Par Eva GANDALOEVA
Une région quelque peu inconnue du monde
Niché entre l’Europe de l’Est et l’Asie de l’Ouest, le Caucase se déploie comme un carrefour géographique et culturel captivant, où les sommets majestueux des montagnes entrelacent les histoires complexes de peuples divers, formant un paysage aussi riche que son passé tumultueux. Cette région se distingue nettement entre ses composantes nord et sud, elle est délimitée par la mer Noire au nord-ouest, la mer Caspienne au nord-est, et elle est entourée par la Russie au nord, l’Azerbaïdjan à l’est, la Géorgie au sud, et l’Arménie au sud-ouest. Le Caucase constitue une zone montagneuse complexe, avec plusieurs chaînes de montagnes importantes.
Historiquement, le Caucase a été le lieu de divers conflits en raison de sa diversité ethnique, culturelle et religieuse. La région abrite plusieurs groupes ethniques, dont les peuples caucasiens, les Arméniens, les Azéris, les Géorgiens, les Ossètes, les Tchétchènes, les Ingouches et d’autres. Malgré tout, l’aspect le plus marquant résidait dans le fait que ce plateau était la scène de l’affrontement entre les grandes puissances au XIXème siècle car l’Empire ottoman, la Russie, et dans une moindre mesure, la Perse (l’Iran actuel), étaient les principaux acteurs impliqués dans la compétition impérialiste pour le contrôle du Caucase.
La concurrence entre ces différents empires ne fit pas long feu car c’est finalement l’Empire russe qui est parvenu à consolider son emprise sur la région au cours du XIXe siècle, à travers des guerres motivées par des aspirations impérialistes visant à sécuriser les frontières, contrôler les routes commerciales et dominer la région. La résistance des Nord-Caucasiens, initiée par cheikh Mansour — le leader de ce mouvement, en 1785, a perturbé les avancées russes, forçant même une interruption temporaire de la construction de la route militaire vers la Géorgie. La période de calme fut brève, avec des affrontements persistants entre 1825 et 1855, marqués par les actions du successeur du cheikh Mansour, l’imam Chamil. La guerre du Caucase a finalement pris fin en 1864, avec la conquête du Nord du Caucase, entraînant un exode massif de musulmans vers l’Empire ottoman. Les Circassiens, particulièrement touchés, ont subi un déclin démographique significatif, résultat des migrations forcées et des politiques répressives. L’équilibre fragile a finalement été rompu en 1917 avec la révolution communiste, ouvrant ainsi une nouvelle ère de bouleversements politiques dans le Caucase.
La destruction de l’Empire russe et la mort du tsar sont des événements clés déclenchant les premières vagues d’indépendance à travers l’Europe de l’Est, et le Caucase ne fait pas exception. Dans le Caucase du Sud, les républiques démocratiques de Géorgie, d’Azerbaïdjan et d’Arménie sont proclamées en 1918, signant leur indépendance vis-à-vis de la Russie. Ces nouvelles démocraties ont conjointement formé la République fédérative démocratique de Transcaucasie, une désignation alternative pour le Caucase du Sud.
Parallèlement, dans les montagnes du Caucase du Nord, la République montagneuse du Caucase du Nord a été établie en 1917. Bien que ces entités politiques éphémères aient cherché à instaurer une certaine autonomie pour les peuples montagnards du Caucase du Nord et du Sud, elles ont rapidement été absorbées par l’Armée rouge en 1921. Malgré cet échec, la France a accueilli les membres du comité exécutif de la République montagnarde ainsi que leurs familles. Ce geste reflète la solidarité envers les mouvements indépendantistes et les aspirations nationales à l’autodétermination, même lorsqu’ils ne réussissent pas. La France n’a pas exercé une influence majeure sur l’issue de la République montagnarde du Caucase du Nord, mais elle a toutefois offert refuge aux acteurs politiques de cette brève entité, soulignant ainsi son engagement envers les principes de liberté et d’émancipation nationale. Cette action de la France représente l’une des premières manifestations d’un pays occidental envers les États caucasiens, amorçant ainsi une longue lignée d’interactions.
Après la proclamation de l’URSS et l’unification du territoire, la politique dominante visait à créer une nation communiste unique, dépourvue de toute spécificité culturelle ou religieuse ; les velléités d’indépendance furent systématiquement réprimées. Le Caucase ne fut pas épargné par la propagation de cette idéologie, et des figures telles que Staline ou Beria y émergèrent.
Cette période est une tâche sombre dans l’histoire de la Russie, et la période communiste n’y échappe pas puisque de nombreuses atrocités furent commises au nom du parti, marquées notamment par des tueries systématiques envers ceux perçus comme des traîtres à la nation. Elle est par des politiques brutales visant à éliminer toute forme d’opposition et à supprimer les particularités culturelles des groupes considérés comme dissidents. Les déportations massives et la tragédie du Holodomor en Ukraine ont laissé une empreinte indélébile sur le paysage soviétique. Dans le Caucase comme ailleurs, ces événements ont gravé des cicatrices profondes dans la mémoire collective des peuples. Il est crucial de souligner que même aujourd’hui, ces épisodes historiques continuent d’avoir des répercussions durables sur la mémoire collective et les fondations sociales des communautés caucasiennes. Cette compréhension historique contribue également à expliquer pourquoi une avancée progressive vers l’Europe est perçue comme étant nécessaire dans la quête d’une perspective différente et d’un avenir plus prometteur.
