Que s’est-il passé en Europe cette semaine ? (du 8 au 14 avril 2024)

Articles par Thiennot Foucher, Arwen Samb et Eliette Pellissier de Féligonde

Ingérences russes au Parlement européen : La Belgique ouvre une enquête

Ce jeudi 11 avril, le procureur fédéral belge a ouvert une enquête sur un soupçon de corruption de députés européens par un réseau d’influence russe. 

Cette annonce a été commentée par le Premier ministre belge, Alexander de Croo, dans une conférence de presse. Il précise que ce sont les services de renseignements belges qui ont appris l’existence d’un réseau d’ingérence pro-russe ayant des activités dans plusieurs pays européens. Le dirigeant belge a indiqué que « les objectifs de Moscou sont clairs : aider à élire plus de candidats prorusses au Parlement européen […] et renforcer le discours prorusse au sein de cette institution. C’est extrêmement préoccupant. ». Le sujet sera évoqué au cours d’une réunion d’urgence d’Eurojust, l’agence de coopération judiciaire de l’Union européenne, et lors d’un sommet des chefs d’Etat et de gouvernement de l’UE à Bruxelles prévu mercredi et jeudi prochains.

Une deuxième alerte après des révélations inquiétante en République Tchèque

Il y a quelques semaines, une enquête du BIS, les services de renseignements tchèques, a permis de découvrir que des élus ont reçu des “paiements en espèces” de la part de réseau pro-russe. En échange, ils devaient “soutenir” la propagande russe en Europe. Les mêmes services ont aussi identifié et démantelé un réseau financé par Moscou qui répandait la propagande prorusse sur l’Ukraine par le biais du site « Voice of Europe », de nombreux élus européens ont été approchés par ce média et un certain nombre d’entre eux y sont apparus.

Après le “Qatargate”, le “Russiagate”

La corruption semble être endémique dans les institutions européennes, on se souvient ainsi du scandale du “Qatargate” qui avait branlé Bruxelles en 2022. Mais à seulement deux mois des élections européennes du 09 juin prochain, ces ingérences russes préoccupent les autorités politiques européennes au plus haut point. A voir si ce “Russiagate” aura une influence sur ce scrutin dans un contexte de plus en plus tendu entre Européens et Russes.

Le Premier ministre belge, Alexander de Croo, lors de la conférence de presse sur l’ouverture d’une enquête à propos de soupçons de corruption d’élus européens. © Crédit photo : BENOIT DOPPAGNE/AFP

Adoption du pacte asile et migration par le Parlement européen

Adopté à une courte majorité par le Parlement européen ce mercredi 10 avril, le pacte “asile et migration” est arrivé au bout d’un cheminement législatif, débuté il y a près de quatre années. Cette nouvelle réglementation européenne sur la gestion des flux migratoires à destination de l’UE a notamment fait l’objet de multiples et difficiles négociations entre États membres. Revenons sur le contenu de ce pacte, le nouveau socle de la politique migratoire européenne, et sur ses implications pour l’Europe à court terme.

Quel contenu ?

La réforme est composée de cinq textes qui visent à définir des règles communes pour la gestion, l’accueil et la relocalisation des demandeurs d’asile. Le pacte prévoit notamment une procédure accélérée pour examiner des demandes d’asile, à proximité des frontières extérieures, via un système de “filtrage obligatoire” à l’entrée d’un migrant dans l’UE. Ce processus vise à déterminer dans un délai de cinq jours si le requérant doit faire l’objet d’une procédure de retour – par exemple, s’il s’est déjà vu refuser l’asile – ou s’il peut effectivement faire une demande. L’objectif principal de ce projet est aussi de parvenir à plus de solidarité entre États membres dans l’accueil des réfugiés. Jusqu’à présent, les réfugiés déposent leur demande d’asile dans le premier pays de l’UE qu’ils atteignent. Mais ce règlement a pour conséquence de faire peser les demandes d’asile sur l’Italie, la Grèce et l’Espagne, les pays où arrivent majoritairement les migrants du Proche-Orient, d’Asie ou d’Afrique. Pour y remédier, le pacte sur la migration et l’asile maintient ce système, mais y ajoute un mécanisme de solidarité obligatoire : les États membres devront contribuer à la charge des pays d’entrée en s’occupant des demandeurs d’asile par le biais de relocalisations, ou en apportant un soutien financier. Enfin, il est prévu un mécanisme spécifique en cas de crise migratoire. En cas d’afflux massif et exceptionnel de migrants dans un État de l’UE, comme au moment de la crise migratoire de 2015, un régime dérogatoire, plus dur pour les demandeurs d’asile que dans les procédures habituelles, sera mis en place pour en freiner l’arrivée.

