Que s’est-il passé en Europe cette semaine ? (12.03 – 18.03)

Louis Crosnier de Briant

Vladimir Poutine remporte un quatrième mandat à l’issue d’une élection sans saveur et sans suspense, Russie et Occident s’opposent sur une affaire aux relents de guerre froide, les Premiers ministres slovaques et slovènes démissionnent tandis que le Président turc n’en montre pas l’intention et Bruxelles pourrait déclarer la guerre aux géants du numérique.

RUSSIE : La démocratie se joue à plusieurs, et à la fin, c’est Poutine qui gagne…

108 968 869 électeurs étaient appelés aux urnes ce dimanche 18 mars en Russie, et ont confortablement réélu Vladimir Poutine pour un quatrième mandat présidentiel. Avec un score d’environ 76,66%, ce dernier fait même 13 points de mieux qu’en 2012. La participation, le seul véritable enjeu du scrutin, s’élevait à 67,47%, contre 65,3% en 2012 selon la Commission électorale. Le candidat communiste, dont le résultat aurait pu représenter un avertissement pour le pouvoir, n’obtient que 11,8% des voix, soit très en deçà de son homologue de 2012. Aucun candidat ne menaçait vraiment le Kremlin depuis qu’Alexeï Navalny, le plus médiatique de ses opposants, avait été empêché de participer au scrutin en raison de condamnations pénales qu’il conteste. Vladimir Poutine s’est à peine embarrassé de faire campagne et n’a pas donné de programme économique précis. Même les 2725 fraudes et irrégularités, allant du bourrage d’urnes aux votes multiples, constatées par l’ONG Golos tout au long de la journée ne devraient pas entacher son triomphe, car les manifestations massives de 2011-2012 étaient justifiées par une fraude électorale encore plus importante. Le Président russe est ainsi assuré de rester au pouvoir jusqu’en 2024, 25 ans après sa désignation comme successeur par Boris Eltsine.

Lire aussi >>> Election russe : l’opposition existe-t-elle ?

RUSSIE : regain des tensions entre Russes et Occidentaux

La Russie a été accusée cette semaine par le Royaume-Uni de la tentative d’assassinat sur le sol britannique de l’ancien agent double Sergueï Skripal, russo-britannique, et de sa fille Youlia, tous deux dans le coma. La Première ministre britannique Theresa May a estimé que le poison utilisé accusait directement le Kremlin, qui aurait soit commandité l’attaque, soit perdu le contrôle de ses armes. Theresa May a depuis annoncé l’expulsion de 23 diplomates russes du territoire, la suspension des contacts bilatéraux avec la Russie, une nouvelle loi contre les « activités d’État hostiles » ainsi que l’absence d’officiels et des membres de la famille royale à la Coupe du monde de football en Russie. D’autres sanctions sur les actifs d’oligarques russes au Royaume-Uni pourraient suivre. Le Kremlin se défend en évoquant « un numéro de cirque » et a déclaré avoir ouvert une enquête pour « tentative d’assassinat » de Youlia. Moscou a également annoncé l’expulsion en représailles de 23 diplomates britanniques et la fermeture des offices du British Council. L’affaire a en tout cas rythmé la fin de la campagne présidentielle russe, jugée particulièrement atone.

SLOVAQUIE : le Premier Ministre démissionne après l’assassinat d’un journaliste

Le Premier ministre slovaque Robert Fico a annoncé sa démission mercredi 14 mars suite au meurtre du journaliste Jan Kuciak et de sa fiancée Marina Kusnirova. Ce dernier enquêtait sur les liens présumés entre des entrepreneurs italiens liés à la mafia calabraise et des politiciens slovaques, pour certains proches du Premier ministre. La propre assistante du Premier ministre, Maria Troskova, est notamment soupçonnée de collusion avec la mafia. Le vice premier-ministre Peter Pellegrini a néanmoins été nommé successeur par Robert Fico et la coalition au pouvoir devrait être reconduite. Mais la démission de Robert Fico n’a pas apaisé la contestation populaire, qui a poussé 20 000 manifestants vendredi 16 mars à Bratislava à réclamer des élections anticipées ainsi qu’une enquête indépendante sur l’assassinat de Jan Kuciak. L’opposition craint en particulier l’installation d’un « modèle polonais » en Slovaquie, car Robert Fico, toujours président de son parti, pourrait continuer à conseiller le Premier ministre depuis les coulisses.

