Que s’est-il passé en Europe cette semaine ? (du 29 avril au 6 mai 2024)

Par Mélissa Herot, Eva Mic et Laetitia Rambour Mertens

20 ans après le plus grand élargissement de l’Union européenne : quel bilan ? 

 

Le 1 mai 2004, il y a eu ce que certains ont appelé le big bang : l’élargissement de l’UE à 10 pays, dont 7 situés de l’autre côté du rideau de fer. À la suite de la chute du communisme,  le monde a bousculé l’Europe. La perspective d’élargissement de l’Union européenne s’est progressivement tournée de l’Ouest vers l’Est. Vingt ans après l’adhésion de ces pays, que pouvons nous retenir de cette Union élargie ? 

Les bénéfices économiques d’une intégration européenne

« L’élargissement est dans l’intérêt de l’Europe entière. Nous ne souhaitons pas qu’il soit considéré comme une œuvre de charité. C’est un défi qui a été lancé à l’Europe. Pour la première fois de son histoire, elle a l’occasion d’édifier son ordre interne selon les principes de la coopération politique et économique sur un pied d’égalité. » affirmait l’homme politique thécoslovaque, Vaclav Havel, en 1993. Au-delà de leurs parcours historiques et de leurs traditions politiques distinctes, ces pays ont perçu l’adhésion à l’UE comme une occasion unique. Bien que l’intégration des 10 a eu un coût important, notamment sur le fonctionnement des institutions, cette intégration a été cruciale dans le renforcement de la stabilité économique des nouveaux adhérents. En accédant au marché unique européen, ils ont pu bénéficier d’opportunités d’exportation accrues. Les investissements provenant des fonds structurels de l’Union européenne ont stimulé le développement régional, favorisé la création d’emplois et contribué à réduire les disparités économiques. En adoptant l’euro pour certains États membres, la stabilité monétaire a été renforcée, facilitant les échanges commerciaux et consolidant l’intégration économique au sein de la zone euro. La Pologne, par exemple, a vu son PIB par habitant passer de 1 275 en 1995 à 12 750 euros en 2021. 

Une intégration remettant en cause les principes démocratiques de l’UE

La transition vers une économie de marché a été largement réussie, mais l’établissement de la démocratie dans les anciens États soviétiques s’est avérée plus difficile à gérer. En 2017, la Hongrie et la Pologne ont été critiquées pour avoir remis en question l’État de droit. En décembre 2017, suite à des réformes du système juridique national par le gouvernement polonais, la Commission européenne a déclenché l’article 7 du Traité sur l’Union européenne (TUE), qui prévoit un mécanisme de sanctions en cas de violation des valeurs énoncées à l’article 2 du TUE. La situation semble avoir évolué. Le 6 mai 2024, la Commission européenne a annoncé qu’elle prenait les premières mesures pour clore la procédure engagée contre la Pologne. Il n’en demeure pas moins que la Pologne continue de remettre en cause la primauté du droit européen sur le droit national. Pour rappel, en janvier dernier, le Tribunal constitutionnel polonais a estimé que plusieurs articles des traités européens étaient incompatibles avec la Constitution. 

Selon Charles Michel, le président du Conseil de l’UE, “L’élargissement est vital pour l’avenir de l’UE parce que sans élargissement, il y a en fait un risque d’un nouveau rideau de fer, ce qui serait extrêmement dangereux, si vous aviez un voisinage instable avec un manque de prospérité ou un manque de développement économique“.

 

 

Agression de l’eurodéputé Matthias Ecke en Allemagne 

L’eurodéputé et tête de liste du SPD (parti social-démocrate) dans la région de Saxe pour les élections européennes de juin, Mathias Ecke, a été agressé alors qu’il posait des affiches de campagne de son parti, à Dresde. Matthias Ecke a été grièvement blessé et a dû être opéré. Roberta Metsola, présidente du Parlement européen, a alors réagi sur X :  “Matthias, [le Parlement européen] est à tes côtés. Aujourd’hui les agresseurs, quatre hommes de 17 et 18 ans, ont été identifiés par la police, et l’opération s’est avérée réussie. Cependant, cette attaque inquiète. 

