a inscrit le palais présidentiel sur la liste des logements disponibles pour les sans-abris, a, en cinq ans, autorisé l’avortement, le mariage pour couples de même sexe, et le cannabis, afin de lutter contre le crime organisé. L’État produit et distribue jusqu’à 40 grammes par semaine et par personne.

Aux États-Unis, c’est le Colorado qui a sauté le pas le premier et autorisé en 2014 l’usage récréatif de la marijuana. Et les résultats ne se sont pas fait attendre : avec l’ouverture de Coffee Shop tenus par des “experts” dispensant de véritables conseils et proposant différents types d’herbes, un tourisme tout particulier s’est mis en place, engrangent des milliards de dollars d’impôts pour l’État (2,6 milliards en 2016, soit près d’1% du PIB de l’État)… à tel point que le Colorado a dépassé le montant maximum d’impôts, prévu par sa Constitution. Les habitants ont été appelés aux urnes pour décider de l’usage de cet argent, qui est aujourd’hui reversé à des programmes d’aide aux sans-abris, à des associations de scolarisation, et qui sert également à rénover les bâtiments publics des villes les plus pauvres. Huit États ont emboîté le pas au Colorado, et le Canada devrait bientôt suivre également cet exemple ; une promesse de campagne du très populaire Justin Trudeau.

Ainsi, les enjeux liés à la dépénalisation du cannabis sont multiples : meilleur encadrement social et médical, gain économique (estimé à environ 2 milliards d’euros pour la France, sans compter les économies faites en limitant la répression), et lutte contre la criminalité organisée et la traite humaine qui en découle. Cependant, la question de l’acceptation de la pratique par la société est encore au cœur du débat. Il faudra du temps pour que les cultures nationales s’harmonisent, et pour que les dirigeants décident de mener une véritable politique européenne du cannabis.

Plantation au Colorado. La demande est encore trop forte, et l’offre américaine ne suit pas, ce qui contraint certains vendeurs à faire venir le Cannabis du Mexique. © CC0 Public Domain

Cet article a été republié par Le Taurillon (FR).

Elena Blum

Ancienne présidente d'Eurosorbonne, co-fondatrice du journal, journaliste professionnelle, j'aime le bourgogne blanc, les chats et l'idée d'une Europe sociale.

Articles recommandés