Alors que certains pays souhaitent sortir de l’Union européenne, d’autres veulent en intégrer davantage les rouages. La Commission européenne propose au Conseil européen l’intégration progressive de la Croatie dans le système d’information Schengen (SIS), rapprochant ainsi le dernier État membre à être entré d’une adhésion totale à l’espace européen sans frontière.
En janvier 2017, la Commission européenne a suggéré au Conseil d’intégrer la Croatie dans le Système d’Information Schengen (SIS). Depuis qu’il a rejoint l’Union Européenne en 2013, le pays souhaite poursuivre son intégration et cela implique son adhésion à Schengen. Initialement, le projet de construction européenne concernait l’union des pays du continent à des fins économiques, sociales, mais également sécuritaires : former ce qui ressemblerait à un unique pays pour mieux se protéger contre des menaces extérieures. C’est d’ailleurs là un principe phare de l’espace Schengen. L’union monétaire européenne date du début du siècle, l’union économique européenne fondatrice de l’UE fête ses 60 ans cette année et l’union frontalière date de 1985. Ainsi, la volonté réciproque d’adhésion de la Croatie à cet espace commun (par le pays et par la Commission européenne) soulève plusieurs problématiques contemporaines.
Comment et pourquoi intégrer Schengen : entre tourisme et sécurité
L’espace Schengen comprend 26 Etats européens, dont 4 ne font pas partie de l’Union européenne (Islande, Norvège, Suisse et Liechtenstein). L’accord de Schengen et la convention de Schengen, signés dans la ville éponyme du Luxembourg en 1985 et 1990, ont pour but principal l’élaboration et le renforcement de frontières communes, à l’intérieur desquelles les ressortissants de l’espace peuvent se déplacer librement. Les Etats membres sont responsables du contrôle et de la surveillance de leurs frontières extérieures, mais ces pratiques sont harmonisées par le code frontières Schengen, qui prévoit un contrôle minimal pour les ressortissants des Etats membres mais, en contrepartie, un contrôle approfondi pour les ressortissants des pays tiers. Plus concrètement, cela facilite d’une part les déplacements touristiques intra-européens, et favorise confiance et sécurité au sein de l’espace, car les citoyens des 26 pays signataires s’y déplacent comme dans un unique pays.
Récemment, dans un contexte mondial mêlant terrorisme et intenses flux migratoires, Schengen a vu ses frontières se durcir : sont dorénavant obligatoires les contrôles des ressortissants de l’Union européenne et des pays tiers, à l’entrée et à la sortie de l’espace Schengen, et ce sur des bases de données pertinentes. Ces dernières sont notamment (et principalement) tirées du Système d’information Schengen, et des bases de données Interpol.
La Croatie aura accès à la base de données de renseignements européens et internationaux
L’épine dorsale de l’espace Schengen est le Système d’Information Schengen. C’est la plus importante base commune de données informatiques en faveur du maintien de la sécurité publique, servant d’appui à la coopération policière et judiciaire européenne et nationale. Par conséquent, le SIS est un élément clé de la gestion des contrôles aux frontières extérieures à l’espace Schengen. Concrètement, les membres des différents services de sécurité nationaux peuvent y enregistrer ou y consulter des informations sur des personnes ou des objets, et éventuellement émettre des alertes concernant les personnes recherchées ou portées disparues. Cela s’applique également aux potentiels documents ou objets qui ont pu être perdus ou volés, ainsi que les interdictions d’entrée.
L’entrée de la Croatie dans ce système induit un fait majeur : son devoir d’appliquer et maintenir les restrictions établies par ce système. Deux ans avant que la Commission propose l’intégration du pays à Schengen, elle avait ouvert une procédure contre la Croatie (ainsi que contre l’Italie et la Grèce) en 2015, lui reprochant de ne pas assez relever les empreintes des demandeurs d’asile et des migrants arrivés de manière irrégulière sur son territoire. Du point de vue de la sécurité européenne, cela contribuerait à nourrir la banque de données Eurodac. En d’autres termes, donc, intégrer la Croatie au SIS la contraindrait à plus de rigueur frontalière, et ce pour le bien de l’Europe.
