Elle avait vécu le pire et décidé de se battre pour le meilleur. Simone Veil, figure de proue de la politique française, rescapée des camps d’Auschwitz, féministe, humaniste et europhile, s’est éteinte à l’âge de 89 ans ce vendredi 30 juin. Retour sur une existence exceptionnelle, bercée par un besoin d’Europe.
« La situation de paix qui a prévalu en Europe constitue un bien exceptionnel, mais aucun de nous ne saurait sous-estimer sa fragilité. Est-il besoin de souligner à quel point cette situation est nouvelle dans notre Europe dont les batailles fratricides et meurtrières ont constamment marqué l’Histoire ? » Lorsqu’elle accède à la présidence du Parlement européen, en 1979, lors des premières élections européennes au suffrage universel, Simone Veil représente un symbole de la réconciliation franco-allemande.
Cette grande dame, académicienne occupant depuis 2010 le fauteuil n°13 – celui de Racine – est l’une des rares figures politiques françaises à faire l’unanimité auprès des Français et même de leurs voisins. Son histoire, sa résilience, sa dignité et son grand humanisme en ont fait un symbole de l’abnégation politique au service de chacun. Il est vrai qu’à travers elle, ce sont les souffrances et les victoires du siècle dernier qui transparaissent : Shoah, droits des femmes, avancées sociales, Europe. À l’image de son épée d’académicienne, sur laquelle elle a fait graver le numéro de matricule qui lui avait été tatoué sur le bras à Auschwitz, mais aussi la devise de la France, « Liberté, égalité, fraternité », et celle de l’Europe, « Unis dans la diversité ».
Le droit face à l’horreur
Née à Nice en 1927, elle a été déportée à l’âge de 18 ans dans les camps d’Auschwitz, où elle perdra sa mère à deux jours de la Libération, tandis que son père et son frère, déportés eux aussi, jusqu’en Estonie, disparaitront sans qu’elle ne sache jamais ce qu’il était advenu d’eux. Simone Veil a lutté toute sa vie pour faire vivre la mémoire de la Shoah, rendre un nom et une identité à ces millions de personnes qui ont subi les affres terribles de la haine. Mais elle se heurte à une France qui ne souhaite pas assumer ses responsabilités. « J’ai toujours été disposée à en parler, à témoigner. Mais personne n’avait envie de nous entendre », a-t-elle confié à Annette Wierviorka dans son livre Déportation et génocide, Entre la mémoire et l’oubli paru en 1990. Elle n’a pas tiré de salut de son engagement, affirmant en 2009 : « J’ai le sentiment que le jour où je mourrai, c’est à la Shoah que je penserai ».
De retour en France après la libération, Simon Veil s’inscrit à la faculté de droit et à l’Institut d’études politiques de Paris. Elle se marie ensuite et donne naissance à trois fils, comme pour conjurer le sort qui l’a privée de sa famille, et qui lui a même ravie sa sœur, dont elle était très proche, dans un accident de voiture, en 1952. Puis elle passe avec brio le concours de la magistrature en 1956 et décide de travailler dans les hautes sphères de l’État, fait rarissime pour une femme à l’époque. Son mari admettra lui-même qu’il était « macho », et qu’elle avait dû se battre. A tout juste trente ans, elle obtient un poste de haut fonctionnaire dans l’administration pénitentiaire et se bat pour améliorer les conditions de détention de prisonniers en Algérie, face à la brutalité des militaires français. La défense des droits de l’Homme est un pied de nez au destin de la part de cette femme qui n’acceptera jamais plus la violence et l’indignité humaine.
Loi sur l’IVG : dignité contre violence
Mais sa renommée, elle va l’acquérir avec d’autres types de droits, encore minoritaires en France : les droits des femmes. Nommée ministre de la Santé en 1974 par le président nouvellement élu, Valery Giscard d’Estaing, elle est en charge de l’encadrement de l’avortement, alors illégal et puni en France. L’Europe est alors en pleine libération sexuelle, et de nombreuses féministes élèvent la voix pour réclamer le droit des femmes à la disposition de leurs corps, à l’image de Françoise Giroud, secrétaire d’État à la condition féminine. Mais Simone Veil comprend que le Parlement, constitué d’hommes âgés et traditionnalistes, ne sera pas capable d’entendre de tels arguments. Et plus qu’une dépénalisation, elle a l’ambition de légaliser et d’encadrer l’avortement, pour ne plus jamais voir de femmes mourir dans des conditions dégradantes. En effet, dans les années 70, de nombreuses femmes fortunées partent à l’étranger pour se faire avorter, tandis que les plus pauvres trouvent des solutions de fortune très dangereuses. Simone Veil décide de fonder son argumentation sur la santé publique, et non la libération des mœurs, affirmant que loin de vouloir favoriser et généraliser l’avortement, un encadrement de cette pratique permettrait d’accompagner et de conseiller les femmes. Son discours, prononcé il y a 43 ans, est toujours d’une rare lucidité, et d’une très grande humilité : « Je voudrais tout d’abord vous faire partager une conviction de femme – je m’excuse de le faire devant cette Assemblée presque exclusivement composée d’hommes : aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l’avortement. Il suffit d’écouter les femmes. C’est toujours un drame et cela restera toujours un drame. »
Mais face à elle, dans cette assemblée de 490 députés dont 9 femmes, un flot de haine se répand, l’accusant de mettre en pratique « un génocide », « une barbarie encadrée par la loi, comme elle le fut pour les nazis », lui demandant si elle comptait « jeter les embryons au four crématoire ». Simone Veil ne cille pas, ne cède pas, mais elle en restera profondément marquée, même si elle admet que les députés ne faisaient peut-être pas directement référence à son histoire. Quoi qu’il en soit, après trois jours et deux nuits de débat, sa loi est adoptée, et Simone Veil devient un symbole de féminisme, d’humanisme, et de dignité politique, face aux bassesses de certains élus.
