L’annonce du Brexit a provoqué un raz-de-marée à la City, qui pèse pour 4 % dans le PIB britannique. Le déclenchement, par la Première Ministre britannique, Theresa May, de l’article 50 du traité de l’Union Européenne le 29 mars dernier a ravivé ces inquiétudes.
Cette dernière avait pourtant essayé de rassurer les investisseurs lors de son discours lors du sommet de Davos, le 19 janvier arguant « j’estime à leur juste valeur les services financiers de la City, je peux vous assurer que nous ferons tout pour les préserver ». Mais les quelques 315 000 emplois directs et les 1,1 million de salariés que compte le secteur, le premier employeur privé de la capitale, continuent à redouter un accord qui les pénaliserait ; à juste titre puisque l’Europe représente un quart des 200 milliards de livres de chiffre d’affaires réalisé par l’industrie financière britannique.
Quelles sont les principales menaces qui planent sur la City ?
La première, et celle qui effraie le plus, est celle de la délocalisation. La sortie de l’Union européenne et, par conséquent, du marché commun, signe la fin du passeport financier qui permet à la City de fournir des services financiers à travers toute l’UE. Certaines entreprises envisageraient alors de quitter la City. Les grandes banques, notamment, pourraient rapidement aller s’implanter à Paris, Francfort ou Dublin ; HSBC a d’ores et déjà manifesté sa décision de rapatrier 1 000 emplois vers sa filiale parisienne tandis que UBS évoque son intention de délocaliser le même nombre d’emplois. Le président de JP Morgan, Jamie Dimon, a estimé que le quart des 16 000 salariés de la maison londonienne pourrait être affecté par le Brexit. Lloyd’s Of London, le marché de l’assurance britannique, a quant à lui annoncé l’ouverture d’une filiale chargée de ses opérations européennes à Bruxelles. En tout, l’association londonienne qui défend les intérêts de la finance anglaise, TheCityUK, estime que 65 000 emplois seraient menacés par la fin de l’accès au marché commun.
Mais une autre menace plane sur le Royaume Uni : le rapatriement vers le continent des opérations de compensation financière réalisées en euros. Ce système de produits dérivés financiers permet de se couvrir contre la défaillance de l’une des deux parties. Il est assuré aux trois quarts par la chambre de compensation LCH Clearnet, filiale du London Stock Exchange (LSE), la Bourse de Londres. Depuis la crise de 2007-2008, l’utilisation de ces produits dérivés s’est accrue afin de réguler le flux d’argent sans provision. Ce secteur rassemble désormais, directement ou indirectement, des centaines de milliers d’emploi, dont 232 000 seraient menacés si l’UE récupérait cette activité, selon une étude réalisée par le cabinet Ernst & Young pour le compte du LSE.
De nombreuses voix s’élèvent donc au sein de l’UE pour rapatrier ce flux financier. Pour les produits dérivés basés sur les taux d’intérêt, 39 % sont compensés au Royaume-Uni et 40% aux États-Unis, loin devant la France (4,6 %), selon la Banque des règlements internationaux. Or, interdire à Londres de compenser ces flux reviendrait à les réorienter vers New York, seule plateforme à disposer d’une capacité de compensation équivalente ; une interdiction contre-productive qui ne favoriserait ni l’UE ni le Royaume-Uni.
Vers une saignée ou une « échappée salutaire » ?
En somme, il apparait que le Brexit imposera inévitablement à la City une période transitoire de tourments. Remainers comme Brexiters s’accordent d’ailleurs sur ce point. Simon Brewer, fervent partisan du Brexit et ex-directeur des investissements Europe de la banque Morgan Stanley a récemment déclaré, dans une interview à challenges.fr le 13 janvier dernier : « bien sûr que le processus de départ aura ses complications et ses défis, mais à long terme il apparaîtra comme une grande échappée salutaire, car nous aurons affirmé notre souveraineté et élargi nos horizons pour notre business ». Simon Brewer voit dans le Brexit la possibilité de recentrer les activités de la City vers l’Atlantique et les économies émergentes.
D’autres, au contraire, de ceux qui ont voté pour un maintien dans l’UE, veulent conserver les avantages du portefeuille financier qui permet aux institutions financières étrangères, américaines, suisses et japonaises, de concentrer leurs activités européennes à la City. Dès lors, seule la négociation d’un soft Brexit pourrait permettre à la City de conserver une activité inchangée. Ce soft Brexit pourrait comprendre un maintien dans l’Union douanière et dans l’Espace économique européen et de fait inclure un accès au marché commun, une formule déjà appliquée à la Norvège et au Liechtenstein. Ce faisant, les activités financières de la City avec l’UE ne seraient impactées qu’à la marge.
Il reste alors au Royaume-Uni à conclure cet accord dans les deux ans à venir et à convaincre une Union européenne plus que réticente, représentée par son négociateur et ancien commissaire européen aux services financiers, Michel Barnier.