Les migrations sont au cœur des préoccupations de l’Europe et du monde, et la récente élection de Donald Trump à la Présidence des Etats-Unis nous rappelle l’influence de la peur des immigrés sur les résultats électoraux. La conférence organisée par la Maison de l’Europe le mardi 15 novembre 2016, avec comme titre « Les migrants & l’avenir de l’Europe », est l’occasion de revenir, grâce aux interventions des invités, sur la récente crise des migrants et ce qu’elle implique pour le futur de l’Union européenne.
Sont intervenus lors de cette conférence Laurent Gaudé, romancier et dramaturge, qui publie cette année Ecoutez nos défaites, chez Actes Sud ; Catherine Wihtol de Wenden, directrice de recherche au CNRS ; et Geneviève Domenach-Chich, membre du bureau national de la Cimade (Comité inter mouvements auprès des évacués).
Une crise humaine et citoyenne
L’auteur du texte Ci-gît la France publié en février 2016, où il aborde les camps de Calais et le sentiment de honte qu’il a ressenti en s’y rendant, ouvre la discussion en affirmant que la crise des migrants a deux aspects principaux : c’est à la fois une crise humaine – et humanitaire – de par les épreuves que traversent les migrants pour arriver en Europe, mais aussi une crise citoyenne qui nous appelle à réagir, nous Européens. « Nos actions dessinent le visage qu’on aura », déclare le romancier.
C’est donc un thème qui en percute d’autres au sein de nos sociétés, et qui interroge notre rapport avec la fierté et l’identité européennes : une occasion qu’il faut saisir pour nous définir, selon Laurent Gaudé. Il regrette qu’à chaque fois que l’accueil politique a essayé de s’organiser dans l’Union européenne en mettant en avant l’aspect moral, la sanction électorale ait été quasi systématique.
Une crise fabriquée et théâtralisée
Mme Wihtol de Wenden avance que la crise des migrants est une crise structurelle de l’accueil, déclarant qu’on est face à « un droit de sortie généralisé mais un droit d’entrée au compte-goutte », ce qui signifie qu’il est facile d’obtenir un passeport mais compliqué d’avoir un visa. Mais la chercheuse qualifie surtout la crise de fabrication dans laquelle les flux de migrants sont présentés comme un buzz alors qu’ils sont en continuité depuis plusieurs années. Elle appelle l’UE à assumer son rôle de première destination des migrants et à se reconnaître comme la terre d’immigration qu’elle est devenue.
Catherine Wihtol de Wenden a aussi montré au public nombreux venu écouter le débat que le processus de décision européen est désormais manipulé par les forces d’extrême-droite, telles que les gouvernements composant le groupe de Višegrad. Elle déplore qu’on ne considère les migrants que comme un danger et non plus comme ce qu’ils pourraient être : une source de main d’œuvre. La gestion de la crise par l’UE en devient théâtralisée, ne donnant que dans le thème de l’invasion et de la guerre, ce qui prouve la crise de solidarité que vit l’Europe. « On est dans le tout sécuritaire », martèle la chercheuse, avant de nous mettre en garde contre les conséquences de cette gestion : « L’Europe risque de perdre les valeurs sur lesquelles elle a été construite ».
« L’hospitalité est relation »
Geneviève Domenach-Chich débute son intervention en divisant la crise migratoire en trois niveaux. Dans le premier niveau, elle place la question du territoire et des politiques publiques, en insistant sur le besoin de coordination du local et du national, mais surtout en indiquant que le niveau européen serait le plus pertinent pour des politiques en direction des migrants. Elle évoque ensuite la question des interfaces entre la politique migratoire et la politique de solidarité, rappelant qu’une politique sociale nationale comme celle de la France ne peut pas devenir une politique d’assignation à résidence, et doit faire preuve de solidarité.
Mais l’aspect de la crise sur lequel Mme Domenach-Chich s’arrête le plus longuement est celui de la question de l’Autre et des valeurs d’humanité et d’hospitalité, regrettant qu’on pense aujourd’hui d’abord au contrôle, comme le prouve l’augmentation du budget de Frontex. Elle appelle donc les Européens à s’ouvrir aux réfugiés qui arrivent dans leurs pays déclarant : « Faire de l’étranger un hôte, ça veut dire entrer dans une logique d’échange ».
Les intervenants de cette conférence à la Maison de l’Europe de Paris nous ont donc rappelé la difficile gestion de cette crise qui fait ressortir le pire de l’UE, et qui montre à quel point les divisions peuvent vite prendre le pas sur les bonnes intentions. Reste encore à savoir si les Etats membres réussiront à s’entendre sur la façon de procéder, pour intégrer au mieux ces réfugiés dans nos sociétés.
Mathilde CIULLA
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Il est possible de réécouter la conférence grâce à la plateforme en ligne MixCloud ici.