Carrière européenne
Après ce coup d’éclat, Valérie Giscard d’Estaing lui demande de conduire la liste de centre droit (UDF) aux premières élections européennes, en 1979. Non seulement elle est élue députée, mais surtout, elle accède à la présidence du Parlement européen lors du troisième tour des élections du 17 juin 1979. Elle est non seulement la première femme à occuper ce poste (une autre française, Nicole Fontaine, l’occupera de 1999 à 2002), mais elle est aussi la première à être élue depuis que les citoyens européens ont été appelés à voter. C’est que Simone Veil, encore une fois, incarne des valeurs précieuses pour les institutions européennes. Elle affirme que dès la fin de la guerre, elle savait qu’il faudrait se réconcilier, véritablement, durablement, avec l’Allemagne, pour ne pas revivre l’horreur du conflit. Elle affirme ainsi : « Se fixant de grandes ambitions, l’Europe pourra faire entendre sa voix et défendre des valeurs fortes : la paix, la défense des droits de l’homme, davantage de solidarité entre les riches et les pauvres. L’Europe, c’est le grand dessein du XXIème siècle »
Si elle n’est pas très à l’aise avec les langues étrangères, et s’appuie surtout sur le moteur franco-allemand, ce qui lui vaut des reproches de la part de plusieurs pays européens, Simone Veil contribue surtout à incarner les institutions européennes dans l’esprit de nombreux citoyens. En effet, son combat pour plus de justice sociale et d’égalité en ont déjà fait une personnalité appréciée, au-delà des clivages politiques. Son premier mandat ne sera pas reconduit, mais elle reste députée européenne jusqu’en 1993, date à laquelle son ami Balladur la nomme ministre d’État chargée de la Santé, des Affaires sociales et de la Ville. Au Parlement européen, Simone Veil avait travaillé dans de nombreuses commissions : relations avec les pays ACP (Afrique, Caraïbe, Pacifique), environnement et santé, affaires étrangères, sécurité, droits de l’Homme… Elle oeuvra toujours avec discrétion, avec sérieux, avec passion. « Quand je regarde ces soixante dernières années, l’Europe c’est ce que l’on a fait de mieux. » déclarait-elle d’ailleurs en 2008.
Une femme de valeurs
Ce qui caractérise Simone Veil, ce sont des valeurs, défendues avec fougue, souvent très en avance sur leur temps. Valeurs de paix, besoin de paix, après avoir échappé à l’horreur. Valeurs de droits, valeurs humanistes qui soutient que les humains, qu’ils soient homme ou femme, prisonniers ou libres, riches ou pauvres, ont le droit à la dignité et à la sécurité. Valeurs européennes, comme le salut, la solution, la nécessité pour avancer, pour construire sur les ruines des civilisations passées. Valeurs politiques, loyauté et abnégation de sa personne au service des citoyens. Valeurs environnementales, enfin, dès la fin des années 1990, avec l’organisation du sommet de Rio et la fermeté face aux industries. Toutes ces valeurs qui servent en fait à laisser un monde un peu plus juste et un peu plus sain aux générations futures.
En 1979, Valery Giscard d’Estain disait amicalement à Simone Veil : « Votre sourire nous manquera. » A nous aussi, citoyens européens, femmes, hommes, son sourire nous manquera. Pour nous et ceux qui viendront, merci.
Quelques réactions :
Hommage à Simone Veil grande Présidente @europarl_FR,conscience de l’UE, figure de la lutte contre antisémitisme,défenseur droits des femmes pic.twitter.com/atIRjy7jro
— EP President Tajani (@EP_President) 30 juin 2017
Le décès de Simone #Veil m’attriste. Elle a vécu les déchirements de l’Europe dans sa chair. Elle a contribué à bâtir un continent de paix pic.twitter.com/LldV4PFZvS
— Jean-Claude Juncker (@JunckerEU) 30 juin 2017
Simone Veil, grande figure libérale et icône des droits des femmes nous a quittés. D’un courage exceptionnel, nous la regretterons beaucoup.
— Guy Verhofstadt (@GuyVerhofstadt) 30 juin 2017
“L’Europe m’a réconcilié avec le XX ème siècle” Simone Veil pic.twitter.com/4RUoxynlSJ
— François Beaudonnet (@beaudonnet) 30 juin 2017
[Archive] Le 17 juillet 1979, Simone Veil est élue présidente du PE 👉 https://t.co/VH2k06Qgwj #JourneeInternationaleDesDroitsDesFemmes pic.twitter.com/EsFTq0qwQc
— CommissionEuropéenne (@UEfrance) 8 mars 2017