C’est un accord que les ONG environnementales attendaient depuis des années : le 30 juin, l’Union européenne a interdit le chalutage profond, une pratique de pêche destructrice.
Aberration économique et écologique
Les lobbys de la pêche ont eu beau lutter, le chalutage profond leur est désormais interdit au-delà de 800 mètres de profondeur. Cette pratique controversée consiste à lester des filets gigantesques (jusqu’à 150 mètres de large) et très profonds, et à les traîner derrière un bateau. Le fond marin est ainsi raclé, et 60 tonnes de poissons peuvent être pêchées en vingt minutes. Mais plus de 30% des prises sont rejetées à la mer, le chalutage ne s’intéressant qu’à trois espèces de poissons, peu chers et facilement transformables pour l’alimentation rapide. Le chalutage arrache les récifs coralliens, les animaux les plus vieux du monde, atteignant parfois plusieurs milliers d’années, et il est responsable de la disparition progressive des grands requins.
Cette pratique n’est pourtant pas rentable, les revenus engrangés étant minimes. De plus seuls 0,2% des emplois du secteur sont concernés. Mais l’intérêt du secteur réside dans les subventions européennes destinées à la pêche : les marques distributeurs, propriétaires des chalutiers à espèces profondes, pouvant prétendre à des aides spécifiques. La Scapêche, la flotte française d’Intermarché (leaders européens), a bénéficié de plus de 9 millions d’euros de la part du Fond européen pour les affaires maritimes et la pêche (Feamp).
Une aberration économique et écologique contre laquelle les associations, lobbys et ONG (qui forment le “Deep Sea Conservation Coalition”) se mobilisent depuis des années. En 2013, la dessinatrice Pénélope Bagieu publie une bande dessinée à ce propos, qui devient virale. Une pétition est diffusée, qui recueille plus d’un million de signatures. La Commission européenne propose une interdiction du chalutage profond, qui est rejetée par le Parlement européen. La mobilisation civile se poursuit, jusqu’à ce qu’Intermarché accepte de se désengager de cette pratique en mars dernier.
Interdit sous 800 mètres, limité sous 400
À partir de janvier 2017, aucun navire ne pourra recevoir d’autorisation de pêche pour des zones dont la profondeur dépasse 800 mètres. Sous 400 mètres, les pêcheurs ne seront autorisés à se rendre que dans des zones qui ont déjà été pêchées entre 2009 et 2011, et ce pour ne pas détériorer d’autres zones. Les pêcheurs pourront demander une autorisation pour une zone en particulier, mais une étude sera menée avant de les autoriser à s’y rendre, et ils n’auront cette possibilité que pour un an. D’autre part, si un chalutier croise une zone sensible (coraux, éponges), il devra relever ses filets pendant 5 miles et signaler la zone. Les contrôles seront beaucoup plus nombreux, et les sanctions plus fortes.
En revanche, le texte est limité dans le sens où il ne concerne que les eaux européennes. Initialement prévu pour toutes les eaux, le Conseil européen a revu à la baisse la superficie de la zone protégée. L’Espagne et le Portugal pêchent massivement dans les eaux internationales et ne sont donc pas concernés par l’interdiction de chalutage profond. Enfin, aucun programme de protection, de valorisation et de gestion des populations d’espèces en danger n’a été prévu. Si les écologistes ont gagné une manche, le monde marin n’est pas encore tiré d’affaire.
Elena BLUM
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