Articles par Marjorie Cioco, Arwen Samb, Laeticia Rambour Mertens et Mona Jansen
Albanie et Italie : suspension de l’accord migratoire, encore une division européenne ?
Le 6 novembre dernier, la première ministre italienne Giorgia Meloni et le premier ministre albanais Edi Rama ont signé un protocole visant à élaborer deux centres situés dans le nord de l’Albanie pour évaluer et traiter les demandes d’asile. Dans ce cas, les structures seraient entièrement financées, construites et gérées par l’Italie et gardées par les juridictions italiennes. L’Italie conserverait donc la responsabilité de l’expulsion d’une personne si sa demande d’asile n’était pas acceptée. Les centres pourraient également accueillir 39000 migrants par an selon le gouvernement italien.
Cependant, la Cour constitutionnelle albanaise a suspendu la ratification de l’accord, qui était prévue le 14 décembre. En effet, l’accord est controversé depuis sa mise en place. L’opposition, le parti démocrate d’Albanie, a fait recours car selon eux, le protocole est une violation à la constitution et aux conventions internationales. De plus, ils estiment qu’en plus de violer les traités internationaux, l’accord amène l’Albanie à renoncer à sa souveraineté sur la partie du territoire accueillant les centres de détention. En Italie également, l’opposition est contre le protocole, pour les mêmes raisons que l’opposition albanaise.
Par ailleurs, début novembre, le Conseil de l’Europe critiquait déjà l’accord estimant que même s’il y a volonté de résoudre les problèmes migratoires, cela amène à s’emparer trop rapidement du problème et donc de ne pas le gérer correctement et sérieusement. La Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe Dunja Mijatovic s’exprimait en disant que « régime d’asile extraterritorial se caractérise par de nombreuses ambiguïtés légales », risquant donc de traiter différemment les demandes d’asile en Italie et en Albanie, et amenant peut être à des traitements de faveur.
Les divergences concernant cet accord augmentent les divisions au sein des politiques migratoires en Europe, qui sont déjà nombreuses. Pour l’instant, la ratification est suspendue mais la Cour a jusqu’au 6 mars pour formuler un arrêt.
Discussions sur une ouverture de négociations d’adhésion : L’Ukraine, la Moldavie et les Balkans
Ce jeudi, 14 décembre s’est réuni le Conseil européen avec les 27 dirigeants de l’Union européenne. Suite à une recommandation de la Commission pour une candidature d’adhésion à l’Union européenne, le Conseil européen a validé l’ouverture des négociations sur une adhésion de l’Ukraine à l’Union. Il s’agit d’une bonne nouvelle pour l’Ukraine, notamment en vue des derniers échecs de cet automne de la contre-offensive de l’armée ukrainienne. La Hongrie ne s’est pas montrée favorable à une possible candidature de l’Ukraine : Viktor Orbán, le Premier ministre hongrois, a quitté la salle au moment du vote pour ne pas avoir à se servir de son droit de véto.
Même si la Hongrie n’est pas pour l’adhésion de l’Ukraine à l’UE, Viktor Orbán se prononce pour une adhésion des Balkans. Pour la Hongrie, une adhésion des Balkans signifierait un élargissement de son influence ce qui lui permettrait de devenir une «puissance régionale» comme la formulé Le Monde. L’Autriche s’aligne avec la Hongrie pour l’adhésion de l’Albanie, de la Bosnie-Herzégovine, du Kosovo, de la Macédoine du Nord, du Monténégro et de la Serbie. Selon un diplomate européen cité dans le Monde, « Faire entrer les Balkans occidentaux dans l’Union européenne est une véritable obsession autrichienne ». L’enjeu serait une stabilisation politique des Balkans. Selon un sondage de l’ECFR (Conseil européen pour les relations extérieures), la population autrichienne n’est cependant pas du même avis. Enfin, des négociations ont été ouvertes par rapport à l’adhésion de la Moldavie et le statut de candidat a été donné à la Géorgie, acte symbolique contre Vladimir Poutine qui exerce une pression sur ce pays. En fonction des résultats des futures négociations, l’Union européenne pourrait connaître un élargissement à l’est.
Volodymyr Zelensky à la Maison Blanche : le président ukrainien échoue à débloquer une enveloppe financière en soutien à l’Ukraine
Ce mardi 12 décembre, Volodymyr Zelensky a été invité par le président américain Joe Biden à la Maison Blanche, pour discuter des « besoins urgents de l’Ukraine » et des soutiens militaires à Kiev. L’aide financière pour l’Ukraine est cependant mise à mal, car l’enveloppe d’une soixantaine de milliards de dollars réclamée par Joe Biden, a été bloquée par le Congrès américain.
Avec plus de 110 milliards de dollars livrés à l’Ukraine, les États-Unis sont à ce jour le pays qui a fourni le plus de soutien financier à l’Ukraine, depuis l’invasion russe en février 2022. Pourtant, les espoirs du président ukrainien pour le déblocage d’une nouvelle aide américaine s’envolent peu à peu. Ce dimanche dernier, le Congrès américain s’est prononcé contre l’envoi d’une nouvelle enveloppe financière à destination de l’Ukraine. Une décision due à l’opposition des sénateurs républicains, qui veulent privilégier un durcissement de la politique migratoire avec la frontière mexicaine. Cette enveloppe prévoyait au total 105 milliards de dollars, dont 61 milliards destinés à l’Ukraine, mais aussi d’importants financements pour Israël, l’aide humanitaire à Gaza, Taïwan, ou encore pour la gestion de la frontière américano-mexicaine et les stocks de munitions du Pentagone.