Une stratégie d’externalisation de la gestion des flux migratoire qui continue malgré les divisions à ce sujet

En 2016, l’UE a signé un accord avec la Turquie d’Erdogan, accord qui prévoit la rétention et le contrôle des flux migratoires sur le territoire d’Ankara en échange de fonds et d’investissements européens dans le pays. La Commission européenne de Von der Leyen a continué cette stratégie d’externalisation du contrôle des flux migratoires en passant des accords similaires avec la Tunisie et la Mauritanie, puis, en mars dernier, avec l’Égypte. Cette stratégie présente des risques évidents, ces flux migratoires pouvant être instrumentalisés par ces régimes pour mettre la pression sur Bruxelles comme le fit Erdogan en menaçant d’ouvrir les “vannes” de l’immigration, une façon de faire chanter l’UE. 

Des sanctions pour les Etats membres en cas de non-application

La commissaire européenne aux Affaires intérieures, Ylva Johansson, prévient : Tous les Etats membres doivent le mettre en œuvre et l’appliquer. La Suédoise, qui a suivi ce projet réglementaire depuis 2019, rappelle que les gouvernements doivent maintenant mettre en œuvre le pacte sur la migration et l’asile. Si ce n’est pas le cas, la Commission agira bien sûr et utilisera – si nécessaire – des procédures d’infraction. Ces avertissements sont lancés alors que Donald Tusk, le leader libéral du gouvernement polonais, a déclaré : “Nous protégerons la Pologne contre le mécanisme de relocalisation“. Un jeu d’échecs politique qui a lieu alors que se profile la dernière étape avant l’entrée en vigueur de ce nouveau pacte sur la migration et l’asile, prévu pour 2026 : le feu vert final des États membres, attendu à la fin du mois. Il devrait s’agir d’une formalité, son contenu ayant déjà été négocié par ces derniers qui sont parvenus à un accord de principe en décembre dernier. La Commission européenne présente ce texte comme une solution à la question migratoire, une source récurrente de tension depuis la crise migratoire de 2015-2016 à laquelle les Européens n’ont pas encore trouvé de réponse commune. 

Les députés européens lors de l’adoption du Pacte asile et migrations. @crédits : Philippe BUISSIN / Parlement européen

La Suisse condamnée pour inaction climatique : le début d’une justice climatique européenne ? 

Ce mardi 9 avril, la Suisse a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme pour inaction climatique. Cette décision historique fait suite à une requête déposée par l’association les « Aînées pour le climat », une association réunissant 2 500 femmes suisses septuagénaires, qui œuvre à la lutte contre le réchauffement climatique. L’État helvète devra en tout, écoper de 80 000 € d’amende.   

Une décision historique

Quelques jours après avoir refusé les requêtes de six citoyens portugais et de Damien Carême, eurodéputé et ancien maire de Grande-Synthe (Nord), le verdict est enfin tombé. La Cour européenne des droits de l’homme a condamné pour la première fois la Suisse, en raison de son manque « de mise en œuvre de mesures suffisantes pour lutter contre le changement climatique ». La première condamnation d’un État pour inaction climatique. Alors que la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH), un traité en vigueur au sein de 46 États du Conseil de l’Europe, ne consacre pas explicitement de droit en matière d’environnement, il s’agit de la première fois que la Cour rend compte d’une violation de la CEDH dans le cadre d’un contentieux climatique. 

Les revendications des Aînées pour le climat

Condamné pour violation des articles 6 (droit à un procès équitable) et 8 (droit à la vie privée et familiale), l’État helvète a été plusieurs fois interpellé par l’association des « Aînés pour le climat ». Créée par des femmes suisses de plus de 65 ans, l’association a avant tout fait valoir les risques encourus pour les femmes âgées, de la multiplication des périodes de forte chaleur. Tout en s’appuyant sur des données scientifiques, ces femmes engagées ont également accusé le gouvernement suisse de ne pas œuvrer suffisamment à réduire ses émissions de gaz à effet de serre.

