Les Jeux olympiques, une tribune politique?

Article par Marjorie Cioco

 

“La politique n’a pas sa place dans le sport”. C’est une phrase que l’on entend tous les jours, comme si l’on souhaitait imperméabiliser les compétitions sportives internationales au contexte politique des pays. Pourtant, le sport est un phénomène social qui ne peut pas oublier la politique, et les Jeux olympiques le prouvent bien. Pendant tout le XXème siècle et le début du XXIème, ils ont été le reflet du contexte mondial, comme une vitrine de l’Etat avec des appels au boycott, des protestations d’athlètes ou encore des attentats (Munich 1972). Les Jeux amènent le pays sur le devant de la scène, la politique s’insère dans la compétition, et le monde regarde.

Les prochains Jeux olympiques se dérouleront à Paris cet été, dans quelques mois. L’occasion de se demander si les JO ne sont-ils pas finalement une arme politique du pays, un moyen pour lui de montrer sa puissance?

 

Un peu d’histoire…

Course à pied. Amphore panathénaïque du Peintre de Cléophradès, 500 av. J.-C. située au Musée du Louvre

L’origine des Jeux olympiques remonte à l’Antiquité, en 776 avant JC d’après les historiens, soit il y a presque 3000 ans. Les compétitions ont lieu dans l’ouest du Péloponnèse. Les Grecs sont en pleine guerre du Péloponnèse, permettant aux jeux d’unir les cités entre elles et de rétablir la paix. C’est le principal objectif de la création des jeux. Ils sont organisés en l’honneur du dieu Zeus. Cependant, les jeux sont abolis en 393 après JC par l’empereur chrétien Théodose 1er qui souhaite arrêter toutes les fêtes païennes, dont les Jeux olympiques.

C’est dans les années 1890 que les Jeux olympiques renaissent, par l’initiative de Pierre de Coubertin. Homme politique français et passionné de sport, il entreprend de donner une place importante au sport dans les établissements scolaires en premier lieu. Lors d’un discours à la Sorbonne le 23 juin 1894, il crée le Comité international olympique (CIO), faisant renaître officiellement les Jeux. Les premiers Jeux modernes ont donc lieu à Athènes en 1896.  Même si les JO modernes reprennent le projet de Coubertin, il était aussi raciste, colonialiste et approuvait les actions d’Adolf Hitler. Certaines de ses croyances n’ont donc pas été reprises dans les valeurs des Jeux olympiques.

Dès le début, les Jeux sont un moyen de réunir des pays autour de valeurs d’unité et de paix. La charte des Jeux olympiques créée en 1900, insiste sur le fait qu’il ne doit pas y avoir de politique dans les compétitions. Pourtant, la politique prend une place importante dans le sport. Pascal Boniface, géopolitologue français, explique que: “Le sport est devenu le nouveau terrain d’affrontement pacifique et régulé des États, dans un monde où les rivalités nationales persistent mais seraient moins souvent qu’autrefois réglées par les armes, où les frontières demeurent présentes mais sont devenues poreuses et où les peuples doutent de leur identité et de leur avenir. […] Le sport est devenu un élément essentiel du rayonnement d’un État”. Dans son article “Le Sport, une fonction géopolitique”, il analyse le sport comme une arme politique, en faisant référence à plusieurs compétitions internationales comme les Jeux d’été pendant la guerre froide. Ceux-ci ont été marqués par des événements politiques de protestation et de puissance, comme par exemple la prise d’otage de 11 athlètes israéliens par un commando palestinien pendant les Jeux de Munich en 1972.

 

La protestation par les Jeux

Jesse Owens sur le podium du saut en longueur aux côtés de l’allemand Luz Long et du japonais Naoto Tajima

Au XXème siècle, les Jeux sont marqués par de grands événements mondiaux qui n’arrêtent cependant pas les compétitions. En 1936, les Jeux ont lieu à Berlin dans l’Allemagne nazie. Aussi qualifiés de “Jeux de la honte”, la compétition est en fait une manière pour le régime totalitaire nazie de faire sa propagande et de montrer sa puissance au monde. Certains pays comme les États-Unis, la France ou la Grande-Bretagne ont d’ailleurs menacé de boycotter la compétition,  d’autant plus qu’avec les lois antijuives adoptées en 1935, les Juifs sont exclus du programme alors qu’ils avaient eu le droit de participer aux Jeux d’hiver. Cependant, Adolf Hitler autorise la participation de l’escrimeuse juive Helena Mayer pour faire taire les envies de boycott. La figure majeure de ces Jeux est Jesse Owens, athlète américain considéré comme le premier sportif noir à la renommée internationale. Il obtient 4 médailles d’or pendant la compétition (100m, saut en longueur, 200m, 4x100m), et cela sous les yeux d’Hitler. Il montre donc par ses exploits que la “race aryenne” n’est pas au dessus de tout.

