Les sanctions économiques face à la Russie, gare à l’effet boomerang ?

Article de Zacharie Schaerlinger.

Les sanctions économiques face à la Russie, gare à l’effet boomerang ?

Suite à l’invasion de l’Ukraine par les forces armées de la Fédération de Russie sur ordre de Vladimir Poutine, les représailles économiques occidentales se coordonnent. Ces dernières évitent pour l’instant l’engagement de troupes en Ukraine, les sanctions ont donc pour principal objectif l’asphyxie de l’économie russe dans son ensemble, économie dont l’Union européenne est en partie dépendante.

 

Les sanctions, une logique comptable de longue haleine

Les mesures prises par Washington sont de deux ordres. D’une part, elles visent les secteurs financiers et le complexe militaro-industriel. Washington a établi une liste de banques et d’institutions à sanctionner, c’est le cas par exemple des dix plus grandes institutions russes qui détiennent près de 80% des actifs de la Russie. La stratégie est de priver ces institutions de l’accès au marché des capitaux en les coupants de financements étrangers et en restreignant l’accès au dollar, principale monnaie utilisée pour l’investissement et pour la facturation des échanges internationaux. D’autres mesures visent à empêcher la Russie d’acquérir des composants de haute-technologies fabriqués en partie avec des pièces américaines. Cette stratégie de long terme est destinée à renchérir mécaniquement le coût de la guerre pour la Russie mais les résultats escomptés mettront du temps à produire leurs effets.

Du côté de l’Europe, les mesures visent aussi l’économie russe, mais pas seulement. D’abord, elle vise à restreindre les exportations européennes vers la Russie comme les biens à double usage (civil et militaire) et des technologies fondamentales (semi-conducteurs, informatique, électronique). Ce plan comprend aussi un aspect financier, dans la mesure où il s’agit de restreindre l’accès aux capitaux pour Moscou en l’empêchant de refinancer la dette de l’État, la banque centrale russe étant implicitement visée. Cette stratégie peut avoir plusieurs conséquences : elle accélère la fuite des capitaux et la dépréciation du rouble, frappant à la fois l’économie mais aussi les consommateurs russes qui voient leur pouvoir d’achat s’effondrer. Ensuite, le plan européen vise les oligarques russes, petite caste proche de Poutine, qui détiennent des parts importantes dans l’économie russe mais aussi à l’étranger comme Roman Abramovitch, propriétaire du club de foot de Chelsea. En ce sens, le Royaume-Uni est allé beaucoup plus loin que ses partenaires du continent, Boris Johnson ayant promis l’adoption d’une loi sur le “crime économique” en obligeant les sociétés achetant des biens immobiliers à Londres à révéler le nom de leurs actionnaires, cela afin de lutter contre le blanchiment d’argent orchestré par les oligarques russes. D’autres sanctions concernent directement des proches de Poutine, c’est le cas entre autres de Denis Bortnikov président adjoint de la banque russe VTB et fils d’Alexander Bortnikov, du chef des services de sécurité, le FSB.

Toutefois, pour certains européens, ces mesures ne sont pas suffisamment fortes. Sous couvert de maintenir une porte ouverte au dialogue, une partie des États membres de l’Union ont émis des réserves quant à l’exclusion de la Russie du réseau interbancaire SWIFT, considérée comme une “bombe atomique”. L’Allemagne étant partisane d’une “approche gradué” pour ne pas subir un contrecoup du prix de l’énergie en période d’inflation, cela se traduit par une baisse du pouvoir d’achat de ses citoyens. Le président Polonais Mateusz Morawiecki appelait lui à cesser “l’égoïsme en béton” de la part de certains pays occidentaux, l’Allemagne étant implicitement visée à cause de ses réticences sur l’exclusion de la Russie de SWIFT. Ce dernier permettant des échanges et paiements interbancaires mondiaux, notamment l’achat de gaz russe, dont l’Allemagne est fortement dépendante.

 

L’énergie, un sujet tabou en période d’inflation

S’il y a un secteur qui est plus difficilement sanctionnable économiquement, c’est bien celui de l’énergie. La Russie est le premier partenaire commercial en matière énergétique de l’Union, ces 6 dernières années elle a exporté près de 40% de la consommation européenne.

Le principal problème pour l’Allemagne est son utilisation du gaz mais aussi du charbon russe, qu’elle importe à près de 50% de Russie. Cette dépendance énergétique de la Russie est partagée par bon nombre de pays européens. Pour Thierry Bros, professeur à Sciences Po, les mètres cubes de gaz à destination de l’Europe acheminés par les gazoducs russes sont passés de 13 milliards à 8 milliards de mètres cubes au mois de janvier. Pour lui “la Russie utilise le gaz comme une arme au lieu de l’utiliser comme une marchandise”. La France n’est pas aussi dépendante de la Russie que ses partenaires européens en matière de gaz, son premier fournisseur étant la Norvège avec une part de 36% d’importations en 2020.

Pour amoindrir ces dépendances, les États européens semblent miser sur du GNL, du gaz naturel liquéfié acheminé par cargos spécialisés, les principaux fournisseurs étant les États-Unis, le Qatar, le Nigeria ou l’Algérie. Cette technologie basée sur la fracturation hydraulique pour l’extraction du gaz de schiste, est une méthode interdite en France à cause de ses effets dommageables pour l’environnement. Le GNL est ensuite re-gazéifié avec des infrastructures complexes comme des terminaux méthaniers qui sont au nombre de 4 en France, respectivement 1 en Loire Atlantique, 1 dans le Nord et 2 autres dans les Bouches du Rhône. De plus, un manque d’investissement dans ces terminaux, couplé à un marché en forte demande va renchérir le coût d’achat pour le consommateur européen. Toutefois, ces considérations économiques peuvent être occultées par l’intensité de la guerre en Ukraine et l’effet d’unité suscité en Europe. Preuve que les choses avancent extrêmement vite, le Chancelier Olaf Scholz s’est dit favorable à une “restriction ciblée” de l’utilisation de SWIFT par les banques russes. Cette mesure va rendre les pays importateurs de gaz Russe incapables d’assurer leurs engagements financiers et donc un défaut de paiement provoquant un arrêt des échanges à moyen terme, les stocks de gaz actuels en Europe permettant de passer cet hiver selon les experts.

 

On prête à Clausewitz la fameuse expression : “la guerre, c’est la poursuite de la politique par d’autres moyens”. Laissez-moi vous en donner une autre, qu’on prête également à Clausewitz selon René Girard : “entre le commerce et la guerre, la différence n’est pas de nature mais de degré”. Reste à savoir jusqu’à quel degré d’intensité les opinions publiques russe, occidentale et mondiale seront prêtes à suivre en acceptant d’en payer le prix.

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