Un tournant juridique pour la « justice climatique » ?

S’il s’agit d’une décision historique pour la Cour européenne des droits de l’homme, la condamnation de la Suisse marque un tournant dans la jurisprudence européenne en matière d’action climatique. En condamnant la Suisse pour inaction climatique, la Cour européenne s’est également prononcée en matière de lutte contre le réchauffement climatique. La condamnation de la Suisse a en effet été l’occasion pour la Courde rappeler qu’il était de la responsabilité des États de lutter contre le changement climatique, sans qu’ils puissent se décharger sur les entreprises ou les citoyens. De même, la décision prononcée par la Cour ce mardi, ouvre la voie à de nouveaux recours pour inaction climatique. Un tournant majeur, alors que les associations ou collectifs citoyens ont fréquemment recours à ce type de démarches depuis la signature de l’Accord de Paris sur le climat en 2015.

La Suisse condamnée par la CEDH à Strasbourg, crédit Frederick FLORIN / AFP

Guerre en Ukraine : Une nouvelle salve de provocations entre la Russie et la France

Alors que la situation sur le front Est se dégrade en Ukraine, le ministre français des Affaires étrangères, Stéphane Séjourné a déclaré lundi 8 avril qu’il n’était plus dans l’intérêt de la France de “discuter avec les responsables russes”. Signe d’un nouveau tournant dans les relations avec Moscou ? 

Après un récent entretien téléphonique entre les ministres des Armées russes et français, portant sur la coopération en matière de contre-terrorisme, suite à l’attentat de Moscou du 22 mars au Crocus City Hall, le ministre de la Défense russe, Sergueï Choïgou avait déclaré qu’il espérait que « les services secrets français n’étaient pas derrière [les attentats] ». Le ministère russe était aussi revenu sur les récents propos polémiques d’Emmanuel Macron, qui avait estimé en février qu’envoyer des troupes en Ukraine ne pouvait pas “être exclu”. Depuis le début de la guerre, les rapports entre Moscou et Paris se sont détériorés. Chacun semble se renvoyer la balle en provoquant toujours plus l’autre. Jusqu’à arriver à un point de non retour ce lundi 8 avril avec la volonté affichée du Quai d’Orsay de ne plus “discuter avec les responsables russes”

Un changement de ton récent 

Ces déclarations sont révélatrices d’une nouvelle approche du conflit. Alors qu’au début de la guerre, le Président Emmanuel Macron affirmait ne pas être en “guerre contre la Russie” et vouloir “rester en contact (…) avec le président Poutine, pour chercher sans relâche à le convaincre de renoncer aux armes (…) pour prévenir la contagion et l’élargissement du conflit, autant que nous le pouvons”, le ton a changé. La France veut désormais prendre le rôle d’organisateur. Selon le spécialiste de géopolitique Peer de Jong,On voit que la France prend la tête de cette espèce de jeu de construction, en tout cas d’une Europe de la défense”.  Même si ces déclarations ne se soldent pas par un changement concret dans l’engagement français en Ukraine, une nouvelle politique d’“aucune limite, aucune ligne rouge pour aider l’Ukraine face à la Russie prévaut aujourd’hui.  

Quelle relation avec la Russie à l’avenir ? 

Ce tournant ne reste pas sans réponse. Le vendredi 12 avril, l’ambassadeur français en Russie, Pierre Lévy, est convoqué par Moscou. La diplomatie russe dénonce le “caractère inacceptable de telles déclarations, qui n’ont rien à voir avec la réalité”. Moscou déclare que les propos du ministre français sont perçus comme une  “action consciente et délibérée de la partie française visant à saper la possibilité même de tout dialogue entre les deux pays ”. Reste à voir comment les relations franco-russes vont évoluer alors que Kiev alerte sur une situation “considérablement détériorée” sur le front Est qui pourrait accélérer l’implication française. 

Le ministre des affaires étrangères, Stéphane Séjourné, en janvier à Kiev, pour réaffirmer le soutien français à son homologue Dmytro Kuleba. – Anatolii STEPANOV / AFP

 

 

 

 

 

Articles recommandés