Le refus de cette aide essentielle a quelque peu inquiété l’Ukraine, qui fait face à une situation critique, alors que les attaques et offensives russes se multiplient à la fois sur le front militaire et cybernétique. En effet, l’aide en provenance des États-Unis mais plus globalement l’aide internationale, a connu une baisse générale par rapport à 2022. L’IfW Kiel, un institut de recherche économique allemand, a observé entre août et octobre 2023 une « baisse de près de 90 % par rapport à la même période en 2022 » pour l’aide internationale promise à l’Ukraine. Cette baisse de soutien financier à l’Ukraine, s’explique majoritairement par le conflit entre Israël et Gaza, qui a conduit les États-Unis mais aussi certains alliés de l’Union européenne à faire passer en priorité leur soutien à Israël.
À ce titre, Volodymyr Zelensky a montré son regret quant à la diminution de l’aide financière, militaire et humanitaire à l’Ukraine, depuis le début du conflit israélo-palestinien. En plaidant la cause de l’Ukraine, le président ukrainien a déclaré que « le blocage de nouveaux fonds serait “le plus beau cadeau” offert au président russe Vladimir Poutine ».
L’Ukraine ne pâtit pas uniquement du blocage de l’aide de fonds américains. Ce jeudi soir, le premier ministre hongrois Viktor Orban a à son tour décidé de bloquer une nouvelle aide de 50 milliards d’euros pour l’Ukraine, lors d’une réunion du Conseil européen.
European Media Freedom Act : Le renforcement de la transparence, de la pluralité et de l’indépendance des médias
Ce vendredi 15 décembre, le Parlement et le Conseil européen ont trouvé un accord pour instituer un cadre commun de régulation des services médiatiques dans les marchés nationaux. Le projet a été proposé en septembre 2022 afin de répondre aux inquiétudes face à la politisation des médias et à un manque de transparence dans leur mode de fonctionnement et leurs financements. Cela représente un réel danger pour l’Europe, alors que les principes de la liberté et du pluralisme de la presse sont fixés dans la charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne (UE) et par la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
L’un des enjeux est de conserver un équilibre entre l’harmonisation de l’application de ces droits et le respect de particularités nationales. L’European Media Freedom Act (EMFA) engage donc la responsabilité des Etats membres sur plusieurs points. Ils se chargeront notamment de mettre en place un organe indépendant chargé de contrôler l’effectivité des mesures mises en place.
“Les entreprises médiatiques ne peuvent pas être traitées comme toute autre entreprise”, disait Ursula von der Leyen, présidente de la Commission Européenne, en 2021. “Leur indépendance est essentielle”.
Ainsi le EMFA permettra d’abord de protéger les journalistes, en interdisant aux Etats membres d’utiliser sur eux des logiciels de surveillance et de les obliger à révéler leurs sources. Les gouvernements nationaux ne pourront déroger à cette règle qu’au cas par cas, sous certaines conditions. Les tout sans ôter aux journalistes les droits d’être informé de leur poursuite et de se défendre judiciairement. Les États membres n’auront plus le droit d’interférer dans les décisions éditoriales des médias.
En revanche, ils seront tenus de financer certains services médiatiques afin de leur garantir à la fois une sécurité économique (durabilité et prévisibilité) et l’indépendance. Leurs critères de financement devront viser une pluralité médiatique et être rendus publics. L’UE investit également 7.5 millions d’euros dans des partenariats journalistiques, afin de soutenir la résilience et la collaboration des médias au niveau continental.
L’EMFA contient d’autres mesures en faveur de la transparence de l’information, concernant notamment la méthodologie de mesure de l’audience. Mais il met surtout l’accent sur la transparence vis-à-vis des propriétaires des médias. En effet, toute entreprise médiatique devra publier ses propriétaires directs et indirects ainsi que les fonds qu’ils perçoivent de la part des Etats, notamment hors UE. Enfin les chefs des entreprises médiatiques devront être choisis par des procédures claires et non-discriminatoires.
Dans le monde virtuel, les médias supprimés des “très grandes plateformes en ligne” (VLOP, Very Large Online Platforms) sur la base de la non conformité desdits médias avec leurs conditions générales d’utilisation, auront désormais la possibilité de leur répondre dans un délai de 24 heures. Ils pourront également demander l’opinion, non contraignante, du nouveau Bord of Media Service. Cet organisme permettra de faciliter le dialogue entre VLOP, médias et société civile. Composé d’autorités médiatiques nationales, il aidera aussi la Commission européenne à proposer des lignes directrices à la politique médiatique.
La prochaine étape aura lieu au printemps 2024, lorsque le projet sera soumis au Parlement et au Conseil afin d’être adopté formellement. Il représenterait une avancée majeure pour contrer la désinformation, enjeu crucial dans un contexte de montée des populistes aujourd’hui.