Le Concours Eurovision de la chanson, progressivement devenu le plus grand concours musical au monde, reprend du service ce samedi soir. Mais derrière les titres pop et les costumes bariolés se cachent aussi de vrais enjeux géopolitiques.
« Les paroles, discours ou gestes de nature politique ou similaire ne sont pas autorisés pendant le Concours Eurovision de la chanson ». Le règlement de l’Eurovision a beau être très explicite, le Concours a toujours eu une dimension politique. Si beaucoup de pays parient sur des chansons pop aux paroles légères, parfois qualifiée de « fast-food music », d’autres cherchent aussi à faire passer quelques messages. Humanisme en faveur des migrants, des couples homosexuels et des personnes transgenres ou volonté (disqualifiée) d’humilier Vladimir Poutine peu après la Guerre de Géorgie, les messages sont nombreux.
L’édition 2016 avait même vu se reproduire sur la scène de l’Eurovision les tensions actuelles entre l’Ukraine et la Russie. Ainsi, avec son titre “1944“, la chanteuse Jamala, finalement victorieuse, y évoquait la déportation des Tatars de Crimée par Staline, un parallèle à peine voilé avec l’annexion russe de la Crimée en 2014. Et cette « guerre par chansons interposées » s’était poursuivie jusqu’à la divulgation des résultats avec un final à suspense, les deux pays étant au coude-à-coude jusqu’à la dernière minute.
Une compétition entre pays
Car si l’Eurovision est un concours de chansons, il s’agit aussi d’une compétition stato-centrée, où s’opposent d’abord des pays. Remporter le concours est alors ainsi une source de prestige et de fierté nationale indéniable. D’autant que le vainqueur de l’édition précédente organise le concours l’année suivante, une bonne occasion pour faire la promotion de sa culture et de ses potentialités touristiques, avec plus ou moins d’humours.
Cette compétition est également basée sur un vote conjoint de jurys nationaux et des téléspectateurs… pour lequel chaque pays pèse le même poids. Les « douze points » de Saint-Marin (32 000 habitants) ont ainsi la même valeur que ceux délivré par l’Allemagne (82 millions). Et comme chaque pays ne peut pas voter pour son représentant, la légendaire divulgation des résultats à l’issue des prestations est souvent l’occasion d’observer des liens d’amitiés tenaces entre certains pays.
Solidarité entre blocs géographiques
La qualité des chansons semble ne pas toujours être prépondérant puisque l’étude des votes nationaux souligne indéniablement l’existence de blocs géographiques. Outre les solidarités nordiques, slaves ou balkaniques, l’échange mutuel de points entre la Grèce et Chypre est systématique entre ces deux pays qui partagent des liens culturels très forts.
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Enfin, la géopolitique est aussi linguistique à l’Eurovision. Du lancement du concours en 1956 jusqu’à la fin des années 1980, le français occupait une position prédominante. Seul participaient alors les pays d’Europe de l’Ouest dont beaucoup étaient francophones pour un total de 14 victoires dans la langue de Molière. Mais depuis, l’anglais est devenu largement hégémonique (plus de victoires en français depuis 1988 et une certaine… Céline Dion).
L’anglais hégémonique ?
La fin de la guerre froide a en effet marqué l’arrivée dans le Concours de très nombreux pays issus de l’ex-Bloc de l’Est, obligeant même les organisateurs à mettre en place des demi-finales. Et depuis 1999, les pays peuvent concourir dans la langue de leur choix. Dans ces conditions, l’anglais est plus que jamais apparu comme un moyen de remporter le concours avec une chanson reprenant les codes les plus à la mode dans une langue compréhensible par un très large public.
Depuis 1999, près de 75% des chansons sont ainsi interprétées dans la langue de Shakespeare, au risque d’une certaine uniformité. Les victoires en serbe en 2007 ou en portugais en 2017 montrent toutefois que le multilinguisme est loin d’avoir disparu et que l’anglais n’est pas un gage automatique de victoires.
Organisée par l’Union européenne de radiodiffusion, l’Eurovision n’en reste pas moins un événement incontournable, qui rassemble chaque année des millions de téléspectateurs à travers tout le continent. Un modèle tellement efficace que l’année 2018 verra pour la première fois s’organiser, sur le même format, le Concours Eurovision… Asie de la chanson.