Divisée depuis 44 ans, Chypre connaît coup-sur-coup deux élections importantes en janvier 2018. Même si les négociations pourraient reprendre par la suite, de nombreux obstacles et désaccords hypothèquent toute probabilité d’une réunification rapide.
Les milliers de touristes qui visitent chaque été Chypre et profitent de ses plages ensoleillées et de sa culture au carrefour des civilisations peuvent admirer depuis le hublot de leurs avions les montages et les champs d’oliviers de l’île. Les observateurs les plus attentifs apercevront peut-être également quelques barbelés et même des pick-up siglés « UN » qui viennent un peu assombrir le tableau idyllique de l’île d’Aphrodite.
Car outre ses multiples atouts touristiques (et fiscaux), Chypre est depuis plus de 44 ans le théâtre d’un conflit géopolitique gelé qui la coupe en deux. Au sud, la République de Chypre est membre de l’Union européenne depuis 2004 et reconnue par l’ensemble de la communauté internationale à l’exception de la Turquie. Ses 850 000 habitants sont très majoritairement chrétiens et parle le grec.
Deux Chypres
La partie nord de l’île a déclaré unilatéralement son indépendance en 1983 sous le nom de République turque de Chypre du Nord (RTCN). Reconnue seulement par la Turquie, cette entité qui s’étend sur 36% de l’île est peuplée par près de 300 000 habitants essentiellement musulmans et de langue turque. Ces deux entités se partagent une même capitale, Nicosie, coupée en deux – comme le reste de l’île – par une « ligne verte » étroitement surveillée par les Casques bleus de la UNFICYP depuis 1964.
Si aucun coup de feu n’a été tiré depuis des années, cette partition est le résultat de douloureux événements. Alors que l’île obtient son indépendance des Britanniques en 1960, elle connaît rapidement une montée des tensions intercommunautaires du fait de nombreux désaccords politiques. À partir de 1963, les deux communautés doivent vivre dans des villages séparés dispersés partout dans l’île.
En 1974, le régime dictatorial des Colonels, au pouvoir en Grèce, tente d’orchestrer un coup d’État à Chypre. La Turquie en profite pour envahir le Nord de l’île, provoquant des transferts de population massifs. C’est cette ligne de front de 1974 qui matérialise encore aujourd’hui la partition de l’île.
Anastasiádis grand favori
En 2018, c’est donc une île divisée qui se rend aux urnes. Le 7 janvier dernier, ce sont d’abord les électeurs de RTCN qui ont renouvelé leur parlement. Dans un scrutin marqué par une abstention croissante (33%), ce sont les partis nationalistes, hostiles à une réunification, qui ont obtenu la majorité des sièges, mettant en difficulté le Président pro-pourparlers, Mustafa Akıncı.
La République de Chypre est encore en pleine campagne électorale alors que le premier tour de l’élection présidentielle aura lieu le 28 janvier. Le Président sortant, Níkos Anastasiádis, est le grand favori des sondages. Favorable à des négociations et représentant le Rassemblement démocrate (DISY), il devrait affronter au second tour soit Stávros Malás, candidat communiste de l’AKEL très favorable aux négociations, ou Nikólas Papadópoulos (DIKO) qui défend des positions plus dures. À moins que ce scrutin ne soit arbitré par Chrístos Chrístou, du parti d’extrême-droite ELAM.
Touchée par une grave crise bancaire en 2013 dont elle s’est progressivement remise, la République de Chypre possède un niveau de vie tout de même bien supérieur à la partie Nord de l’île, qui vit sous perfusion d’Ankara. Isolée diplomatiquement, minée par la corruption, la RTCN reste la chasse gardée de la Turquie qui y déploie encore plus de 40 000 soldats.
L’écart de développement, la perspective d’adhésion du Sud à l’Union européenne autant que la fatigue de la mainmise d’Ankara avait pourtant provoqué d’importantes manifestations dans le Nord en 2003. Mais depuis, les échecs répétés des cycles de négociations menées par l’ONU ont fait retomber les espoirs.
La Turquie, maître du jeu
Car les désaccords entre les deux entités ne manquent pas. Les droits de propriété des populations ayant fui en 1974, la démilitarisation de l’île ainsi que la recherche d’un subtil équilibre entre respect des droits de la minorité turque et capacité à prendre des décisions au sein d’une entité fédérale commune sont autant de sujets épineux qui ont toujours fait échouer les négociations, y compris les toutes dernières à l’été 2017.
Depuis 2003, la situation s’est tout de même améliorée : des points de passage ont été ouverts entre les deux zones et l’Union européenne tente de faciliter le commerce intra-chypriote et finance des programmes pour renforcer la confiance entre les deux communautés (déminage, protection du patrimoine notamment). Mais l’essentiel est ailleurs.
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C’est encore aujourd’hui la Turquie qui détient la clé de la solution à Chypre. Depuis 2002 et l’arrivée au pouvoir de l’AKP, Ankara utilisait l’île comme un élément de négociation sur sa propre adhésion à l’Union européenne. Alors que celle-ci est au point mort, la Turquie n’a aucun intérêt à faciliter la réunification de l’île. Mais comme elle ne souhaite pas que la RTCN passe pour le seul partisan du statu-quo, la Turquie continue de soutenir les négociations et laisse pourrir la situation. Les pick-up des Nations unies risquent de continuer à patrouiller longtemps.