L’Union rencontre aujourd’hui plusieurs limites à son développement et l’idée d’une Europe à « plusieurs vitesses » permettrait de relancer le projet européen, notamment par le biais du processus de coopération renforcée.
La question de l’intégration à plusieurs vitesses est à l’ordre du jour, mais elle n’est pas nouvelle. En effet, au fur et à mesure que l’Europe a vu son nombre d’États-membres augmenter, il a fallu revoir la conception et le fonctionnement de l’Union. Il est de fait plus difficile à trouver un consensus dans une Europe à vingt-huit, que dans l’Europe des Six, et il faut donc permettre à ceux qui le souhaitent d’aller plus loin dans le processus d’intégration sans être freinés par les plus réticents.
Vers une Europe à plusieurs vitesses
Depuis la création de l’Union européenne, le débat sur le futur de l’Europe tourne autour de trois conceptions : celle d’une Europe fédérale, avec un gouvernement central et un parlement, celle d’une Europe plus vaste et décentralisée, et enfin une Europe à géométrie variable, dite à plusieurs vitesses. Toutes les trois ont fait l’objet de tentatives plus ou moins fructueuses de la part des leaders européens pour développer le projet d’intégration européenne.
Ce débat est aujourd’hui au cœur de l’actualité, non pas par choix, mais plutôt par nécessité, tenant compte de la crise qui affecte l’avenir même des institutions européennes.
Les dirigeants français, allemand, italien et espagnol, réunis à Bruxelles le jeudi 9 mars dernier, ont décidé de reformer le projet européen, défendant la solution d’une Europe à géométrie variable pour réaffirmer ainsi la stabilité de l’Union.
D’autres formes de géométrie variable ont déjà été implantées en Europe, comme le Système Monétaire Européen créé en 1979, puis absorbé par la mise en place de la Zone Euro, et l’Espace Schengen, qui s’est construit en dehors du cadre communautaire et a été incorporé dans l’acquis juridique de l’Union en 1997. Le problème c’est que l’Europe ne semble pas avancer aussi rapidement que prévue et des solutions doivent être trouvées pour réformer.
La coopération renforcée : symbole d’intégration partielle
Une voie allant dans ce sens a déjà été adoptée par les États-membres par le biais de la coopération renforcée, qui est présente dans les traités depuis Amsterdam, en 1997, et a été réétudiée lors du Traité de Lisbonne. Cette procédure législative prévoit que neuf États-membres puissent avancer ensemble sur une législation qui leur sera commune, du moment qu’elle ne concerne pas des centres d’intérêt commun comme le marché unique et l’union douanière.
Or, elle n’a été utilisée qu’à trois reprises. D’abord en 2010 pour harmoniser la procédure applicable dans le cas de divorces internationaux, entre deux conjoints de nationalité différente. Puis en avril 2011 pour mettre en place un Brevet de l’Union européenne qui réunit tout d’abord 25 pays, à l’exception de l’Italie – qui depuis a pris part au projet –, de l’Espagne et de la Pologne. Et enfin en février 2013 pour introduire une taxe sur les transactions financières, qui regroupe 11 États-membres, mais cette dernière n’est toujours pas effective. L’autorisation de procéder à une coopération renforcée est accordée par le Conseil des ministres, qui statue à la majorité qualifiée sur proposition de la Commission et après approbation du Parlement européen.
Quels enjeux pour une Europe à géométrie variable ?
Le principal problème de la coopération renforcée c’est qu’elle porte un coup d’arrêt à l’intégration européenne dans son ensemble, puisque seulement une partie des États prend part à un projet, rompant avec la logique unitaire et uniformisante. En persistant dans une coopération davantage renforcée sans chercher à intégrer les autres États-Membres, nous pourrions assister à un conditionnement de la construction européenne, qui aurait une image de self-service, où chaque État se servirait selon ses désirs, et déciderait s’il souhaite approfondir, ou non, sa participation à l’UE. Il y aurait là un risque de désintégration et de désolidarisation des partenaires entre eux.
Toutefois, une dose de coopération renforcée semble également nécessaire si nous souhaitons voir l’Union européenne avancer dans son processus d’intégration, bien que partiellement. Si aujourd’hui chaque État-membre décide de s’abstenir ou de ne pas participer à la progression du projet communautaire, l’Union serait condamnée à devenir obsolète, et on retournerait à une Europe basée sur des systèmes d’alliance, où les intérêts nationaux primeraient sur le projet supranational.
Il y a donc une importance cruciale dans le déroulement d’une coopération renforcée et dans l’ouverture au débat entre tous les pays, puisque le succès d’un projet ne servira qu’à resserrer davantage les liens entre les États membres. Mais pour cela il faudra également le soutien de la Commission, qui devrait commencer par mieux encadrer ces initiatives, et fournir des efforts supplémentaires pour favoriser la communautarisation ultérieure de ces coopérations renforcées, afin que la différenciation initiale aboutisse en fin de compte à renforcer l’Union.
La situation de l’Union européenne est critique aujourd’hui, plusieurs pays retiennent l’Europe en otage, menaçant la pérennité du projet européen. Nous venons d’assister à la célébration des 60 ans de la signature des traités de Rome, mais pour autant, l’Europe toute entière est bouleversée par le déclenchement imminent de l’article 50 par le Royaume-Uni. De plus, la Pologne s’isole diplomatiquement après la réélection de Donald Tusk à la tête du Conseil européen, et en France comme en Italie, quelques uns des principaux partis de l’opposition défendent une sortie de l’euro, voire de l’Union.
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La coopération renforcée est donc un outil pour contrer le frein émis à l’avancée du projet européen, mais tout n’est pas si simple, puisque ce mécanisme n’est pas très utilisé et sa portée restreinte. Elle est un bon exemple de l’Europe à plusieurs vitesses promue par les dirigeants européens, mais doit être retravaillée si nous voulons redorer l’avenir du projet européen.