Lire aussi >>> Changement de stratégie pour la Slovaquie

SLOVENIE : le Premier ministre démissionne après l’invalidation d’un référendum

Le Premier ministre slovène de centre gauche Miro Cerar a présenté sa démission après l’invalidation par la Cour constitutionnelle d’un référendum de septembre 2017 qui avait autorisé la construction d’une nouvelle voie ferrée pour desservir le port de Koper, seul grand port du pays, sur la côte Adriatique. La Cour a pointé l’utilisation lors de la campagne de fonds publics par le gouvernement, pourtant tenu au devoir de neutralité. Les tensions étaient importantes au sein de la coalition avec les conservateurs (SDS) et sociaux-démocrates (SD), mieux placés dans les sondages pour les élections législatives de juin. Le gouvernement affrontait également depuis le début de l’année la grogne des fonctionnaires, qui exigent de bénéficier de la croissance de 5% en 2017 sous la forme de hausses de salaire. Le principal bénéficiaire de cette instabilité pourrait être l’ancien comédien Marjan Sarac, maire d’une petite ville, connu pour ses imitations de personnalités politiques, au programme flou et sans parti, qui fait campagne sur le rejet des élites.

Lire aussi >>> Slovénie : réélection du président sortant Borut Pahor

TURQUIE : Erdogan compromet la sincérité des prochains scrutins

Le Parlement turc a adopté mercredi 14 mars de nouvelles règles électorales dont l’opposition assure qu’elles faciliteront la fraude au profit du Président islamo-conservateur Recep Tayyip Erdogan. Les amendements votés introduisent en effet de nombreux changements : les responsables des bureaux de vote seront nommés par les autorités, les forces de l’ordre pourront intervenir sur les lieux de vote si un électeur se sent lésé et les bulletins de vote non-estampillés par la Commission électorale seront autorisés. Celle-ci a déjà commandé 500 millions d’enveloppes pour trois scrutins alors que le pays ne compte que 55 millions d’électeurs. L’enjeu est de taille pour le pouvoir car les élections législatives et présidentielles de novembre 2019 verront l’application de la réforme de la Constitution validée de justesse par référendum en avril 2017 qui permettrait à Erdogan de rester Président jusqu’en 2029, de gouverner par décret et de garder sa mainmise sur l’institution judiciaire. Très morcelée entre kémalistes laïques, kurdes et nationalistes, l’opposition souhaite pouvoir se regrouper au second tour de la présidentielle face à Erdogan alors que les sondages annoncent un résultat serré.

NUMÉRIQUE – L’Union s’attaque aux géants du Web

Bruxelles devrait présenter mercredi 21 mars deux propositions pour taxer les géants du numérique sur leurs chiffres d’affaires et adapter la fiscalité des entreprises aux nouveaux usages du numérique. La première proposition, la plus médiatique, verrait la création d’un impôt entre 1 et 5% sur les entreprises dont les revenus proviennent d’activités numériques. Seules les compagnies réalisant un chiffre d’affaires supérieur à 750 millions d’euros seraient concernées afin d’épargner les PME et les start-up. Les principales firmes visées seraient les géants américains du Web (Google, Apple, Facebook, Microsoft…) qui pratiquent massivement l’optimisation fiscale : d’après la Commission, seuls 8,5 à 10,1% seulement de leurs profits sont aujourd’hui imposés dans l’UE, contre 20,9 à 23,2% en moyenne pour les entreprises traditionnelles. La seconde proposition, de plus long terme, date de 1975 et a été relancée par les récents scandales d’évasion fiscale : une assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés (ACCIS) à l’échelle européenne. Un seul lieu d’imposition serait alors retenu pour les multinationales qui réalisent leur activité dans plusieurs pays de l’Union, tandis que la taxation se fait actuellement dans le pays où les multinationales ont leur siège. Ce projet éviterait que ces entreprises ne puissent transférer leurs profits vers l’une de leurs filiales situées dans un pays à la législation plus souple, tels que l’Irlande, le Luxembourg, Malte ou les Pays-Bas. L’unanimité des États membres étant néanmoins nécessaire en matière fiscale, il faudra tous les convaincre pour adopter une telle mesure.

Lire aussi >>> L’audiovisuel européen au défis du numérique

Articles recommandés