Le jeudi 15 septembre 2016, la Maison de l’Europe de Paris, a organisé une conférence ayant pour titre « L’Union européenne vue par les pays d’Europe centrale et les Balkans ». Après une introduction de Mme Catherine LALUMIERE, présidente de la Maison de l’Europe, M. Jacques RUPNIK, directeur de recherches au CERI/Sciences Po, et spécialiste de ces régions, a pris la parole.
M. Rupnik commence son propos en évoquant l’un des principaux objectifs de l’Union européenne depuis 1989 et la chute de l’URSS : réussir à intégrer l’Europe orientale à la construction européenne. Plus de 25 ans après, il est désormais évident que la convergence économique entre les deux Europes est réussie. La convergence dans l’évolution des sociétés est elle aussi réalisée, et le symbole politique le plus fort est la nomination de Donald Tusk, l’ancien premier ministre polonais comme président du Conseil européen. Cependant, M. Rupnik rappelle qu’en Europe centrale et dans les Balkans, certaines évolutions récentes sont préoccupantes.
La régression de l’Etat de droit
L’évolution de l’Etat de droit est alarmante, et Jacques Rupnik prend l’exemple principalement de la Hongrie et de la Pologne. En effet, en Hongrie, Victor Orban, élu depuis 2010, a explicitement déclaré qu’il refusait la démocratie libérale, affirmant que ce n’était pas le seul moyen d’avoir des résultats économiques. Ainsi, il prône la démocratie non-libérale, plus connue sous son nom anglais, illiberal democracy. Orban a effectué une progressive main-mise sur les médias et l’audiovisuel publics, surtout depuis l’été 2014. Il en est de même pour la Pologne, où le parti Droit et Justice (PIS en polonais) est au pouvoir depuis 2015. Le chef du parti, Jarosław Kaczyński, n’est pas le chef du gouvernement, mais règne tout de même en maître dans un pays désormais divisé.
Jacques Rupnik souligne alors le principal point commun entre les deux hommes politiques : ce sont d’anciens dissidents qui ne considèrent pas 1989 comme la vraie rupture, affirmant que leurs pays comptent encore beaucoup de communistes. C’est dans cette perspective qu’il faut considérer les changements opérés dans le personnel de la Cour Constitutionnelle hongroise. En effet, Orban y nomme des membres de son parti, et va jusqu’à remplacer les juges.
Les institutions clés de la démocratie sont donc remises en cause au nom d’une certaine idée de la démocratie : leur objectif est de redonner la souveraineté au peuple, ils veulent pratiquer une démocratie directe plutôt que représentative. L’Etat de droit comme on le connaît en Europe occidentale, avec un cadre constitutionnel contraignant pour tous les acteurs politiques et une instance avec rôle d’arbitre accepté par tous, vacille.
La montée des nationalismes
La seconde évolution préoccupante relevée par M. Rupnik est celle de la montée des nationalismes en Europe centrale et dans les Balkans. Selon lui, la cause est à chercher dans une définition de la nation et de sa souveraineté différente de celle de l’Europe occidentale. En effet, la nation est à protéger des incursions d’une Europe supranationale dans des questions qui relèvent de la politique intérieure, mais aussi d’une vague migratoire qui mettrait en danger l’identité nationale, de ces pays. Jacques Rupnik donne ici l’exemple de la Hongrie et du référendum qui aura lieu le 2 octobre prochain concernant les quotas de réfugiés à accepter dans chaque pays, quotas qu’Orban refuse et considère imposés par l’UE.
Cette réticence s’est notamment traduite par la prise de position du groupe de Višegrad, composé de la Hongrie, de la République Tchèque, de la Pologne et de la Slovaquie, pays qui sont contre ces quotas. Selon M. Rupnik, ce refus s’explique par l’absence de migrants venus du Sud dans ces pays, et la peur qu’ils inspirent aux populations. Réapparaît ici la notion de nation qui, dans les pays du groupe de Višegrad, a été construite sur une référence à une culture, une langue commune, et parfois aussi à une appartenance religieuse.
Des visions de l’UE discordantes
Les exemples de la Hongrie et de la Pologne sont donc représentatifs, pour Jacques Rupnik, du retour du clivage Est/Ouest en Europe, qui s’articule autour d’une vision différente de l’UE. Ces deux pays, ainsi que le reste du groupe de Višegrad, en ont une vision très proche de celle des Britanniques – et perdent donc un allié important avec le Brexit –, considérant que la sécurité doit être assurée par l’OTAN et les Etats-Unis, que l’UE peut agir sur le marché et l’économie. Mais, en ce qui concerne la politique, la démocratie et la nation sont des affaires intérieures et doivent rester aux mains des Etats.
M. Rupnik conclut en posant la question de la conception de la solidarité au sein de l’UE. En effet, ces pays ne semblent accepter qu’un lien économique entre les Etats membres et refusent à l’Union toute compétence politique. Cependant, Jacques Rupnik insiste sur le fait que ce soit le lien politique qui justifie une redistribution sur le territoire, redistribution dont bénéficient ces pays à travers les fonds structurels qui financent des projets. Il termine son propos en posant la question d’une éventuelle conception par la Pologne, la Hongrie, mais aussi d’autres Etats européens, d’une solidarité à sens unique.
Mathilde Ciulla
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