Université gratuite : vers la fin d’un modèle ?

Université gratuite : vers la fin d’un modèle ?

La transmission des connaissances à l’université tend à devenir un bien de consommation comme un autre. Elle a un prix quantifiable et les étudiants la payent parfois cher. Notamment dans le monde anglo-saxon. En Europe le débat du gratuit ou payant divise. Quels enjeux derrière l’un ou l’autre des choix ?

En France, la hausse des frais d’inscription universitaires pour les étudiants non-européens entre en vigueur lors de la rentrée 2020. Lorsque cette mesure a été annoncée par le gouvernement, de nombreuses manifestations étudiantes ont eu lieu dans tout le pays. Cette aspiration étudiante pour une formation universitaire à moindre coût est à la fois contemporaine et globale : en Afrique du Sud en septembre 2016, ainsi qu’au Chili en avril 2018, la jeunesse se mobilise et rêve d’une université accessible à tous. Selon la définition du Larousse l’université est l’« ensemble des membres de l’enseignement public des divers degrés, dépendant de l’Éducation nationale ». C’est donc un service public qui ne pourrait être soumis à la logique du secteur privé en le rendant payant dans un but de profit.

Un peu partout dans le monde, les étudiants doivent payer, parfois cher, et de plus en plus cher pour accéder à l’université. De Santiago à Londres en passant par Johannesburg, le phénomène se répète : la rationalité économique et la compétitivité obligent à repenser le mode de financement des universités. Quels sont les visions économiques et sociales qui s’affrontent ? Où en est l’université publique et gratuite en France comme en Europe ?

Un défi Européen des années 2000 : « placer l’université au cœur du développement économique européen »

Les classements universitaires mondiaux étant dominées par les universités américaines, sinon anglo-saxonnes, l’Europe envisage une stratégie pour exister sur ce terrain pourtant très compétitif. Ainsi, au début des années 2000, à Lisbonne, les chefs des gouvernements européens décident de placer l’enseignement supérieur et la recherche au cœur du projet économique européen. Ils déclarent que l’Europe doit « construire l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde ».  L’enseignement supérieur est ainsi mis au service de l’économie européenne. Mais de quelle économie ? Et pour quelle formation des étudiants ?

Université compétitive, université gratuite : deux modèles de formations des élites

Pour les partisans d’une université libérale, au-delà de la rationalité économique, les frais d’inscriptions permettent d’être plus compétitif à un niveau global. Ils assurent une montée en gamme dans les classements universitaires mondiaux du fait de l’amélioration de l’offre d’éducation permise par des budgets plus élevés. Ainsi, selon le positionnement d’une université dans les classements mondiaux, l’intégration de l’étudiant au marché du travail serait plus aisée et avec de meilleurs salaires à la clé.

Pour les défenseurs de l’université à moindre coût, moins libéraux sur le plan économique, la gratuité de l’université est un levier assurant un accès égal à une formation dans le supérieur. Les classements mondiaux engendrent une compétitivité accrue des universités entre-elles. C’est en quelque sorte l’avènement du marché dans le monde universitaire qui accroit les inégalités sociales, économiques et géographiques. Le marché pourrait créer une université à deux vitesses avec d’un côté les champions des classement internationaux et de l’autre les retardataires qui peinent à garantir à leurs étudiants de perspectives d’avenir. Le rôle de l’université ne consistant pas qu’à former pour une bonne intégration au marché du travail mais aussi à former des personnes capables d’une réelle approche critique des faits sociaux.

Le cas britannique : une université libérale pour former une élite compétitive 

En 1998, les premiers frais universitaires sont instaurés au Royaume-Uni. Toute université publique est autorisée à fixer des frais d’inscriptions, qui peuvent s’élever jusqu’à 1000 livres sterling, soit 1200 euros environ. En 2004, le gouvernement autorise les universités à augmenter les frais de scolarité jusqu’à l’équivalent de 3800 euros par an, en 2009 d’un peu plus de 7000 à 10500.

Dans les années 1990, les recettes publiques pour le financement de l’université se dégradent de plus en plus. Cette situation ouvre un débat selon lequel il faudrait faire porter le poids financier des études aux étudiants, plutôt que de L’État. Selon le reportage d’Arte « Étudiants, l’avenir à crédit », dans les années 2000, les théoriciens libéraux anglais avançaient que les étudiants sont censés bénéficier largement de leur formation universitaire pour une bonne intégration au marché du travail.

Ils seraient donc supposés avoir des salaires plus élevés que les personnes qui ne seraient pas passées par les amphithéâtres. Par conséquence, c’est à l’étudiant que revient la charge de financer sa formation : l’éducation devient ainsi un marché, régit par l’offre de la loi et de la demande. Certains pays d’Europe du Nord résistent à cette commercialisation du savoir, car ils envisagent l’éducation comme un acquis social. D’autres en revanche s’inspirent de plus en plus du modèle anglo-saxon. En France des établissements prestigieux comme l’université Paris-Dauphine ont opté pour l’introduction de droits d’inscriptions.

En France, les étudiants non ressortissants de l’UE ne payeront finalement pas de frais universitaires.

En France, si il est communément admis que l’université doit rester un lieu de savoir accessible et démocratique, les frais d’inscription universitaires sont pourtant d’actualité. Le gouvernement du Premier Ministre Edouard Philippe a annoncé en novembre 2018 une hausse des frais d’inscription pour les étudiants non-ressortissants de l’Union Européenne. Il s’agit de les fixer à 2 770 euros en Licence, et 3 770 euros en Master — contre 170€ en Licence, et 234€ en Master pour des étudiants européens.

Pour les défenseurs de la gratuité de l’enseignement, l’université est lieu où ne peuvent s’exprimer les inégalités sociales. La stratégie du gouvernement est alors progressive : selon Libération, « l’exécutif n’a pas annoncé les prochaines étapes d’une généralisation des frais d’inscription à l’ensemble des étudiants. Ce serait mettre l’ensemble de la jeunesse dans la rue. La stratégie est autrement plus subtile : elle consiste en effet à réformer par étapes, en segmentant les populations pour leur ôter toutes capacités de mobilisation. »[1]

Dans tous les cas, il n’en est rien pour l’instant. Le 11 octobre 2019 le Conseil Constitutionnel a mis fin aux débats.  Il a statué à la suite d’une question prioritaire de constitutionnalité : “l’exigence constitutionnelle de gratuité s’applique à l’enseignement supérieur public”.[2]

Une bonne nouvelle pour les moins libéraux mais qui suscite tout de même quelques interrogations. Dans la même décision, le Conseil Constitutionnel confirme que les droits d’inscriptions doivent rester une somme modique.  Reste à définir ce qui doit être compris par le terme « modique ».

 

 

[1] https://www.liberation.fr/debats/2018/11/20/vers-des-etudes-payantes-pour-tous_1693144

[2] https://www.france24.com/fr/20191012-etudiants-etrangers-frais-inscription-universite-conseil-constitutionnel-victoire-demi-tein

 

Benjamin Dagot

Étudiant de master à l'Institut d'Études Européennes de la Sorbonne Nouvelle, j'ai plaisir à publier des articles et revues de presse à caractère économico-politique pour notre journal dédié aux questions européennes : Eurosorbonne.

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