Récent membre de l’UE, le pays de la présidente Kolinda Grabar-Kitarović fait tout pour s’y intégrer davantage
Le pays a rejoint l’Union européenne en 2013 (en conservant sa monnaie nationale, la Kuna) et souhaite être pleinement admis dans Schengen en 2018. Il satisfait entièrement les exigences techniques et juridiques de l’évaluation Schengen, mais toute admission à cet espace doit se faire à l’unanimité de ses membres. Pour la Bulgarie et la Roumanie par exemple, rejoindre l’espace de libre circulation est une priorité politique, mais, bien qu’elles soient considérées par la Commission comme aptes à rejoindre Schengen depuis 2010, leur intégration a été bloquée par des États membres tels que les Pays-Bas ou la France.
Avant même son entrée officielle dans l’espace Schengen, la Croatie a tenté un rapprochement frontalier avec ses membres : la République croate applique la Décision No 565/2014/EU le 22 juillet 2014. Elle consiste à simplifier l’entrée de ressortissants étrangers en possession d’un document Schengen en cours de validité, et cela s’applique également aux individus en possession d’un visa ou d’un titre de séjour de Bulgarie, Chypre ou Roumanie : aucun d’entre eux n’a besoin d’un visa supplémentaire (croate) pour se rendre en Croatie.
En septembre 2015, la « crise des migrants » a atteint l’ensemble de l’Europe et par conséquent la Croatie. Le pays a connu d’importantes arrivées migratoires durant cette période, mais a aussi été clairement mis à l’écart de la part de pays européens frontaliers. La plupart d’entre eux sont membres de Schengen et, par conséquent, bénéficient de frontières renforcées vis à vis des non-membres. En cela la Hongrie a par exemple opté pour la mise en place d’une clôture barbelée visant à la séparer de la Croatie, puis la Slovénie a fait de même. D’autres pays européens ont également pour but de s’isoler de pays frontaliers non membres de Schengen. En Croatie, depuis plusieurs années déjà existe une « route migratoire » entre la ville de Šid (Serbie) et Tovarnik. Le gouvernement croate entendait jusqu’en septembre 2015 accueillir les migrants souhaitant traverser cette « porte d’entrée dans l’UE », tout en laissant entendre qu’il s’agit là surtout d’un couloir vers le reste de l’Europe, par le biais de « centres d’enregistrement », plus que d’un accueil définitif en Croatie. Le bout du couloir menant vers l’Europe se fermant peu à peu, c’est au tour du gouvernement croate de se montrer de plus en plus réticent à l’accueil de migrants.
Toutefois, l’emplacement géographique du pays et sa politique migratoire inquiètent. En janvier, le Parlement européen a transmis à la Commission et aux Etats membres son souhait de bloquer l’adhésion de la Croatie à l’espace Schengen, considérant « que le principe de libre circulation des personnes au sein de l’espace Schengen favorise, en Europe, la pénétration de djihadistes en provenance du Moyen Orient » et qu’« une majorité de migrants clandestins privilégient la route des Balkans pour accéder à l’un des États membres de l’Union européenne et que la Croatie constitue l’une des étapes de leur périple ».
L’espace Schengen actuellement menacé : quid de l’intégration de la Croatie ?
Intégrer Schengen, c’est donc aussi pour la Croatie un moyen de sécuriser ses frontières, d’autant plus que le règlement européen (Dublin III) qui prévoyait qu’un réfugié doit déposer une demande d’asile dans le premier pays de l’UE où il arrive, ne fonctionne plus. Les migrants sont donc nombreux à arriver directement dans le pays de leur choix ; le plus souvent, il s’agit de l’Allemagne.
Toutefois, nous nous devons de rappeler que les accords de Schengen de 1985 ont pour but premier non pas la libre circulation mais la prise de mesures de sécurité qui, elles, permettent la libre circulation. C’est en cela que l’existence-même de l’espace Schengen, en tant que vaste territoire se voulant uni, est de nos jours questionnée. A l’heure où les pays fondateurs et piliers décident de fermer peu à peu leurs frontières nationales, plusieurs penseurs politiques tels que l’actuel Premier ministre italien Paolo Gentiloni, expriment leurs appréhensions quant à la pérennité de Schengen.
Qu’il s’agisse de l’argument terroriste, migratoire, ou de la mouvance nationaliste prenant une ampleur plus en plus grande, la question des frontières européennes est plus que jamais portée sur la scène diplomatique.