En effet, elle fait suite à “une longue série d’attaques verbales et physiques ciblant des politiciens locaux, étatiques, fédéraux et de l’UE de tout le spectre politique”, selon une étude menée par la Fondation Heinrich Böll. Ainsi, le même groupe de jeunes hommes aurait agressé un homme posant des affiches pour le parti vert, plus tôt dans la journée. De plus, la veille, les élus écologistes Kai Gehring et Rolf Fliss avaient été attaqués verbalement et physiquement. Enfin, les chiffres provisoires de la police indiquent une augmentation globale des délits commis contre des représentants politiques en Allemagne : 2790 en 2023, contre 1806 en 2022. Josep Borrell, le chef de la diplomatie de l’Union européenne, a alors condamné des « épisodes inacceptables de harcèlement à l’encontre de représentants politiques ».

Le gouvernement allemand accuse les incitations à la haine de l’extrême droite, visant en particulier le parti AfD (Alternative pour l’Allemagne), qui monte en puissance ces dernières années. 

Ainsi Lars Klingbeil, président du SPD, a impliqué directement les principales figures de ce parti : « Les [Björn] Höcke, [Alexander] Gauland et [Alice] Weidel n’ont peut-être pas levé le poing ni frappé directement, mais ils ont contribué à créer un climat dans le pays qui pousse d’autres personnes à s’en prendre à des militants et des responsables politiques ».

De son côté, la ministre de l’intérieur Nancy Faeser affirme également que “Les extrémistes et les populistes attisent un climat de violence croissante, en regrettant que ces attaques portent atteinte à la démocratie. Le chancelier allemand Olaf Scholz, s’est lui aussi prononcé en ce sens.

Des manifestations ont eu lieu dimanche 5 mai à Dresde, puis à Berlin, et ont rassemblé plus de 1000 personnes. Le même jour, de nombreux responsables politiques allemands ont publié une déclaration collective contre les violences envers les citoyens engagés. Or face à la montée de l’extrême droite en Europe, cette menace ne s’arrête pas aux frontières allemandes.

 

 

La visite de Xi Jinping à Paris : une visite diplomatique dénoncée par la société civile 

 

À l’occasion du soixantième anniversaire des relations diplomatiques franco-chinoises, le lundi 6 mai, le président français Emmanuel Macron a reçu son homologue chinois Xi Jinping à Paris. Sur le trajet du cortège diplomatique du Président chinois, une grande banderole “Free Tibet” était tenue par des militants pro-Tibet. 

Une relation célébrée avec la présidente de la Commission européenne

Cette rencontre entre les chefs d’État, et en compagnie de la présidente de la Commission européenne, a été l’occasion d’échanger sur des sujets importants tels que la guerre en Ukraine et les relations commerciales entre l’Union européenne et la Chine. Sur la question ukrainienne, Ursula Von der Leyen souligne que “ Le président Xi a joué un rôle important dans la désescalade des menaces nucléaires irresponsables de la Russie et je suis confiante (qu’il) continuera à le faire“. Ne se limitant pas à la guerre en Ukraine, le rôle de la Chine semble essentiel afin de répondre aux autres défis contemporains, tels que le dérèglement climatique. La présidente de la Commission européenne, tout en valorisant l’implication de la Chine, maintient une position résolue et déclare que l’UE “n’hésitera pas à prendre des décisions fermes” si nécessaire pour “protéger son économie et sa sécurité”. Quant au président français, Emmanuel Macron, il prône “des règles équitables pour tous” dans le commerce entre l’Europe et la Chine. 

L’avenir de notre continent dépendra très clairement aussi de notre capacité à continuer à développer de manière équilibrée les relations avec la Chine” affirme le Président français. Si la France et l’UE soutiennent que la Chine doit “user de toute son influence” pour cesser la guerre en Ukraine, les mobilisations citoyennes ne sont pas en faveur de relations avec un pays accusé de violer les droits fondamentaux.  

