Afrodyta Weselak est une actrice polonaise ayant joué dans le film « Ida », qui a remporté l’Oscar du meilleur film en langue étrangère en 2015. Doctorante à l’Institut de Recherche en Études Théâtrales de l’Université Sorbonne Nouvelle Paris 3, elle commente les derniers succès du cinéma polonais et l’état de la culture polonaise en général
Eurosorbonne : L’année 2018 a été marquée par le grand succès du cinéma polonais, notamment grâce au film « Cold War » qui a reçu entre autres le Prix du cinéma européen pour le meilleur film. De plus, son réalisateur et les deux acteurs principaux ont reçu les prix du cinéma européen dans leurs catégories respectives. L’Union européenne a contribué à la création de ce succès en attribuant des fonds dans le cadre du programme « Europe Créative ». Hier, l’Académie des arts et des sciences du cinéma a dévoilé que « Cold War » était nommé dans trois différentes catégories aux Oscars 2019. Selon toi, à quoi sont dues la réussite et la particularité de ce film ?
Afrodyta Weselak : Le réalisateur de « Cold War », Pawel Pawlikowski, est un artiste illustre sans aucun doute. Ce n’est pas toutefois que son talent qui préjuge du succès de ce film. « Cold War » raconte une histoire d’amour entre deux personnes, un homme et une femme, qui cherchent à être ensemble, malgré la situation politique en Pologne dans les années 40, 50 et 60. Ces deux artistes communiquent par la musique, notamment le jazz et le folklore. Le choix de la musique et l’alchimie entre les comédiens constituent par ailleurs une grande valeur ajoutée du film ! Pawel a mis beaucoup de temps à préparer « Cold War », car il a commencé à y travailler même avant « Ida ». Le spectateur s’en doute parce que chaque scène est parfaitement pensée. Cette histoire est non seulement intéressante du point de vue politique, puisque son intrigue se déroule sous le communisme mais aussi du point de vue culturel car le film reflète très bien la vie dans la campagne polonaise du XXe siècle. En outre, « Cold War » est un grand projet international, ayant eu des parties tournées à Paris et en Croatie. L’aspect artistique de ce film est mis en avant par l’utilisation du noir et blanc.
L’histoire de deux Juives dans les années 1960, retracée dans le film « Ida » également réalisé par Pawel Pawlikowski, a engagé une vive polémique en Pologne. Beata Szydlo, vice-présidente du parti Droit et Justice et à l’époque Première ministre de Pologne, a même dit que ce film transmettait une image négative de la Pologne. Pourquoi suscite-il autant des controverses ? Aborde-il vraiment une problématique socio-politique ?
Je suis sûre que Pawel, en évoquant l’assassinat d’une famille juive par un Polonais, n’avait pas l’intention de propager une image négative de la Pologne ! Les gens qui critiquent ce film pour cette raison le prennent au pied de la lettre. Les relations polono-juives sont très complexes car, durant la Seconde Guerre mondiale, certains Polonais cachaient des Juifs qui étaient par ailleurs leurs amis. La Pologne se caractérisait par le multiculturalisme et la pluralité des religions. C’est évident que, même si Pawel ne voulait pas aborder ce sujet dans le film, la scène de l’assassinat met des Polonais dans une situation délicate d’autant plus que certains Polonais comme mes arrière-grands-parents, bien que Chrétiens, se sont trouvés dans le train à destination d’Auschwitz. Heureusement, ils ont réussi à s’enfuir.
Néanmoins, c’est un autre aspect concernant les Juifs qui doit nous intéresser davantage. En effet, Ida est une novice qui découvre que ses parents étaient Juifs mais qu’après leurs morts elle a été placée dans une cloître chrétienne. Ce film cherche à nous proposer de réfléchir à l’héritage que chacun a en lui de différentes religions et nationalités, ce qui éveille des questions identitaires.
Pourrais-tu dévoiler à Eurosorbonne et ses lecteurs les spécificités du travail de Pawel Pawlikowski ?
Dans « Ida » j’ai joué le personnage de Marysia, une novice et amie d’Ida. Étant actrice professionnelle, je peux dire que les méthodes de travail de Pawel Pawlikowski sont très originales. Il est très concentré sur les détails. Toute scène, même de transition entre deux scènes plus importantes, est l’objet d’un grand nombre de prises permettant un résultat parfait. Je me souviens d’une scène où Ida doit soulever un couvercle, le déplacer et tourner son regard vers ses deux amies, qui a été tournée pendant deux heures alors que le temps initial ne prévoyait que 40 minutes. Pawel a décidé de faire une petite pause quand Ida ne pouvait plus toucher le couvercle, tellement qu’il était chaud ! De plus, quand il y a autant de prises, les modifications de scénario sont inévitables. Dans le cas de « Ida » le scénario changeait tous les jours et toute l’équipe était engagée dans la création du film. Ce n’était pas que Pawel n’était pas sûr de son travail, mais il était aussi toujours prêt à prendre en considération nos propositions. Les acteurs ne peuvent pas se plaindre du manque de défis sur le plan et il m’est même arrivé d’obtenir une scène la veille de la jouer ! C’était une grande aventure, qui m’a beaucoup épanoui.
