Maria-Christina parle d’une voix douce et calme, dans un excellent français teinté d’un léger accent. Nous la rencontrons dans les locaux du Think tank EuropaNova, où elle réalise un stage aussi prenant que passionnant. La jeune femme termine son Master 2 à l’Institut d’études européennes, après un parcours pour le moins atypique. Elle quitte la Grèce, son pays natal, à 18 ans, pour rejoindre Nantes et entreprendre des études d’histoire moderne. Elle sort diplômée d’un Master Recherche – mention Très bien – pour lequel elle réalise un mémoire sur l’instrumentalisation de la musique de Cour par Louis XIV. Elle commence alors une carrière d’enseignante en histoire-géographie dans des lycées de la région nantaise. Une expérience qui lui permettra d’aborder des questions de citoyenneté et de démocratie avec des élèves dépolitisés. Après trois ans, Maria tente d’entreprendre une thèse au Québec, projet avorté faute de financements. Elle se tourne alors vers les études internationales, pour apporter son analyse à la situation fragile de l’espace européen, au sein duquel son pays a été longuement stigmatisé.
Eurosorbonne : Bonjour Maria, d’où viens-tu ?
Maria-Christina : Je viens de Grèce. Mon père vient d’Athènes et ma mère de la ville de Volos, en Thessalie. Je suis née et j’ai grandi à Athènes, où j’ai fait ma scolarité primaire et secondaire dans une école franco-hellénique. J’ai commencé très tôt à apprendre le français, en même temps que le grec. Ce qui était marrant c’est que comme j’apprenais l’alphabet grec en même temps que l’alphabet latin, je mélangeais les lettres au début.
Qu’est-ce qui te plaît dans l’Europe ?
C’est ce sentiment d’appartenance à un grand ensemble, au-dessus des pays, dans lequel on peut retrouver des idées culturelles et des valeurs communes. Il y avait des étudiants français qui étudiaient avec nous, et on a beaucoup visité la France. Mon père est venu travailler dès 1998 en France, ma sœur et moi, on venait souvent le voir, et c’était fascinant de voyager au sein de l’Union européenne avec besoin de rien d’autre que d’une pièce d’identité. Si j’ai pu venir faire mes études en France, c’est aussi grâce à ça et je suis tout à fait reconnaissante de pouvoir profiter de cette liberté. Ma vie a été façonnée par cette union.
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Qu’est-ce que tu reproches à l’Europe ?
Tu demandes ça à une Grecque, attention ! (Rires) Ce que je reproche à l’Europe… Je ne peux évidemment pas ne pas parler de ce qui se passe dans mon pays. Le début de la crise je l’ai vécu en étant déjà en France,ça ne faisait que six mois que j’étais arrivée. Ça a été assez difficile de voir son pays se retourner du jour au lendemain, et voir le regard des autres changer vis-à-vis des Grecs. Quand je suis arrivée, qu’on me demandait d’où je venais, et que je répondais “la Grèce”, la première chose qu’on me disait c’était «Oh la Grèce, la démocratie, le berceau de la civilisation, le théâtre etc.» Dès que la crise a commencé, tout de suite c’est devenu «ah tu es grecque, ça se passe mal dans ton pays, vous êtes pauvres, vous ne payez pas d’impôts.» Toute cette mauvaise image que la Grèce a eue assez rapidement, notamment à cause de ce qui a été véhiculé par les médias, m’a directement et personnellement frappée. Alors que depuis toute petite je croyais beaucoup à l’Union européenne, j’ai un petit peu perdu espoir, quand je me suis dit, «ils peuvent mettre un pays sous tutelle du jour au lendemain».
