L’Union européenne a pendant un temps encouragé le développement de l’énergie atomique pour des raisons économiques et politiques. Aujourd’hui, le secteur est largement remis en question à cause de ses risques néfastes pour l’environnement et la santé humaine, ainsi que son coût immense. Mais les Etats membres ne sont pas tous sur la même longueur d’onde.
Le parc nucléaire de l’Europe pose de plus en plus de controverses. En effet, les préoccupations environnementales prennent de l’ampleur et la question des rejets toxiques du nucléaire est remise au goût du jour. Traitement des déchets radioactifs, risques sécuritaires, extraction d’uranium… cette industrie expose à une dangerosité et à des risques permanents selon certains, tandis que les défenseurs de cette énergie mettent en avant son empreinte carbone quasi nulle. Le nucléaire est au cœur de l’intégration européenne : il est inscrit dans le traité de Rome de 1957 via Euratom (Communauté européenne d’énergie atomique) qui vise, entre autres, à encadrer le développement et la sûreté. L’atome civil est au cœur des enjeux économiques et de souveraineté des Etats membres, ce qui en fait une question de taille pour l’Union européenne. Seulement, il n’a pas été pensé sous l’angle environnemental puisque l’absence d’émission de CO2 lui a donné une image verte dès le début. De plus, sa compétitivité économique a encouragé son développement, étant moins cher et produisant plus d’énergie que les autres secteurs énergétiques. Dès lors, l’harmonisation s’est faite à petit niveau pour cette grande industrie, laissant les pays européens nucléarisés la gérer bien différemment. Entre des pays comme l’Allemagne et l’Espagne, très volontaristes pour une transition écologique après la catastrophe de Fukushima, et la France et le Royaume-Uni qui restent impliqués dans le secteur, l’UE n’a pas de grande influence sur le sujet.
Un parc nucléaire important mais inégalement réparti
L’Europe est la région la plus nucléarisée au monde avec ses 126 réacteurs actifs. La part du nucléaire dans le mix énergétique européen était d’environ 26% en 2016. La moitié des Etats membres détient un parc nucléaire, assez inégalement dispersé puisque la France à elle seule est dotée de 58 réacteurs actifs tandis que l’Allemagne en a 7. Le mix énergétique est donc très diversifié selon les pays, l’énergie nucléaire représentant respectivement 73% et 11,6% pour cet exemple. A partir de ce constat, imaginer une harmonisation communautaire est difficile : le Danemark, qui n’a pas de centrale et est un modèle en matière d’énergies renouvelables ne pourrait accepter une quelconque cotisation pour une industrie qu’il n’a pas. Aujourd’hui, les pays détenteurs de centrales s’interrogent sur l’avenir de telles structures : construites dans les années 1960 à 1980, leur durée de vie arrive à échéance dans la décennie à venir pour une majorité d’entre elles. La construction de leurs centrales a généralement été subventionnée par l’UE, ce qui explique en partie l’enthousiasme pour le nucléaire à cette époque. Mais la cherté du traitement des centrales est devenue un des problèmes centraux pour les Etats membres.
Quel avenir pour le nucléaire en Europe ?
Depuis plusieurs années, l’exploitation nucléaire est décriée au regard des risques environnementaux et sanitaires qu’elle présente. Les risques d’accidents sont réels et le traitement des déchets radioactifs est un vrai problème, créant une menace permanente. Une prise de conscience de cette dangerosité sous-jacente grimpe dans les opinions publiques européennes, accélérant les contestations environnementalistes. Les Etats membres réagissent de différentes manières, certains plus à l’écoute de ces vagues anti-nucléaires que d’autres. L’Allemagne, la Belgique et l’Espagne font figure de modèle en matière de démantèlement des centrales, ayant déjà procédé à l’arrêt de certaines structures et prévoyant respectivement la fin de l’exploitation de tous leurs réacteurs en 2022, 2025 et 2028. Seulement, le coût et la durée du démantèlement de telles structures fait également débat. La filière du nucléaire, chère à la construction et à l’entretien, reste extrêmement onéreuse à la décontamination des sites et à la mise en sûreté (toute relative pour l’instant ) des déchets radioactifs. De plus, ces procédés se font dans un temps long, de 30 à 40 ans, comme la durée de vie d’un réacteur. C’est pour cela que certains pays restent frileux en question d’arrêt définitif de réacteurs, notamment la France, encore trop dépendante de l’atome. Emmanuel Macron a déclaré mardi 27 novembre l’arrêt de 14 centrales d’ici 2035 seulement , décevant les volontés des écologistes – Audrey Pulvar, présidente de la Fondation pour la nature et l’homme, déplorant « le statu quo sur l’ère du nucléaire ». Ce qui contraste avec les pays plus enclins à la transition énergétique et moins dépendants de leurs structures. Encore une fois, le conflit entre la problématique environnementale et les enjeux économiques semble donner l’avantage aux derniers. L’enjeu d’indépendance énergétique reste prépondérant dans les arguments pro-nucléaires, au vu du manque de développement des énergies renouvelables dans certains Etats.
Lire aussi >>> Le futur de notre énergie : perspectives et défis
La question de la sûreté nucléaire : quel prix à payer ?
En plus de ces problèmes de disparités entre Etats membres sur l’enjeu de la transition énergétique, la sûreté des exploitations nucléaires fait débat. Malgré le traité Euratom de 1957, instaurant un encadrement communautaire autour de l’énergie atomique, l’harmonisation des standards de sécurité n’est toujours pas au rendez-vous. Les actions de Greenpeace dans les centrales françaises ces dernières années pointent du doigt un manque de dispositifs de sécurité des sites, et récemment le documentaire Nucléaire, la fin d’un mythe a montré les failles sécuritaires d’EDF sur de nombreux réacteurs, notamment en raison de la vétusté des structures. A noter que l’entreprise française Areva construit en Finlande un EPR dernière génération – retardé à maintes reprises – et deux autres au Royaume-Uni. La question du coût de maintenance est également au cœur des débats, face aux investissements inégaux dans les énergies renouvelables selon les Etats membres. Entretenir une centrale vieillissante a un coût, sécuriser ses déchets radioactifs, réparer les failles et s’assurer de la viabilité du système : cuves, piscines de refroidissement, combustible… Face à ces dépenses exponentielles, il est difficile de s’atteler à changer de voie, pour laquelle certains décideurs politiques peinent à voir le rendement immédiat. L’UE peut-elle vraisemblablement renforcer Euratom pour canaliser les risques de sûreté atomique, malgré une disparité des traitements nationaux et un recul dans les opinions publiques sur le nucléaire ? La question est complexe à traiter puisqu’elle touche une corde sensible pour les Etats, l’énergie, enjeu national et géopolitique de taille.