Avec 90 000 demandes d’asile en 2015 et 3200 migrants y transitant chaque jour, l’Autriche est durement confrontée à la crise que traverse l’Europe depuis maintenant plusieurs années. Appelés aux urnes dimanche prochain pour élire le prochain Président fédéral, la tentation d’un vote extrémiste pourrait être grande chez les électeurs tant l’Autriche semble durcir ses positions face à l’Union européenne, et tant l’extrême droite séduit un nombre grandissant d’Européens. Quel rôle jouerait le Président fédéral dans la politique de son pays ? Et surtout quelle serait l’issue probable de ce scrutin ? Eurosorbonne vous explique.
Bras de fer avec l’Union européenne
« L’Autriche refuse ses quotas », « L’Autriche se désolidarise de l’Allemagne », « L’Autriche veut fermer sa frontière avec l’Italie » … Cela faisait bien longtemps qu’autant de lignes n’avaient pas été consacrées dans les colonnes de nos journaux français à l’Autriche, qui sort de l’ombre habituelle de son voisin allemand.
Membre de l’Union européenne depuis 1995, l’Autriche y occupe une place centrale. Ses frontières avec la Slovénie et l’Allemagne font de cette nation transalpine un territoire géographiquement situé au terme de la route des Balkans et dans l’antichambre de l’Europe du nord. De facto, ce pays de 8,5 millions d’habitants se trouve politiquement être l’un des principaux acteurs européens impliqués dans la crise migratoire avec 14 328 demandes d’asile enregistrées, rien qu’entre le 1er janvier et le 31 mars.
Pour le chancelier social-démocrate Werner Faymann, le reste des États membres ne peut se reposer sur l’Allemagne, la Suède et l’Autriche pour assurer l’accueil de la plus grande partie des migrants arrivée en Europe. Ce qui est alors perçu par Vienne comme un manque de solidarité de la part de ses partenaires européens entraîne des prises de décisions décriées au plus haut point par Bruxelles, telles que la fermeture de ses frontières avec la Slovénie ou encore le rejet des quotas d’accueil prévus par l’Union européenne.
Enjeu électoral décisif
Les conséquences politiques et humaines que soulève la crise s’imposent de manière inévitable dans le débat électoral. Ainsi, le durcissement des positions du gouvernement de coalition social-démocrate/chrétien-démocrate n’est évidemment pas étranger à l’approche des élections présidentielles du 24 avril prochain. Comme dans le reste de l’Europe, les voix populistes d’extrême-droite se font entendre, trouvent une oreille attentive et séduisent de plus en plus d’électeurs comme en Finlande, en Pologne, en Croatie ou encore en Slovaquie.
L’électorat autrichien pourrait être tenté de répondre à la crise dans laquelle leur pays est englué par l’élection du premier Président fédéral d’extrême droite de leur histoire. Au regard des compétences du plus haut des fonctionnaires, ce scénario pourrait être déterminant dans la gestion européenne de la crise des migrants.
Président fédéral : chef de l’exécutif ou simple fonction honorifique ?
Dans des pays fédéraux tels que l’Autriche ou l’Allemagne, le pouvoir exécutif s’incarne à travers le chef du gouvernement à savoir le chancelier. Habituellement en retrait de la scène internationale, le Président fédéral renvoie souvent l’image d’un représentant symbolique de l’État, à l’occasion de commémorations ou de cérémonies solennelles.
Pourtant, le Président de la République fédérale d’Autriche possède de puissantes prérogatives telles que : chef des armées, nomination du Chancelier fédéral, pouvoir de dissolution du Conseil national (équivalent du Parlement français). [NDLR : le Président nomme suite aux propositions du Chancelier les membres du gouvernement. Les chrétiens-démocrates occupant après les sociaux-démocrates le plus de sièges au Conseil national, la futur gouvernement autrichien en cas d’élection du FPÖ serait alors une coalition de ministres d’extrême-droite et de droite.]
Ses attributions et compétences sont identiques à celles du chef d’État d’un régime présidentiel fort comme en France. Grâce à des pouvoirs forts conférés par la loi constitutionnelle autrichienne, le futur Président fédéral pourra peser de tout son poids dans les orientations futures du gouvernement autrichien.
Quelles chances pour l’extrême droite ?
Heinz Fischer, social-démocrate sortant, quitte ses fonctions de Président fédéral sans qu’aucun institut de sondage ne parvienne clairement à déterminer son possible successeur. « La deuxième République d’Autriche n’a jamais connu de pareilles élections, avance Rudolf Brandstätter, professeur d’économie publique à la Vienna Business School. La division de l’électorat autrichien, due au nombre anormalement grand de candidats à ces élections, rend l’obtention de la majorité absolue par un candidat dès le premier tour impossible – et finalement l’issue même des élections incertaine. » [NDLR : le 24 avril prochain, les Autrichiens auront la possibilité de voter pour six candidats différents, contre seulement trois en 2010, deux en 2006.]
D’après l’enquête de l’institut SORA, 3 candidats se partagent la majorité des intentions de votes. Candidat indépendant mais soutenu par Les Verts dont il fut le porte-parole pendant 11 ans, Alexander Van der Bellen (30%) arrive en tête de l’ensemble des sondages et pourrait créer la surprise. Un nombre de voix conséquent serait ensuite attribué au candidat d’extrême-droite Norbert Hofer (21%) ; sa ligne politique flexible pourrait séduire davantage d’électeurs indécis face à une droite morcelée en quatre candidats différents [NDLR : Khol (ÖVP), Griss (indépendante), Hoffer (FPÖ), Lugner (indépendant)]. Enfin, Irmgard Griss (20%), candidate indépendante et libérale, se joint à la course électorale, et relègue le candidat de la droite démocrate-chrétienne Andreas Khol (12%), derrière le social-démocrate Hundstorfer (14%).
La polarisation de l’électorat autrichien sur la question des migrants met à mal les forces politiques traditionnelles du pays. Pour la première fois depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, aucun des deux candidats dont le parti est au pouvoir n’arriverait au second tour de l’élection.
Pourtant inflexibles sur les solutions, et fermes dans leurs prises de décisions, force est de constater qu’à l’approche du scrutin, sociaux-démocrates et chrétiens-démocrates ne convainquent plus. Assisterons-nous à l’élection du premier président écologiste ? Du premier président d’extrême-droite ? Ou de la première femme présidente de l’Autriche ? De nombreux observateurs européens garderont probablement, comme ce fut le cas 16 ans auparavant, un oeil attentif sur ce résultat qui marquera l’histoire du pays.
Par Léo-Paul Biamba