D’autant que ceux qui vont payer, ce sont les nouvelles générations, celles qui ont grandi au sein de l’Union européenne, qui ont grandi avec cet espoir de faire partie d’une grande union où tu peux circuler librement, où tu peux rencontrer des personnes d’autres pays, et ce ne sont ces générations qui ont mis le pays dans une telle situation économique. La Grèce est devenue le mouton noir de l’Europe, et surtout, l’Union européenne a utilisé mon pays comme un exemple : «Si vous vous comportez mal au sein de l’Union européenne, voilà ce qui peut vous arriver». Ce qui m’a vraiment blessée, c’est de me dire qu’on a créé cette union pour éviter une autre guerre mondiale. Et là, sous prétexte qu’un pays est le plus riche – l’Allemagne – il va décider ce qui va se passer dans un pays plus pauvre – la Grèce en l’occurrence. Et cela va presque devenir un conflit bilatéral entre le ministre des Finances grec et son homologue allemand, à l’époque Schäuble, et non une discussion entre les 28 états qui font partie de cet ensemble. C’est uniquement l’Allemagne qui va décider parce que c’est elle qui a le plus d’argent.
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Si tu avais une baguette magique te donnant accès au métier que tu veux, qu’est-ce que tu choisirais ?
Je pense que ce serait travailler à l’ONU à New-York. Je pourrais même aller jusqu’à te dire : ambassadrice des Nations unies pour la Grèce ! L’ONU et l’UNESCO sont deux institutions internationales qui m’ont toujours fait rêver. Très jeune, j’ai compris les avantages de grandir en étant ouverte à d’autres cultures, d’échanger avec les autres. Je tenais une correspondance avec une étudiante française pendant plusieurs années, et je pense que c’est pour ça que j’ai toujours voulu travailler dans une atmosphère internationale. L’UNESCO, parce que je suis intéressée par tout ce qui touche à l’éducation et à la culture. J’ai été prof pendant trois ans, je suis particulièrement sensible à cette question. Et j’ai toujours aimé la culture : j’ai fait du violoncelle, de la danse. C’est un domaine qui n’est pas toujours encouragé, notamment dans des périodes de crise économique comme celle que l’on traverse, pour moi c’est important de soutenir la culture. Concernant l’ONU, c’est une institution qui me fascine, parce qu’elle est historique. Elle est née après une guerre mondiale horrible, c’est indispensable que ce genre d’instance internationale existe. Et c’est la seule qui réunit quasiment tous les pays du monde. Je suis d’abord Grecque, ensuite européenne, mais avec comme but de devenir une citoyenne du monde.
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Dernière question : raconte-moi un moment important, qui t’a marquée.
C’est très difficile, comme question… Je pense au soir où il y a eu un référendum en Grèce, en juillet 2015. Il avait été organisé par Tsípras pour demander aux Grecs s’ils étaient d’accord avec le plan d’austérité proposé par l’Union européenne pour débloquer des fonds. 60% de Grecs ont voté non. Ce n’était pas un référendum contre l’UE, pour sortir de l’Euro ou de l’UE, comme beaucoup de médias l’ont dit. C’était juste : on n’est plus d’accord avec le plan d’austérité. Ce soir-là, j’étais en France, je n’ai pas pu voter, mais je l’ai suivi de près. Quand les résultats sont tombés, j’ai reçu une multitude d’appels et de messages de copains. De personnes proches comme de lointaines connaissances, qui me disaient que c’était merveilleux, que les Grecs, encore une fois, montraient l’exemple, que c’était une véritable résistance à cette Europe austère qui ne nous aide pas à avancer.
J’ai senti une vague d’amour. Et ces amis n’étaient pas forcément grecs ! C’était surtout des Français, des Européens, qui me disaient : «c’est génial ce que vous faites ce soir les Grecs, c’est super, sois fière de ton pays, ils sont descendus en masse dans les rues, ils ont dit non à l’austérité, on peut trouver un autre moyen de battre la crise, c’est génial». Cela m’a envahie d’un sentiment de fierté pour mon pays, sentiment que je n’avais pas ressenti depuis longtemps. Ce soir-là j’ai été heureuse de me dire : «On peut être fiers des Grecs parce qu’ils font de belles choses». Mais en fait, deux jours plus tard le gouvernement grec a fini par signer un plan d’austérité pire que celui qui était proposé avant le référendum. Et du jour au lendemain ça s’effondre. C’était une période de quelques jours qui m’avait beaucoup fait réfléchir et qui m’avait beaucoup marquée.
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