« Cold War » n’est pas le film le plus regardé en Pologne ces derniers mois. « Kler » (« Le Clergé ») de Wojciech Smarzowski, touchant les sujets tabous comme le problème de la pédophilie dans l’Église, échappe à toute concurrence en attirant presque un million de spectateurs le weekend de sa sortie. Présage-t-il une révolution dans la mentalité des Polonais, souvent qualifiés des catholiques fervents ?
Ça ne m’étonne pas qu’il ait un tel succès commercial. La religion catholique a certes une longue tradition et a joué un rôle important dans notre histoire, mais cela ne veut pas dire que la Pologne échappe aux tendances athéistes. En Pologne, les athéistes sont majoritairement les personnes qui étaient en quelque sorte obligés d’aller aux messes quand ils étaient petits mais qui décident de ne plus y participer en raison de la montée du poids de l’Église dans les questions purement politiques. Le fait que l’Église s’immisce sur les sujets sexuels affaiblit encore plus le lien avec la religion. L’imperfection de l’Église en Pologne démontrée dans le film « Kler » confortent les Polonais dans leur conviction.
Dans le classement de « Reporters sans frontières », la Pologne a été placée à la 58e position sur 180 pays, chutant de 4 places par rapport à l’année 2017. Faut-il également s’inquiéter de l’avenir de la culture en général ?
À mon avis il faut toujours se méfier de la catégorisation. Néanmoins, c’est vrai que les médias publics perdent la confiance des Polonais. Cela explique pourquoi le débat s’est déplacé sur les réseaux sociaux. Depuis quelques années, les Polonais manifestent leur opinion sur les sujets socio-politiques qui les préoccupent en changeant souvent les filtres de leurs photos de profil sur Facebook. C’est un phénomène que je vois rarement en France ! Sur le plan culturel, on observe l’augmentation des subventions sur les projets traitant les sujets historiques et patriotiques. Cela pourrait paraître normal puisque la Pologne a célébré les 100 ans du recouvrement de l’indépendance en 2018. Cependant, en n’évoquant que l’histoire ou de belles victoires, on ne parle pas vraiment d’une Pologne libre d’aujourd’hui. Cela risque d’appauvrir la culture. Je crois vraiment que le film « Cold War » donnera un nouvel élan à la culture polonaise.
En 2017 tu as eu de la chance d’effectuer un stage à la Comédie-Française. As-tu ressenti des différences dans les méthodes de travail entre le milieu théâtral polonais et français ?
A la Comédie-Française, les acteurs commencent à jouer juste après la première lecture du texte. En Pologne, la lecture, la discussion sur le texte et sur les possibles interprétations durent parfois trois semaines. En revanche, à la Comédie-Française, les comédiens jouaient les actes entiers sans interruption au bout de trois semaines. Si, dans le théâtre polonais, les comédiens commencent à construire le résultat final du spectacle après avoir fini les lectures, ceux de la Comédie-Française peuvent modifier la façon de jouer même après toutes les répétitions. Ce système favorise une meilleure incarnation du personnage joué avant la première. Grâce à mon expérience avec des metteurs en scène français, comme Jacques Lassalle dans « Le roi Lear » où j’ai joué Cordélia ou Ivan Alexandre dans « Le Cid » où j’ai joué Infante, j’ai remarqué que les Français mettaient plus l’accent sur le côté technique du théâtre. Par ailleurs, cette approche traitant le jeu comme un vrai métier, diffère totalement avec le concept du travail des Russes qui peuvent passer quelques semaines à parler de l’état d’âme, tout comme dans les ouvrages de Fiodor Dostoïevski ! En conséquence, il est possible de deviner les origines du réalisateur par la façon dont il travaille. Les Tchèques travaillent en équipe sur la conscience du corps dans l’espace et les interactions entre eux.
Étant donné que tu as décidé il y a un an de suspendre ta carrière d’actrice, est-il envisageable pour toi de revenir vers le théâtre et le cinéma ?
Oui, j’ai arrêté de jouer dans le théâtre en Pologne en raison de quelques situations désagréables survenues dans ma carrière. Cela ne veut pas dire que j’ai abandonné l’activité artistique. Bien au contraire ! Étant violoncelliste, j’ai établi un groupe de musique en Pologne. Récemment, j’ai reçu un rôle dans un projet international dont le scénario a été écrit par Madame Michel Rakotoson, une écrivaine malgache ayant reçu en 2012 la Grande médaille de la Francophonie décernée par l’Académie française. Cela sera une grande aventure et un plaisir incomparable de participer dans cette pièce qui sera montée en Pologne, en France et à Madagascar. J’envisage également de publier l’année prochaine mon roman surréaliste Phibiscus Panstwa Chonert. Mon amie Karolina Lizurej, une peintre, doctorante et lauréat du prix du Premier Ministre pour les jeunes artistes, est en train de préparer les images qui vont accompagner le texte du roman.
Crédit photo : Arek Dec