Référendum en Turquie : Erdogan ou la démocratie ?

Mathilde Ciulla Turquie Erdogan référendum

Le 16 avril prochain, les Turcs sont appelés à se prononcer sur une réforme de la constitution. Ce référendum a été proposé par Recep Tayyip Erdogan, le président turc, et vise à faire glisser le système parlementaire turc vers un régime présidentiel. Une réforme qui pourrait bien remettre en cause la démocratie en Turquie.

L’objectif de cet amendement est très clair : concentrer les pouvoirs entre les mains d’un seul homme, le président. C’est toute la séparation des pouvoirs, caractéristique des démocraties modernes, qui est menacée : les plus hautes instances de la justice, du Parlement et du parti seraient toutes soumises à la nomination du président, ce qui reviendrait à supprimer tout contre-pouvoir en Turquie. M. Erdogan justifie cette réforme par le besoin de rendre le pays plus gouvernable. Et bien qu’il soit vrai que la relation entre le premier ministre et le président est parfois un obstacle à une gouvernance efficace, supprimer tout bonnement le poste de premier ministre n’apparaît pas forcément comme la meilleure solution.

Une nouvelle victoire pour M. Erdogan ? Rien n’est moins sûr…

Depuis que l’amendement a été voté par le Parlement turc au mois de janvier dernier, une campagne électorale fortement polarisée fait rage. Le président et son gouvernement font évidemment campagne pour le « oui », ainsi que toute la structure du Parti pour la justice et le développement (AKP), duquel est issu Recep Tayyip Erdogan. Il organise d’immenses meetings publics où il galvanise les foules, meetings qui sont retransmis en direct sur toutes les chaînes de télévision. Il est aussi très violent avec ses opposants, ayant notamment appelé les défenseurs du « non » des « terroristes » ou des « traîtres » dans plusieurs de ses discours.

La campagne pour le « non » est beaucoup plus compliquée à mener puisque l’état d’urgence est encore en vigueur en Turquie et restreint largement les mouvements des opposants. Par ailleurs, la purge organisée par le régime en représailles au coup d’État avorté du 15 juillet dernier a affaibli l’opposition : les arrestations de journalistes, députés, professeurs ou simples civils s’enchaînent depuis presque neuf mois. C’est d’ailleurs une question qui met en doute la légalité de cet amendement. Comment valider le vote d’un Parlement duquel sont absents la grande majorité des députés de l’opposition parce qu’emprisonnés ?

Et bien que la mainmise du président Erdogan sur la société et le régime turcs soit assurée après tant d’années à la tête de l’État, d’abord en tant que premier ministre puis comme président, sa victoire au référendum ne l’est pas. Les derniers sondages ne semblent pas donner au « oui » une avance si large que Recep Tayyip Erdogan et ses soutiens veulent bien le laisser croire. Et il reste encore de nombreux indécis qui ne savent pas quoi penser, notamment des conservateurs très attachés à l’AKP mais qui doutent tout de même du bien-fondé de cette réforme.

Et l’Union européenne dans tout ça ?

Le résultat de ce référendum aura aussi très certainement une influence importante sur la relation entre la Turquie et l’UE. Ces dernières années, les rapports n’ont pas toujours été bons, et alors que les négociations pour le processus d’adhésion de la Turquie à l’UE semblaient connaître un nouveau départ après l’accord migratoire de mars 2016, il paraît très clair qu’une victoire du « oui » y mettrait un coup d’arrêt. C’est en tout cas ce que laissent penser les esclandres causés quand l’Allemagne et les Pays-Bas ont interdit les meetings en faveur du « oui » qui devaient se tenir sur leur territoire. Il ne fait aucun doute que ces gouvernements n’ont pas apprécié que M. Erdogan qualifie ces faits de « pratiques nazies ».

L’UE et ses dirigeants réagiraient certainement mal à une victoire du « oui » et à la dérive de la Turquie vers un régime personnel et autoritaire. Le Parlement européen avait déjà, au mois de décembre 2016, appelé à geler le processus d’adhésion de la Turquie à l’UE. Et plus récemment, le Conseil de l’Europe – duquel la Turquie fait partie ainsi que d’autres États non-membres de l’UE – a mis en garde contre les effets néfastes de cette réforme constitutionnelle sur la démocratie turque. Dans un arrêt daté du 10 mars dernier, la session plénière a exprimé sa crainte de voir le pays se transformer en un « système présidentiel autoritaire ».

Toutefois, il n’est pas sûr que les États membres représentés au sein du Conseil européen seraient d’accord pour ce gel des négociations. Après plusieurs décennies d’union douanière, les économies turques et européennes sont devenues très interdépendantes, et la rupture de tout lien entre les deux pourrait s’avérer néfaste pour les pays de l’UE. Sans parler de l’effet que cela aurait sur l’accord migratoire et le contrôle des frontières qu’effectue la Turquie depuis un an désormais. Il semblerait que certains des États soient disposés à transformer ce processus d’adhésion – dans tous les cas moribond depuis un moment maintenant – en une extension de l’union douanière.

Ce dimanche, les citoyens turcs devront décider s’ils veulent permettre à Recep Tayyip Erdogan, qui est déjà au pouvoir depuis une quinzaine d’années, de rester président jusqu’en 2029. Une période qu’il pourrait bien mettre à profit pour effacer toute trace de démocratie en Turquie.

Mathilde Ciulla

Ancienne co-rédactrice en chef d'Eurosorbonne, passionnée d'Europe et de politique, convaincue que parler d'Europe rapproche les Européens!

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