 

Peter Norman, Tommie Smith et John Carlos sur le podium du 200m

Après la fin de la Seconde Guerre mondiale, la politique dans les Jeux se reflète dans le nouveau conflit mondial de la guerre froide, opposant le bloc de l’Ouest et de l’Est. Les Jeux sont donc le symbole d’un monde bipolaire et fracturé,  accueillant également  des pays non alignés. En 1968, à Mexico, alors que le pays  est marqué par de grandes révolutions étudiantes contre le système politique, le Mexique  profite de cette avancée sur la scène pour montrer sa réussite. Cependant, 10 jours avant les Jeux, l’armée ouvre le feu sur des manifestants à Tlatelolco le 2 octobre 1968, faisant environ 300 morts. Ces Jeux sont aussi marqués par le  podium du 200m où les  Noirs Américains Tommie Smith et John Carlos lèvent le poing en symbole de protestation contre la ségrégation (voir photo ci-contre). Cela leur coûtera d’être bannis des Jeux olympiques.

Ces exemples montrent que les Etats utilisent les Jeux comme outil pour montrer leur puissance mais que les citoyens les utilisent aussi, comme outil de protestation.

 

Les JO, la définition même du soft power?

Photo de la cérémonie d’ouverture des Jeux de Pékin, 2008

Le soft power, ou “puissance douce” en français, est le fait d’influencer un autre Etat par son comportement, de manière indirecte, c’est-à-dire d’afficher sa puissance par tous les moyens autres que militaires. Les organisations sportives sont un des  reflets du soft power. En 2008, pour les JO à Pékin, la compétition a permis au pays de montrer la puissance chinoise. Les cérémonies d’ouverture, très regardées par les téléspectateurs, participent à mettre en scène la puissance du pays. En 2008, il y avait de grandes chorégraphies spectaculaires représentant toute l’histoire de la Chine impériale. Le principal but des Jeux pour le pays était de redorer son blason.

Dans le cas de Rio 2016, peu avant le début de la compétition, les populations occidentales contestent l’attribution des Jeux au Brésil. Le gouverneur de l’Etat de Rio de Janeiro avoue avoir versé des pots-de-vin à des délégués du CIO pour que le Brésil accueille les Jeux. L’ancien président Lula est soupçonné de corruption tandis que le pays est en pleine procédure de destitution de la présidente Dilma Rousseff. Le moment n’est pas propice pour accueillir des Jeux. Pour construire les infrastructures, environ 80 000 habitants sont déplacés et relogés. Encore une fois, le but des Jeux est de montrer que le pays (ici le Brésil) peut organiser de grandes compétitions, mais cela n’est qu’une façade au point de vue international.

 

Le cas de Paris 2024: redorer la médaille 

Les Phryges, mascottes officielles des JO 2024

“Le sport, c’est une manière de faire la guerre sans tuer personne, c’est un enjeu de puissance de l’image de la France”, Jean Viard, sociologue et homme politique français. Il fait référence à l’accueil des Jeux par Paris en 2024. Comme  les JO de Londres en 2012, ils montrent que les anciennes puissances peuvent aussi utiliser les Jeux comme tribune pour affirmer leur pouvoir. C’est une opportunité de faire jouer la symbolique du pays en impliquant des monuments et personnalités connues, ou encore mettre en scène les forces de l’ordre. Paris accueille pour la 3ème fois les JO, montrant qu’elle est encore capable de s’affirmer en tant que puissance. C’est une “ville-monde”, ouverte, accueillante et attractive. Ces Jeux sont l’occasion de se mettre en scène en ville phare de la mondialisation. Les sites sélectionnés pour les infrastructures des Jeux à Paris ne sont pas choisis au hasard avec la Tour Eiffel, les Invalides, le château de Versailles. Le but est d’appuyer l’excellence à la française et promouvoir la ville lumière notamment grâce au tourisme que la compétition engendre. Par ailleurs, la mascotte des Jeux est un bonnet phrygien, pour rappeler le symbole de la liberté et la Révolution française.

Finalement, les Jeux sont des instruments de pouvoir d’affirmation et de protestation. Ils sont les indicateurs du climat politique actuel. Pour les puissances grandissantes, c’est un moyen de démontrer qu’elles peuvent prendre place à la table des grands, tandis que pour les grandes puissances, c’est une manière d’affirmer leur position déjà établie.

Les JO de Paris sont l’occasion d’appuyer la puissance de la France, mais ils sont attendus au tournant. En effet, beaucoup de critiques sont émises dans la presse et par les citoyens français. Les questions d’infrastructures, de transports et de sécurité reviennent le plus souvent. Ces domaines sont  attendus en première ligne de la scène internationale cet été. Des “réunions d’urgence” ont déjà eu lieu avant même que les infrastructures n’aient été terminées. Il faudra attendre juillet 2024 pour assister à la cérémonie d’ouverture sur la Seine, et le début des Jeux dans la Ville Lumière.

 

 

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