L’après URSS : Un nouvel enjeu
Après la disparition du bloc soviétique, la région du Caucase a été le théâtre de conflits complexes, comme ce fut le cas partout ailleurs en Europe de l’est. Des conflits tels que ceux en Géorgie, caractérisés par des épisodes marquants en 1991 et 2008, prennent place. Au cours desquels une partie du territoire géorgien fut tout bonnement annexée. Dans les faits, le conflit conduit à une indépendance fictive en Abkhazie, un aspect qui nécessite une exploration détaillée pour comprendre les implications de ces événements. Il est évident que la Russie a joué un rôle crucial dans la construction nationale de cette nouvelle Géorgie, qui avait déjà été fragmentée.
Un autre foyer de tension est le conflit entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie, centré sur le Haut-Karabagh. L’analyse des sources de ce conflit, de ses enjeux et de la place de la Russie dans ce contexte est essentielle pour saisir la dynamique régionale et les implications géopolitiques qui en résultent. En effet, il débute 1988 sur fond de tensions historiques et territoriales, évoluant en guerre ouverte en 1991 après la dissolution de l’URSS. Bien que la Russie ait joué un rôle majeur en tant que médiateur et influenceur régional. L’Europe, notamment à travers l’Union européenne et le Groupe de Minsk de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), a également cherché à promouvoir des négociations pacifiques et à désamorcer les tensions. Cependant, le rôle de l’Europe est parfois limité par d’autres acteurs régionaux, tels que la Russie, avec des intérêts substantiels dans la région. Malgré ces défis, l’Europe continue de plaider pour la stabilité dans le Caucase du Sud.
Un exemple frappant des bouleversements politiques engendrés par la disparition de l’URSS, cette fois-ci dans le Caucase du Nord, est la Tchétchénie, qui a traversé une quête tumultueuse d’indépendance. En 1991, ce petit peuple caucasien proclame son indépendance, mais cette démarche n’a pas été bien accueillie par la nouvelle Russie démocratique d’Eltsine. La première guerre russo-tchétchène a éclaté en 1994, suivie cinq ans plus tard par la seconde, dirigée cette fois par Poutine, le nouveau président. Malgré les efforts de Ramzan Kadyrov, actuel dirigeant tchétchène, pour réprimer toute aspiration à l’indépendance, une république en exil est établie. Cela met en lumière le défi persistant de contenir les aspirations indépendantistes malgré des mesures répressives, dans une région où la liberté d’expression demeure une valeur importante. Ces événements illustrent la complexité des dynamiques politiques et sociales qui ont marqué l’histoire contemporaine du Caucase.
La guerre russo-ukrainienne : Un espoir renaît doucement
Les conflits politiques, notamment la Guerre en Ukraine notamment, a grandement incité certains États du Caucase, et les mouvements indépendantistes à chercher un rapprochement avec l’Union européenne, même s’ils sont considérés par certains détracteurs comme “illégitimes”. Ces États ont reconnu l’importance de s’engager avec l’UE pour plusieurs raisons, notamment la recherche d’un soutien politique, économique et diplomatique, ainsi que la perspective d’une intégration plus étroite dans la communauté internationale. Le règlement du conflit dans le Haut-Karabagh a suscité l’attention de l’UE en tant qu’acteur de médiation, soulignant l’importance de parvenir à une solution pacifique dans la région. La Géorgie, désormais candidate à l’adhésion à l’UE, a également manifesté son intérêt pour un rapprochement avec l’Union européenne, cherchant à bénéficier des avantages économiques et politiques liés à une intégration plus profonde. De même, la république tchétchène en exil a cherché à faire entendre leur voix au Parlement européen, le 6 novembre dernier, aux côtés du parti conservateur European Conservatives and Reformists Party (ECR Party). Déjà en juillet 2022, l’Ukraine a reconnu la petite république tchétchène comme étant “temporairement occupée”. Dès lors, les représentants de ce mouvement indépendantiste tentent de faire reconnaître leur combat à l’échelle internationale. Notons également que, lors de cet événement organisé au Parlement européen, les représentants circassiens ont également trouvé l’occasion de sensibiliser sur le génocide dont leur peuple a été victime, mettant en avant la nécessité d’une reconnaissance et d’un soutien international.
Un rôle européen bel et bien prévalent…
Ainsi, L’espoir européen dans le Caucase réside dans la capacité de l’UE à jouer un rôle de médiateur efficace, à encourager la résolution pacifique des conflits et à soutenir les aspirations des peuples caucasiens à la reconnaissance et à la liberté. Le Caucase, entre l’Europe de l’Est et l’Asie de l’Ouest, incarne ainsi une région en transition, où l’influence européenne peut contribuer à forger un avenir plus stable et prometteur. En engageant un dialogue constructif et en favorisant la coopération, l’Union européenne peut jouer un rôle clé dans l’évolution positive du Caucase vers un avenir où la diversité culturelle et la coexistence pacifique prévaudront. Sans doute, ce pas fait vers l’Europe, est une preuve que la volonté du peuple transcende toute tentative de domination impérialiste ou d’action politique, incarnant ainsi l’esprit indomptable d’une région façonnée par des siècles de résilience et de lutte pour son identité.