En Estonie et en Lettonie, des populations, essentiellement d’origine russe, possèdent un statut juridique particulier, synonyme de citoyenneté au rabais. Alors que les voies de naturalisation se sont multipliées, ces 350 000 “non-citoyens” sont un trait d’union géopolitique bien encombrant entre Russie et Union européenne.
Presque vingt années après la fin de la domination soviétique, les deux républiques baltes d’Estonie et de Lettonie ont encore bien des difficultés à aborder leur douloureux passé. Si les statues de Staline ont été déplacées dans les bois, les “non-citoyens” sont un autre héritage soviétique encore bien présent au cœur des préoccupations de la société.
Entre 1945 et 1991, plusieurs centaines de milliers de travailleurs, originaires de Russie principalement, mais aussi d’Ukraine et de Biélorussie se sont installées dans les Républiques socialistes soviétiques des bords de la mer baltique. Les opportunités étaient en effet nombreuses dans ses trois territoires parmi les plus prospères d’URSS et qui comptaient de nombreux complexes industriels alors en plein développement. A la chute de l’Union soviétique en 1991, ces populations russophones représentaient une part significative de la population, près de 40% en Lettonie en 1989, 30% en Estonie et 10% en Lituanie.
Pas de droit de vote
Sauf qu’à cette date, en Estonie et en Lettonie, les autorités refusèrent d’accorder la nationalité à ces populations qui ne disposaient que d’un passeport soviétique, désormais sans valeur. Un statut ambigu de « non-citoyen » ou « résident permanent » leur a alors seulement été accordé. Sans que leur présence soit remise en cause physiquement, les « non-citoyens » ne disposent pas du droit de vote et ne peuvent exercer un certain nombre de professions, principalement dans la fonction publique et l’armée.
Toutefois, les deux pays ont progressivement décidé d’intégrer juridiquement ces populations. La naturalisation des plus jeunes s’est faite par tranche à partir du milieu des années 1990. Pour les plus âgés, le passage d’examen en estonien ou letton ou le fait d’avoir suivi un enseignement dans ses langues sont nécessaires à l’octroi de la nationalité pleine et entière. La connaissance de la constitution et de l’histoire nationale sont également des impératifs. Un ensemble d’obligations jugées humiliantes par certains, notamment les plus âgés pour qui l’apprentissage d’une nouvelle langue est un vrai défi.
Soupçonnés de sympathie pro-Poutine
De fait, les effectifs de « non-citoyen » ont progressivement baissé. En 2015, ils représentaient encore 85 000 personnes en Estonie et 260 000 en Lettonie, soit respectivement 6,5 et 12% de la population. La situation des « non-citoyens » et plus généralement de la minorité russophone s’est également améliorée. La capitale lettone, Riga, il est vrai peuplée majoritairement de russophones, est désormais dirigé par Nils Ušakovs, un fils de « non-citoyen »
Mais la situation de ces populations continue de demeurer un sujet de tensions, particulièrement depuis l’annexion de la Crimée au nom de la protection des populations russophones vivant dans ces territoires. Les « non-citoyens » et leurs descendants sont encore largement soupçonnés de sympathie pro-Kremlin et sont majoritairement vus comme les fils de l’occupant.
Particulièrement en Estonie, les deux populations vivent davantage côte-à-côte que véritablement ensemble. En Lettonie, alors que le Parti social-démocrate « Harmonie » du maire de Riga était arrivé en tête aux élections législatives en 2014, ce sont finalement trois partis « lettons » qui se sont alliés pour former un gouvernement.
Pas de retour en Russie
Les « non-citoyens » et les citoyens russophones sont eux-mêmes dans une situation ambigüe. Beaucoup de « non-citoyens » peuvent encore profiter d’un accès privilégié à la Russie grâce à leur passeport soviétique et ne voient donc pas d’avantage particulier à devenir pleinement citoyen. Les médias russes conservent une audience importante et véhiculent souvent une vision très négative de l’action des gouvernements baltes.
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Mais dans le même temps, avec l’intégration européenne, les « non-citoyens » peuvent désormais circuler dans l’ensemble de l’Union et sous la pression des institutions communautaires, leur situation sociale s’est améliorée. Les pays baltes, où règne Etat de droit et stabilité, restent des territoires bien plus attractifs qu’une Russie autoritaire entrant en récession économique.
D’ici une vingtaine d’années, au rythme actuel de naturalisation et de décès des plus âgés, le statut de « non-citoyen » devrait disparaître. Nul doute cependant que la position des populations russophones des pays baltes restera difficile tant que la tension n’aura pas diminué entre la Russie et les pays occidentaux.