Des relations franco-chinoises contestées 

Plusieurs mobilisations de Tibétains, de Ouïghours et d’ONG comme Amnesty International ont eu lieu dans la capitale, pour dénoncer la venue du président chinois dès le dimanche 5 mai. Au cœur de cette contestation, se trouve la dénonciation de la politique répressive de Pékin envers les Ouïghours et les Tibétains. Sur la place de la République, où étaient réunis environ 2 000 personnes, on pouvait lire sur les banderoles “Stop la menace contre Taïwan, stop la répression à Hong Kong, stop le soutien à Poutine, stop l’ingérence en France“. Au cours de cette mobilisation, deux activistes tibétaines avaient été arrêtées pour avoir accroché une banderole devant l’Arc de Triomphe, où il était inscrit : « Europe, say no to Xi’s genocide » (« Europe, dites non au génocide de Xi »). 

 

 

La Commission européenne annonce la fin de la procédure de violation de l’Etat de droit contre la Pologne 

photo de Notes from Poland

 

La procédure de l’article 7 de l’Union européenne permet de prendre des sanctions contre un de ses membres lorsque ce dernier ne respecte pas les valeurs fondamentales énumérées dans le traité. Ce mécanisme de sanctions peut conduire, en théorie, à la suspension des droits de vote d’un État et à sa participation à des décisions européennes. C’est le niveau maximal de sanctions que l’UE est capable d’imposer.  

L’article 7 contre un gouvernement polonais eurosceptique 

  • La Commission avait demandé au Conseil de constater « un risque de violations grave » des valeurs fondatrices. Cela survient après des mois de discussions avec Varsovie au sujet d’une réforme qui remettait en cause l’indépendance de la justice. Les réformes judiciaires en questions avaient été mises en place par le parti nationaliste Droit et Justice, PiS, parti eurosceptique et ultra nationaliste.  On accusait alors le parti de vouloir saper l’indépendance des juges.  À l’initiative de la Commission européenne, la procédure est déclenchée contre la Pologne le 20 décembre 2017. 
  • Surtout, cette supervision spéciale enquêtait sur les violations systématiques des valeurs fondamentales dans le pays. Cette enquête impliquait l’audition régulière de ministres et symbolisait une tension entre l’UE et la Pologne. 

L’arrivée au pouvoir des forces pro-UE 

  • C’est donc la défaite du PiS aux élections législatives d’octobre et la victoire des forces pro-européennes qui a conduit à la reconsidération de cette procédure. En réponse aux inquiétudes de l’UE, Varsovie, emmené par Donald Tusk, premier ministre de Pologne et du parti Libéral, a lancé une série de mesures pour reconnaître la primauté du droit européen et appliquer les décisions de justice de la CEDH, Cour européenne des droits de l’homme. 
  • L’organe exécutif juge dès lors qu’il « n’y a plus de risque clair de violation grave de l’Etat de droit» dans ce pays et qu’« aujourd’hui marque un nouveau chapitre pour la Pologne. Après plus de six ans, nous pensons que la procédure de l’article 7 peut être close. Je félicite le Premier ministre, Donald Tusk, et son gouvernement pour cette avancée majeure » – pour reprendre Ursula Von der Leyen. La Commission estime que l’indépendance judiciaire est de nouveau garantie.  

Et maintenant ? 

  • Maintenant, cette déclaration représente une victoire politique pour Donald Tusk. Cette ouverture vers l’Union européenne à mener au dégel de 137 milliards d’euros du plan de relance de l’UE qui avaient été bloqués en raison du recul démocratique et de l’absence de garanties judiciaires. Plus qu’un gain financier, c’est aussi la fin d’une mauvaise image dans l’Union européenne. 
  • Désormais, le seul pays encore mis en cause par la procédure de l’article 7 est la Hongrie de Viktor Orban. Voté à deux tiers des députés européens le 12 septembre 2018, des inquiétudes persistent sur l’indépendance de la justice, la liberté d’expression, la corruption, le droit des minorités, la situation des migrants et celle des réfugiés. 

Cependant, l’engagement de ces procédures ne mène à aucune sanction. Jakub Jaraczewski, chercheur à Democracy Reporting International souligne notamment la faiblesse inhérente à la procédure au journal Euronews, « Dépendant de la volonté politique des États membres et avec sa sanction la plus puissante nécessitant un accord unanime pratiquement impossible au sein du Conseil, l’article 7 n’a jamais obtenu le résultat escompté, à savoir garantir le respect des valeurs de l’UE par tous les États membres ». 

 

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